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CP 02304 Marcel Proust à Albert Nahmias [fin février ou début mars 1912]

Surlignage

Cher Albert

Voici des feuilles en foule, et
hélas diaboliques (les prochaines
seront lumineuses. Mais hélas les
obscures de cette fois-ci sont bien
nombreuses de sorte que les lumineuses
seront pour dans assez longtemps. Nʼ
allez pas trop vite, car dans les dernières
– sublimes – il y avait cependant
beaucoup de mots sautés.

Voici les explications.

Vous commencez au cahier 6 des pages


2

qui sont paginées au crayon
bleu. Une fois les pages paginées
au crayon bleu finies, bien quʼil
ne faille pas de laisser de blanc, car
cʼest la suite, cela recommence, 1,
2, 3 etc mais paginé àu crayon
lʼencre. (Si par exemple il y a
20 pages de paginées au crayon bleu, la page
1 à lʼencre est en réalité la page
21, la 2, 22 etc). Je dis
« paginées au crayon bleu » (Aranyi)
car il ne sʼagit que du numéro.

3

En effet jʼai rayé beaucoup de pages au
crayon bleu, ou écrit « barré » au crayon bleu
mais cela nʼa aucun rapport. Et à ce propos pour
les pages quʼil ne faut pas copier jʼen ai rayé
un grand nombre (Aranyi). Mais il y en a qui
mʼétaient utiles pour lʼavenir (elles me le sont
toutes du reste) et je ne les ai pas rayées. Mais il nʼy a
pas de confusion possible car vous nʼavez à vous
occuper que de celles qui ont un numéro de
pagination. Ainsi dans le cahier qui ne porte pas
de numéro, il y a au commencement toute une petite
histoire où les pages nʼont pas de numéro. Cʼest tout autre
chose et vous ne vous en occupez pas. (Aranyi). Maintenant
si dans un endroit où les pages se suivent au verso entièrement
blanc vous voyez une phrase, alors cʼest un renvoi, un ajoutage
qui compte. — . Deux ou trois fois cʼest une page volante que jʼai
posée dans le cahier (et qui nʼest pas collée – Aranyi –) qui fait
suite. Mais cʼest toujours indiqué. Vous commencez par le Cahier
6 (Aranyi). Mais tout dʼun coup il faut sʼinterrompre et suivre
mettons au cahier 7 ; mais comme
je lʼai partout indiqué à lʼ
endroit même, inutile de vous
fatiguer à vous redonner des
exemples ici. Jʼen invente
seulement un imaginaire. Je suppose
que vous êtes à la page 30 dans le
cahier 6 (si cʼest dans celui-
là quʼelle est. Aranyi). Vous lisez
par exemple au bas : suivre page
31 dans le cahier 7 ou dans le
cahier sans numéro. Vous vous y
reportez (Aranyi). Il y en a
ainsi 3, (3 cahiers, Aranyi)
quʼil faudra que vous quittiez de
temps en temps lʼun pour lʼautre
(Jeno) mais cʼest toujours
indiqué (idem). Ces changements
de cahier ne sont que pour les
pages paginées à lʼencre car les
pages au crayon bleu sont toutes dans
le cahier 6 (repondre la Marche
hongroise de la Damnation)
Vous ferez bien de feuilleter un peu dʼ
avance car il y a souvent des
bis déconcertants. (pas celui de Racozksky)
Ainsi par exemple vous avez page 5, à côté
innocemment vous suivez 6, 7, et tout dʼun coup
vous voyez 5 bis (quʼil faut donc placer avant
6 et 7) Aranyi, Aranyi, Aranyi, vive
la Hongrie ! — . Cher Albert jʼai
été tellement souffrant que je nʼai pas encore
écrit à Monsieur votre Père.

Et cʼest un
vrai casse tête chinois que je vous envoie avec toute
ma tendresse mon cher Albert

Votre Marcel


Surlignage

Cher Albert

Voici des feuilles en foule, et hélas diaboliques (les prochaines seront lumineuses. Mais hélas les obscures de cette fois-ci sont bien nombreuses de sorte que les lumineuses seront pour dans assez longtemps). Nʼallez pas trop vite, car dans les dernières – sublimes – il y avait cependant beaucoup de mots sautés.

Voici les explications.

Vous commencez au cahier 6 des pages qui sont paginées au crayon bleu. Une fois les pages paginées au crayon bleu finies, bien quʼil ne faille pas de laisser de blanc, car cʼest la suite, cela recommence, 1, 2, 3 etc. mais paginé à lʼencre. (Si par exemple il y a 20 pages paginées au crayon bleu, la page 1 à lʼencre est en réalité la page 21, la 2, 22 etc.). Je dis « paginées au crayon bleu » (Aranyi) car il ne sʼagit que du numéro. En effet jʼai rayé beaucoup de pages au crayon bleu, ou écrit « barré » au crayon bleu mais cela nʼa aucun rapport. Et à ce propos pour les pages quʼil ne faut pas copier jʼen ai rayé un grand nombre (Aranyi). Mais il y en a qui mʼétaient utiles pour lʼavenir (elles me le sont toutes du reste) et je ne les ai pas rayées. Mais il nʼy a pas de confusion possible car vous nʼavez à vous occuper que de celles qui ont un numéro de pagination. Ainsi dans le cahier qui ne porte pas de numéro, il y a au commencement toute une petite histoire où les pages nʼont pas de numéro. Cʼest tout autre chose et vous ne vous en occupez pas. (Aranyi). Maintenant si dans un endroit où les pages se suivent , au verso entièrement blanc vous voyez une phrase, alors cʼest un renvoi, un ajoutage qui compte.

Deux ou trois fois cʼest une page volante que jʼai posée dans le cahier (et qui nʼest pas collée – Aranyi –) qui fait suite. Mais cʼest toujours indiqué. Vous commencez par le Cahier 6 (Aranyi). Mais tout dʼun coup il faut sʼinterrompre et suivre mettons au cahier 7 ; mais comme je lʼai partout indiqué à lʼendroit même, inutile de vous fatiguer à vous redonner des exemples ici. Jʼen invente seulement un imaginaire. Je suppose que vous êtes à la page 30 dans le cahier 6 (si cʼest dans celui-là quʼelle est. Aranyi). Vous lisez par exemple au bas : suivre page 31 dans le cahier 7 ou dans le cahier sans numéro. Vous vous y reportez (Aranyi). Il y en a ainsi 3 (3 cahiers, Aranyi) quʼil faudra que vous quittiez de temps en temps lʼun pour lʼautre (Jeno) mais cʼest toujours indiqué (idem). Ces changements de cahier ne sont que pour les pages paginées à lʼencre car les pages au crayon bleu sont toutes dans le cahier 6 (répondre la Marche hongroise de La Damnation). Vous ferez bien de feuilleter un peu dʼavance car il y a souvent des bis déconcertants (pas celui de Rakoczy). Ainsi par exemple vous avez page 5, à côté innocemment vous suivez 6, 7, et tout dʼun coup vous voyez 5 bis (quʼil faut donc placer avant 6 et 7) Aranyi, Aranyi, Aranyi, vive la Hongrie !

Cher Albert jʼai été tellement souffrant que je nʼai pas encore écrit à Monsieur votre Père.

Et cʼest un vrai casse-tête chinois que je vous envoie avec toute ma tendresse mon cher Albert

Votre Marcel

Note n°1
Cette lettre, qui accompagne lʼenvoi par Proust des Cahiers 20, 21 et 24, suit de quelques jours la lettre du [vendredi soir 23 février 1912] envoyée le 24 (CP 02281 ; Kolb, XI, n° 17), où Proust demandait à Nahmias sʼil voulait bien reprendre sa collaboration à la dactylographie de son roman. On ne sait si Nahmias a répondu aussitôt ou a laissé passé quelques jours, mais lʼenvoi des cahiers a nécessairemment eu lieu [fin février ou début mars 1912], avant la lettre du [mardi matin 12 ? mars 1912] (CP 02288 ; Kolb, XI, n° 24) où Proust explique à Nahmias pourquoi il a préféré lui envoyer les cahiers au lieu de le « convoquer » comme les fois précédentes. Cette lettre ne peut, en tout cas, pas dater du 30 ou 31 mars 1912 comme lʼindiquait Kolb, la dactylographie des cahiers concernés étant déjà faite à cette date. — Pour une redatation globale du processus de dactylographie des Cahiers de Proust entre 1909 et 19212 et des lettres de 1912 à Nahmias relatives à ce travail, voir Françoise Leriche, « Une nouvelle datation des dactylographies du Temps Perdu à la lumière de la Correspondance », Bulletin dʼInformations Proustiennes, n° 17, 1986, p. 7-20. Lʼédition Corr-Proust est lʼoccasion dʼaffiner plusieurs de ces dates. [FL]
Note n°2
Nahmias se défendra de ce reproche dans un commentaire rédigé dans le cahier numéroté « 6 » par Proust (Cahier 20, f. 54v-55r) : voir, dans la série des billets adressés par Nahmias à Proust dans les marges de ses cahiers au cours du mois de mars 1912 (CP 02307 ; Kolb, XI, n° 43), celui qui se trouve sur la page « 72ter ». [PK, PW, FL]
Note n°3génétique
Il sʼagit du Cahier 20 du fonds Proust, ainsi renuméroté par Florence Callu après lʼentrée du fonds à la BnF. Les Cahiers 15 à 21 (cahiers de mise au net de type « Sévigné » à couverture de moleskine noire) avaient été numérotés de « 1 » à « 7 » à la peinture orange par Proust (ou lʼun de ses secrétaires). Dans lʼétat actuel de leur conservation, on ne trouve plus que quatre cahiers portant trace de cette numérotation dʼorigine : des couvertures ont disparu et ont été remplacées par des couvertures neuves (Cahiers 15, 18 et 20) ; dʼautres ont été interchangées lors de la restauration. Voir « Les Cahiers Marcel Proust conservés à la Bibliothèque nationale : inventaire matériel et descriptif », BIP, n° 1, printemps 1975, p. 13-19. Un premier inventaire avait été partiellement réalisé par Theodore Johnson, qui en avait publié les résultats dans la revue américaine P.R.A.N., n° 2, été 1969, p. 15 sqq. [PK, SL, FL]
Note n°4génétique
Le Cahier 20, qui comporte en tête de son premier folio lʼindication « Troisième partie », commence en effet par un ensemble de pages numérotées à partir de « 1 » au crayon bleu (voir Cahier 20, f. 1r). De cette troisième partie du roman de 1912, il ne reste plus dans Du côté de chez Swann que les cinquante premières pages, dans la section « Noms de pays : le Nom » (CS, I, 376 sqq.), Proust ayant fait le choix éditorial, en 1913, de reporter tout le reste dans le tome suivant. [PK, FL]
Note n°5génétique
En effet, dans ce cahier « 6 », Proust a paginé au crayon bleu de « 1 » (Cahier 20, f. 1r) à « 18 » (Cahier 20, f. 18r) tout un ensemble de pages (qui comprend aussi quelques pages « bis »), et en face de la page « 18 », au f. 17v, il a rédigé au crayon bleu une indication de montage destinée à Nahmias, précisant que les pages numérotées à lʼencre 1, 2, 3 (qui constituent la suite du texte) se trouvent dans le « cahier 7 » (Cahier 21). [PW, FL]
Note n°6
Il sʼagit (semble-t-il) de Jenö Aranyi, un ami de Nahmias, fils aîné du journaliste politique hongrois Maximilien Aranyi, artisan des relations culturelles franco-hongroises, demeurant au 55, avenue Kléber. (Il est déjà mentionné dans une lettre à Nahmias de [novembre 1909], CP 02037 ; Kolb, IX, n° 112). Proust utilise généralement ce nom pour se moquer du style répétitif de ses propres explications (voir par exemple : « Je me répète, comme Aranyi, mais ce ne sera jamais trop clair », dans la lettre à Nahmias du [mercredi 28 février 1912], CP 02283 ; Kolb, XI, n° 19), quasi contemporaine de celle-ci. Jamais Proust nʼavait autant utilisé ce nom quʼici, où il le cite onze fois. [PK, PW]
Note n°7génétique
Dans le « cahier 6 » en question, Proust a barré en croix, en ajoutant « barré », un grand nombre de feuillets après la « page 18 » (par exemple, du Cahier 20, f. 18v au f. 23r, puis de nouveau du f. 28v au f. 47r, et ainsi de suite). [PW]
Note n°8génétique
Il sʼagit du Cahier 24, désigné par Proust comme « 3e cahier », ou encore « cahier sans numéro ». [PK]
Note n°9génétique
En effet, au début du Cahier 24, folios 1r à 11r, trois fragments non paginés concernent M. de Gurcy (ancien nom de Charlus) et les Verdurin, puis les tentatives du protagoniste pour entrer en relation avec la baronne Picpus dont il convoite la femme de chambre, épisodes destinés à des parties ultérieures du roman. Cʼest au f. 13r, quʼon trouve la mention : « Suite du cahier 6 » et au folio suivant, f. 14r, lʼindication « Page 12 / Commencer ici ». [PK, PW, FL]
Note n°10génétique
Cependant, certaines feuilles volantes ont ensuite été collées : ainsi, à la page « 95 » (Cahier 24, f. 41r), Proust écrit en marge « le 96 est une page détachée » ; or on la trouve collée au folio suivant (Cahier 24, f. 42r), montée sur un onglet. On ne sait si cʼest Nahmias qui a collé ces pages, peut-être pour éviter à la dactylographe de les égarer, ou si cʼest une opération menée lors de la restauration des cahiers à la BnF. [PW, FL]
Note n°11génétique
Voir par exemple les indications destinées à Nahmias dans le « cahier 6 » : CP 02305. [PW]
Note n°12génétique
Le Cahier 21. [PW]
Note n°13
Maximilien et Emma Aranyi ayant eu plusieurs enfants, dont Jenö (1888-?), Imre (1889-1950), Laszlo (1890-1892), Magda (1895-1976), tous nés à Budapest selon les registres dʼétat civil juifs de Hongrie, Jenö doit être lʼami de Nahmias dont Proust se moque tout au long de cette lettre. [FL]
Note n°14génétique
Aucune référence explicite à cette œuvre ou à sa fameuse « Marche hongroise » nʼapparaît dans ces cahiers, sauf inadvertance de notre part. Kolb suggère que cette allusion désigne le passage décrivant un rayon de soleil sur le balcon qui, dʼabord faible, sʼintensifie « par un de ces crescendos continus comme ceux qui, en musique, à la fin dʼune Ouverture, mènent une seule note jusquʼau fortissimo suprême en la faisant passer rapidement par tous les degrés intermédiaires » (CS, I, 389), cette analyse musicale pouvant en effet évoquer le fortissimo final de la Marche de Rakoczy (voir note 15 ci-après). – Le manuscrit de ce passage se trouve dans le « cahier 6 » (Cahier 20, f. 24r), au milieu dʼune page numérotée à lʼencre (« 4 ») qui continue un épisode commencé dans le « cahier 7 » (voir Cahier 21, f. 1r à f. 3r) où il nʼest nullement question de musique ni de Marche hongroise. (Les « pages déjà dactylographiées » que Proust dit, dans le Cahier 21, vouloir intercaler avant la « page 4 », donc plus anciennes, ne peuvent non plus constituer un repère musical où « reprendre » la copie, puisquʼil ne les joint pas.) — Le verbe introducteur de la parenthèse semble être « répondre » plutôt que « reprendre » (Wise) ou « refondre » (Kolb). Sans doute sʼagit-il dʼune nouvelle moquerie (dont le sens nous échappe) à lʼégard dʼAranyi, comme toutes les parenthèses de cette lettre ? Si la parenthèse signifie au contraire quʼil faut, après un passage par le « cahier 7 », « reprendre » la copie à la Marche hongroise, cʼest-à-dire dans le « cahier 6 » à la page numérotée elle aussi à lʼencre (page « 4 »), la consigne paraît particulièrement obscure. [FL]
Note n°15
Proust, comme souvent, a hésité sur lʼorthographe de ce nom étranger : il semble avoir dʼabord écrit « Racoksky », puis avoir ajouté un z devant le k, peut-être par confusion orthographique ou phonétique entre la Marche de Rakoczy (prononcer "rakotsi"), composée par Berlioz en 1846 (et intégrée ensuite à La Damnation de Faust), et la Marche de Radetzky, marche militaire viennoise composée en 1848 par Johann Strauss en lʼhonneur du maréchal autrichien Joseph Radetzky. (Je remercie Cécile Leblanc pour lʼidentification de « Rakoczy » sous lʼorthographe approximative de Proust.) Ces deux marches célèbres, souvent jouées dans les concerts publics, étaient traditionnellement, lʼune comme lʼautre, acclamées par les auditeurs qui en scandaient le rythme avec leurs mains et leurs pieds. — La « Rakoczy-indulo », dans la Hongrie occupée par les Autrichiens, était comme un hymne national et un symbole de résistance. La fameuse « Marche hongroise » de Berlioz en est une adaptation quʼil composa pour un concert à Pest en 1846, avec ce crescendo et le fortissimo final où le public hongrois vit un symbole de victoire : le morceau fut acclamé avec frénésie (voir Hector Berlioz, Mémoires, Michel Lévy éd., 1870, p. 367-368) et, dans les décennies qui suivirent, cette marche fut régulièrement bissée. Pour une histoire de cet air national, voir cette page. — Le double jeu de mots de Proust, sur « bis » et « déconcertant », suggère que Nahmias avait dû entendre ce morceau bissé en concert et pouvait saisir lʼallusion. [FL]
Note n°16génétique
À vrai dire, dans le cahier en question, cʼest la page numérotée « 4bis » (Cahier 20, f. 4v) qui se trouve au verso de la page « 5 » (Cahier 20, f. 4r). Mais le cas se présente de nombreuses fois, avec des distorsions dans lʼordre des pages qui peuvent être importantes. [PW, FL]
Note n°17
Proust devait le remercier pour les renseignements fournis fin décembre 1911 sur les restaurants de 1880 (voir CP 05400 ; BIP, n° 37, p. 18-21), à moins quʼil ne sʼagisse de conseils ou dʼaide concernant la liquidation de ses actions minières (Rand Mines etc.) à la fin de février 1912, puisquʼil était banquier. Fin mars, Proust présentera encore des excuses pour le retard de ses remerciements : voir la lettre du [vendredi 29 mars 1912] (CP 02303 ; Kolb, XI, n° 39). [PW, FL]
Note
Berlioz, Hector La Damnation de Faust 1846


Mots-clefs :genèse
Date de mise en ligne : September 23, 2024 03:56
Date de la dernière mise à jour : September 23, 2024 03:56
Surlignage

Cher Albert

Voici des feuilles en foule, et
hélas diaboliques (les prochaines
seront lumineuses. Mais hélas les
obscures de cette fois-ci sont bien
nombreuses de sorte que les lumineuses
seront pour dans assez longtemps. Nʼ
allez pas trop vite, car dans les dernières
– sublimes – il y avait cependant
beaucoup de mots sautés.

Voici les explications.

Vous commencez au cahier 6 des pages


2

qui sont paginées au crayon
bleu. Une fois les pages paginées
au crayon bleu finies, bien quʼil
ne faille pas de laisser de blanc, car
cʼest la suite, cela recommence, 1,
2, 3 etc mais paginé àu crayon
lʼencre. (Si par exemple il y a
20 pages de paginées au crayon bleu, la page
1 à lʼencre est en réalité la page
21, la 2, 22 etc). Je dis
« paginées au crayon bleu » (Aranyi)
car il ne sʼagit que du numéro.

3

En effet jʼai rayé beaucoup de pages au
crayon bleu, ou écrit « barré » au crayon bleu
mais cela nʼa aucun rapport. Et à ce propos pour
les pages quʼil ne faut pas copier jʼen ai rayé
un grand nombre (Aranyi). Mais il y en a qui
mʼétaient utiles pour lʼavenir (elles me le sont
toutes du reste) et je ne les ai pas rayées. Mais il nʼy a
pas de confusion possible car vous nʼavez à vous
occuper que de celles qui ont un numéro de
pagination. Ainsi dans le cahier qui ne porte pas
de numéro, il y a au commencement toute une petite
histoire où les pages nʼont pas de numéro. Cʼest tout autre
chose et vous ne vous en occupez pas. (Aranyi). Maintenant
si dans un endroit où les pages se suivent au verso entièrement
blanc vous voyez une phrase, alors cʼest un renvoi, un ajoutage
qui compte. — . Deux ou trois fois cʼest une page volante que jʼai
posée dans le cahier (et qui nʼest pas collée – Aranyi –) qui fait
suite. Mais cʼest toujours indiqué. Vous commencez par le Cahier
6 (Aranyi). Mais tout dʼun coup il faut sʼinterrompre et suivre
mettons au cahier 7 ; mais comme
je lʼai partout indiqué à lʼ
endroit même, inutile de vous
fatiguer à vous redonner des
exemples ici. Jʼen invente
seulement un imaginaire. Je suppose
que vous êtes à la page 30 dans le
cahier 6 (si cʼest dans celui-
là quʼelle est. Aranyi). Vous lisez
par exemple au bas : suivre page
31 dans le cahier 7 ou dans le
cahier sans numéro. Vous vous y
reportez (Aranyi). Il y en a
ainsi 3, (3 cahiers, Aranyi)
quʼil faudra que vous quittiez de
temps en temps lʼun pour lʼautre
(Jeno) mais cʼest toujours
indiqué (idem). Ces changements
de cahier ne sont que pour les
pages paginées à lʼencre car les
pages au crayon bleu sont toutes dans
le cahier 6 (repondre la Marche
hongroise de la Damnation)
Vous ferez bien de feuilleter un peu dʼ
avance car il y a souvent des
bis déconcertants. (pas celui de Racozksky)
Ainsi par exemple vous avez page 5, à côté
innocemment vous suivez 6, 7, et tout dʼun coup
vous voyez 5 bis (quʼil faut donc placer avant
6 et 7) Aranyi, Aranyi, Aranyi, vive
la Hongrie ! — . Cher Albert jʼai
été tellement souffrant que je nʼai pas encore
écrit à Monsieur votre Père.

Et cʼest un
vrai casse tête chinois que je vous envoie avec toute
ma tendresse mon cher Albert

Votre Marcel


Surlignage

Cher Albert

Voici des feuilles en foule, et hélas diaboliques (les prochaines seront lumineuses. Mais hélas les obscures de cette fois-ci sont bien nombreuses de sorte que les lumineuses seront pour dans assez longtemps). Nʼallez pas trop vite, car dans les dernières – sublimes – il y avait cependant beaucoup de mots sautés.

Voici les explications.

Vous commencez au cahier 6 des pages qui sont paginées au crayon bleu. Une fois les pages paginées au crayon bleu finies, bien quʼil ne faille pas de laisser de blanc, car cʼest la suite, cela recommence, 1, 2, 3 etc. mais paginé à lʼencre. (Si par exemple il y a 20 pages paginées au crayon bleu, la page 1 à lʼencre est en réalité la page 21, la 2, 22 etc.). Je dis « paginées au crayon bleu » (Aranyi) car il ne sʼagit que du numéro. En effet jʼai rayé beaucoup de pages au crayon bleu, ou écrit « barré » au crayon bleu mais cela nʼa aucun rapport. Et à ce propos pour les pages quʼil ne faut pas copier jʼen ai rayé un grand nombre (Aranyi). Mais il y en a qui mʼétaient utiles pour lʼavenir (elles me le sont toutes du reste) et je ne les ai pas rayées. Mais il nʼy a pas de confusion possible car vous nʼavez à vous occuper que de celles qui ont un numéro de pagination. Ainsi dans le cahier qui ne porte pas de numéro, il y a au commencement toute une petite histoire où les pages nʼont pas de numéro. Cʼest tout autre chose et vous ne vous en occupez pas. (Aranyi). Maintenant si dans un endroit où les pages se suivent , au verso entièrement blanc vous voyez une phrase, alors cʼest un renvoi, un ajoutage qui compte.

Deux ou trois fois cʼest une page volante que jʼai posée dans le cahier (et qui nʼest pas collée – Aranyi –) qui fait suite. Mais cʼest toujours indiqué. Vous commencez par le Cahier 6 (Aranyi). Mais tout dʼun coup il faut sʼinterrompre et suivre mettons au cahier 7 ; mais comme je lʼai partout indiqué à lʼendroit même, inutile de vous fatiguer à vous redonner des exemples ici. Jʼen invente seulement un imaginaire. Je suppose que vous êtes à la page 30 dans le cahier 6 (si cʼest dans celui-là quʼelle est. Aranyi). Vous lisez par exemple au bas : suivre page 31 dans le cahier 7 ou dans le cahier sans numéro. Vous vous y reportez (Aranyi). Il y en a ainsi 3 (3 cahiers, Aranyi) quʼil faudra que vous quittiez de temps en temps lʼun pour lʼautre (Jeno) mais cʼest toujours indiqué (idem). Ces changements de cahier ne sont que pour les pages paginées à lʼencre car les pages au crayon bleu sont toutes dans le cahier 6 (répondre la Marche hongroise de La Damnation). Vous ferez bien de feuilleter un peu dʼavance car il y a souvent des bis déconcertants (pas celui de Rakoczy). Ainsi par exemple vous avez page 5, à côté innocemment vous suivez 6, 7, et tout dʼun coup vous voyez 5 bis (quʼil faut donc placer avant 6 et 7) Aranyi, Aranyi, Aranyi, vive la Hongrie !

Cher Albert jʼai été tellement souffrant que je nʼai pas encore écrit à Monsieur votre Père.

Et cʼest un vrai casse-tête chinois que je vous envoie avec toute ma tendresse mon cher Albert

Votre Marcel

Note n°1
Cette lettre, qui accompagne lʼenvoi par Proust des Cahiers 20, 21 et 24, suit de quelques jours la lettre du [vendredi soir 23 février 1912] envoyée le 24 (CP 02281 ; Kolb, XI, n° 17), où Proust demandait à Nahmias sʼil voulait bien reprendre sa collaboration à la dactylographie de son roman. On ne sait si Nahmias a répondu aussitôt ou a laissé passé quelques jours, mais lʼenvoi des cahiers a nécessairemment eu lieu [fin février ou début mars 1912], avant la lettre du [mardi matin 12 ? mars 1912] (CP 02288 ; Kolb, XI, n° 24) où Proust explique à Nahmias pourquoi il a préféré lui envoyer les cahiers au lieu de le « convoquer » comme les fois précédentes. Cette lettre ne peut, en tout cas, pas dater du 30 ou 31 mars 1912 comme lʼindiquait Kolb, la dactylographie des cahiers concernés étant déjà faite à cette date. — Pour une redatation globale du processus de dactylographie des Cahiers de Proust entre 1909 et 19212 et des lettres de 1912 à Nahmias relatives à ce travail, voir Françoise Leriche, « Une nouvelle datation des dactylographies du Temps Perdu à la lumière de la Correspondance », Bulletin dʼInformations Proustiennes, n° 17, 1986, p. 7-20. Lʼédition Corr-Proust est lʼoccasion dʼaffiner plusieurs de ces dates. [FL]
Note n°2
Nahmias se défendra de ce reproche dans un commentaire rédigé dans le cahier numéroté « 6 » par Proust (Cahier 20, f. 54v-55r) : voir, dans la série des billets adressés par Nahmias à Proust dans les marges de ses cahiers au cours du mois de mars 1912 (CP 02307 ; Kolb, XI, n° 43), celui qui se trouve sur la page « 72ter ». [PK, PW, FL]
Note n°3génétique
Il sʼagit du Cahier 20 du fonds Proust, ainsi renuméroté par Florence Callu après lʼentrée du fonds à la BnF. Les Cahiers 15 à 21 (cahiers de mise au net de type « Sévigné » à couverture de moleskine noire) avaient été numérotés de « 1 » à « 7 » à la peinture orange par Proust (ou lʼun de ses secrétaires). Dans lʼétat actuel de leur conservation, on ne trouve plus que quatre cahiers portant trace de cette numérotation dʼorigine : des couvertures ont disparu et ont été remplacées par des couvertures neuves (Cahiers 15, 18 et 20) ; dʼautres ont été interchangées lors de la restauration. Voir « Les Cahiers Marcel Proust conservés à la Bibliothèque nationale : inventaire matériel et descriptif », BIP, n° 1, printemps 1975, p. 13-19. Un premier inventaire avait été partiellement réalisé par Theodore Johnson, qui en avait publié les résultats dans la revue américaine P.R.A.N., n° 2, été 1969, p. 15 sqq. [PK, SL, FL]
Note n°4génétique
Le Cahier 20, qui comporte en tête de son premier folio lʼindication « Troisième partie », commence en effet par un ensemble de pages numérotées à partir de « 1 » au crayon bleu (voir Cahier 20, f. 1r). De cette troisième partie du roman de 1912, il ne reste plus dans Du côté de chez Swann que les cinquante premières pages, dans la section « Noms de pays : le Nom » (CS, I, 376 sqq.), Proust ayant fait le choix éditorial, en 1913, de reporter tout le reste dans le tome suivant. [PK, FL]
Note n°5génétique
En effet, dans ce cahier « 6 », Proust a paginé au crayon bleu de « 1 » (Cahier 20, f. 1r) à « 18 » (Cahier 20, f. 18r) tout un ensemble de pages (qui comprend aussi quelques pages « bis »), et en face de la page « 18 », au f. 17v, il a rédigé au crayon bleu une indication de montage destinée à Nahmias, précisant que les pages numérotées à lʼencre 1, 2, 3 (qui constituent la suite du texte) se trouvent dans le « cahier 7 » (Cahier 21). [PW, FL]
Note n°6
Il sʼagit (semble-t-il) de Jenö Aranyi, un ami de Nahmias, fils aîné du journaliste politique hongrois Maximilien Aranyi, artisan des relations culturelles franco-hongroises, demeurant au 55, avenue Kléber. (Il est déjà mentionné dans une lettre à Nahmias de [novembre 1909], CP 02037 ; Kolb, IX, n° 112). Proust utilise généralement ce nom pour se moquer du style répétitif de ses propres explications (voir par exemple : « Je me répète, comme Aranyi, mais ce ne sera jamais trop clair », dans la lettre à Nahmias du [mercredi 28 février 1912], CP 02283 ; Kolb, XI, n° 19), quasi contemporaine de celle-ci. Jamais Proust nʼavait autant utilisé ce nom quʼici, où il le cite onze fois. [PK, PW]
Note n°7génétique
Dans le « cahier 6 » en question, Proust a barré en croix, en ajoutant « barré », un grand nombre de feuillets après la « page 18 » (par exemple, du Cahier 20, f. 18v au f. 23r, puis de nouveau du f. 28v au f. 47r, et ainsi de suite). [PW]
Note n°8génétique
Il sʼagit du Cahier 24, désigné par Proust comme « 3e cahier », ou encore « cahier sans numéro ». [PK]
Note n°9génétique
En effet, au début du Cahier 24, folios 1r à 11r, trois fragments non paginés concernent M. de Gurcy (ancien nom de Charlus) et les Verdurin, puis les tentatives du protagoniste pour entrer en relation avec la baronne Picpus dont il convoite la femme de chambre, épisodes destinés à des parties ultérieures du roman. Cʼest au f. 13r, quʼon trouve la mention : « Suite du cahier 6 » et au folio suivant, f. 14r, lʼindication « Page 12 / Commencer ici ». [PK, PW, FL]
Note n°10génétique
Cependant, certaines feuilles volantes ont ensuite été collées : ainsi, à la page « 95 » (Cahier 24, f. 41r), Proust écrit en marge « le 96 est une page détachée » ; or on la trouve collée au folio suivant (Cahier 24, f. 42r), montée sur un onglet. On ne sait si cʼest Nahmias qui a collé ces pages, peut-être pour éviter à la dactylographe de les égarer, ou si cʼest une opération menée lors de la restauration des cahiers à la BnF. [PW, FL]
Note n°11génétique
Voir par exemple les indications destinées à Nahmias dans le « cahier 6 » : CP 02305. [PW]
Note n°12génétique
Le Cahier 21. [PW]
Note n°13
Maximilien et Emma Aranyi ayant eu plusieurs enfants, dont Jenö (1888-?), Imre (1889-1950), Laszlo (1890-1892), Magda (1895-1976), tous nés à Budapest selon les registres dʼétat civil juifs de Hongrie, Jenö doit être lʼami de Nahmias dont Proust se moque tout au long de cette lettre. [FL]
Note n°14génétique
Aucune référence explicite à cette œuvre ou à sa fameuse « Marche hongroise » nʼapparaît dans ces cahiers, sauf inadvertance de notre part. Kolb suggère que cette allusion désigne le passage décrivant un rayon de soleil sur le balcon qui, dʼabord faible, sʼintensifie « par un de ces crescendos continus comme ceux qui, en musique, à la fin dʼune Ouverture, mènent une seule note jusquʼau fortissimo suprême en la faisant passer rapidement par tous les degrés intermédiaires » (CS, I, 389), cette analyse musicale pouvant en effet évoquer le fortissimo final de la Marche de Rakoczy (voir note 15 ci-après). – Le manuscrit de ce passage se trouve dans le « cahier 6 » (Cahier 20, f. 24r), au milieu dʼune page numérotée à lʼencre (« 4 ») qui continue un épisode commencé dans le « cahier 7 » (voir Cahier 21, f. 1r à f. 3r) où il nʼest nullement question de musique ni de Marche hongroise. (Les « pages déjà dactylographiées » que Proust dit, dans le Cahier 21, vouloir intercaler avant la « page 4 », donc plus anciennes, ne peuvent non plus constituer un repère musical où « reprendre » la copie, puisquʼil ne les joint pas.) — Le verbe introducteur de la parenthèse semble être « répondre » plutôt que « reprendre » (Wise) ou « refondre » (Kolb). Sans doute sʼagit-il dʼune nouvelle moquerie (dont le sens nous échappe) à lʼégard dʼAranyi, comme toutes les parenthèses de cette lettre ? Si la parenthèse signifie au contraire quʼil faut, après un passage par le « cahier 7 », « reprendre » la copie à la Marche hongroise, cʼest-à-dire dans le « cahier 6 » à la page numérotée elle aussi à lʼencre (page « 4 »), la consigne paraît particulièrement obscure. [FL]
Note n°15
Proust, comme souvent, a hésité sur lʼorthographe de ce nom étranger : il semble avoir dʼabord écrit « Racoksky », puis avoir ajouté un z devant le k, peut-être par confusion orthographique ou phonétique entre la Marche de Rakoczy (prononcer "rakotsi"), composée par Berlioz en 1846 (et intégrée ensuite à La Damnation de Faust), et la Marche de Radetzky, marche militaire viennoise composée en 1848 par Johann Strauss en lʼhonneur du maréchal autrichien Joseph Radetzky. (Je remercie Cécile Leblanc pour lʼidentification de « Rakoczy » sous lʼorthographe approximative de Proust.) Ces deux marches célèbres, souvent jouées dans les concerts publics, étaient traditionnellement, lʼune comme lʼautre, acclamées par les auditeurs qui en scandaient le rythme avec leurs mains et leurs pieds. — La « Rakoczy-indulo », dans la Hongrie occupée par les Autrichiens, était comme un hymne national et un symbole de résistance. La fameuse « Marche hongroise » de Berlioz en est une adaptation quʼil composa pour un concert à Pest en 1846, avec ce crescendo et le fortissimo final où le public hongrois vit un symbole de victoire : le morceau fut acclamé avec frénésie (voir Hector Berlioz, Mémoires, Michel Lévy éd., 1870, p. 367-368) et, dans les décennies qui suivirent, cette marche fut régulièrement bissée. Pour une histoire de cet air national, voir cette page. — Le double jeu de mots de Proust, sur « bis » et « déconcertant », suggère que Nahmias avait dû entendre ce morceau bissé en concert et pouvait saisir lʼallusion. [FL]
Note n°16génétique
À vrai dire, dans le cahier en question, cʼest la page numérotée « 4bis » (Cahier 20, f. 4v) qui se trouve au verso de la page « 5 » (Cahier 20, f. 4r). Mais le cas se présente de nombreuses fois, avec des distorsions dans lʼordre des pages qui peuvent être importantes. [PW, FL]
Note n°17
Proust devait le remercier pour les renseignements fournis fin décembre 1911 sur les restaurants de 1880 (voir CP 05400 ; BIP, n° 37, p. 18-21), à moins quʼil ne sʼagisse de conseils ou dʼaide concernant la liquidation de ses actions minières (Rand Mines etc.) à la fin de février 1912, puisquʼil était banquier. Fin mars, Proust présentera encore des excuses pour le retard de ses remerciements : voir la lettre du [vendredi 29 mars 1912] (CP 02303 ; Kolb, XI, n° 39). [PW, FL]
Note
Berlioz, Hector La Damnation de Faust 1846


Mots-clefs :genèse
Date de mise en ligne : September 23, 2024 03:56
Date de la dernière mise à jour : September 23, 2024 03:56
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