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CP 01792 Marcel Proust à Robert de Billy [avril 1908]

Surlignage

Mon petit Robert

Jʼespère, jʼespère beaucoup car jʼ
y pense sans cesse, que votre
lettre signifie implicitement
que votre beau père va mieux. Quelle
joie profonde, quelle vraie joie
quʼon voudrait payer bien cher, ce
serait pour moi, si ce mieux était
définitif. Je crois que je serais capa-
ble de guérir moi-même dans mon
bonheur pour aller voir votre beaupère
et jouir de sa guérison.
Qui donc avait pu dire à votre ami


que je traduisais Praeterita et
ce que les éditeurs de Ruskin y ont
ajouté de correspondances et de journal  ?
Je ne croyais pas en avoir parlé. En
tout cas cʼest à peine commencé et
je mʼeffacerai volontiers devant votre
ami, ce que jʼai déjà fait pour
des « Pages choisies » devant M. de
la Sizeranne
. M on a seule considéra-
tion dans ce genre de choses est celle-
ci : « Quʼest-ce qui est le plus
avantageux pour Ruskin, qui est
le capable de le faire mieux connaître
etc ». Or dans lʼétat actuel de
ma santé il est si improbable que je puisse mener à
bien un si long travail quʼil est préférable que ce
soit votre ami. Mais est-il un poete. Praeterita
est écrit avec des couleurs « passées », quel évocateur
il faut être pour traduire cela. A-t-il un peu
de sortilège au bout de sa plume ? Fera-t-il des
notes. Cʼest indispensable. Sʼil craint de ne pas
savoir assez il pourrait faire ce que les traducteurs
de Mornings in Florence ont fait, faire mettre
les notes par un autre (ils ont même fait par dix autres
ce qui est beaucoup). Dans ce cas sʼil voulait me
confier les épreuves de sa traduction quand elle sera
finie je lʼannoterais volontiers, si on me donne beaucoup
de place, quelques mois, et une entière indépendance de
vues. Mon petit Robert, la Bible dʼAmiens disant que le
Protestantisme actuel concoit la Croix comme un radeau
destiné à porter nos valeurs mobilières intactes jusquʼau
paradis, ne soyez pas scandalisé que je passe de Ruskin
aux Pins des Landes, et sachez moi je vous prie où on peut en
acheter et si cela vaut mieux en ce moment que le Harpener
ou le Gelsenkirchen dont vous mʼavez parlé

Tendrement à vous

Marcel Proust

Surlignage
 

Mon petit Robert

Jʼespère, jʼespère beaucoup car jʼy pense sans cesse, que votre lettre signifie implicitement que votre beau-père va mieux. Quelle joie profonde, quelle vraie joie quʼon voudrait payer bien cher, ce serait pour moi, si ce mieux était définitif. Je crois que je serais capable de guérir moi-même dans mon bonheur pour aller voir votre beau-père et jouir de sa guérison. Qui donc avait pu dire à votre ami


 que je traduisais Praeterita et ce que les éditeurs de Ruskin y ont ajouté de correspondances et de journal  ? Je ne croyais pas en avoir parlé. En tout cas cʼest à peine commencé et je mʼeffacerai volontiers devant votre ami, ce que jʼai déjà fait pour des « Pages choisies » devant M. de La Sizeranne. Ma seule considération dans ce genre de choses est celle- ci : « Quʼest-ce qui est le plus avantageux pour Ruskin, qui est capable de le faire mieux connaître etc. ». Or dans lʼétat actuel de
 ma santé il est si improbable que je puisse mener à bien un si long travail quʼil est préférable que ce soit votre ami. Mais est-il un poète. Praeterita cʼest écrit avec des couleurs « passées », quel évocateur il faut être pour traduire cela. A-t-il un peu de sortilège au bout de sa plume ? Fera-t-il des notes. Cʼest indispensable. Sʼil craint de ne pas savoir assez il pourrait faire ce que les traducteurs de Mornings in Florence ont fait, faire mettre
 les notes par un autre (ils ont même fait par dix autres ce qui est beaucoup). Dans ce cas sʼil voulait me confier les épreuves de sa traduction quand elle sera finie je lʼannoterais volontiers, si on me donne beaucoup de place, quelques mois, et une entière indépendance de vues. Mon petit Robert, la Bible dʼAmiens disant que le protestantisme actuel conçoit la Croix comme un radeau destiné à porter nos valeurs mobilières intactes jusquʼau paradis, ne soyez pas scandalisé que je passe de Ruskin aux Pins des Landes, et sachez-moi je vous prie où on peut en acheter et si cela vaut mieux en ce moment que le Harpener ou le Gelsenkirchen dont vous mʼavez parlé.

Tendrement à vous,

Marcel Proust

Note n°1
Le papier de lʼoriginal est identique à celui de la lettre à Mme Daniel Mayer du [20 ou 27 mars 1908] (CP 01771 ; Kolb, VIII, n° 27). La présente lettre est probablement postérieure à celle que Proust avait adressée à Billy [vers le 1er avril 1908] (CP 01781 ; Kolb, VIII, n° 37) : lʼallusion à la santé du beau-père de Billy, Paul Mirabaud (voir note 2 ci-après), permet de situer cette lettre dans le courant du mois dʼavril ou aux premiers jours de mai 1908. [PK, FL]
Note n°2
Après la mort de Paul Mirabaud, survenue le mardi 12 mai 1908 (voir lʼannonce dans Le Temps du 14 mai 1908, p. 3, et la communication de ses obsèques, prévus pour le 16 mai, à la p. 2 du Figaro du 14 mai et du 15 mai 1908), Proust évoquera « ces alternatives de mieux apparent [...] et de rechutes chaque fois plus profondes » (voir la lettre à Billy de [vers la fin de mai 1911] : CP 02200 ; Kolb, X, n° 143). [PK, ChC]
Note n°3génétique
Quel crédit faut-il accorder ici à Proust ? Le premier volume de Præterita de John Ruskin (cf. note 4 ci-dessous) avait été publié en 1886. Proust avait pu en lire quelques extraits traduits par Robert de La Sizeranne dans Ruskin et la religion de la beauté (Paris, Hachette, 1897 : voir « Notes et références »). En 1904, l’édition de La Bible d’Amiens en propose de nombreuses citations : voir notamment la note 1, p. 67 (PM, p. 122 ; Essais, p. 525) de la « Préface », la note 2, p. 105-106 et la note 1, p. 106 (PM, p. 74-76 ; Essais, p. 483-485) du Chapitre I, la note 2, p. 212-214 et les notes 1 et 2, p. 242 du Chapitre III (PM, p. 91 ; Essais, p. 498), la note 2, p. 336 du Chapitre IV. Un passage est emprunté à une précédente traduction (Proust cite d’après Jacques Bardoux, Le Mouvement idéaliste et social dans la littérature anglaise au XIXe siècle : John Ruskin, Coulommiers, impr. de P. Brodard, 1900 : voir la note 1, p. 233 du Chapitre III ; cf. J. Autret, LʼInfluence de Ruskin sur la vie, les idées et lʼœuvre de Marcel Proust, Genève/Lille, Droz/Giard, 1955, p. 57-58). Pour les autres citations, il est vraisemblable que Proust, peu familier de la langue anglaise, avait recouru, comme pour The Bible of Amiens, à l’aide de sa mère. Une page de la main de Mme Proust où figure la traduction d’une de ces notes l’atteste (NAF 16617, f. 74, pour la note 2, p. 105-106). On trouve dans le fonds Proust d’autres fragments de Præterita traduits (NAF 16622, f. 11, 12, 13) ou simplement recopiés (NAF 16622, f. 33-45) par Jeanne Proust (les références aux volumes et à la pagination montrent que l’édition qu’elle utilise est celle de 1899 pour le premier volume, et de 1887 pour le deuxième, lequel est emprunté, comme le montre la référence à une cote). Quand il écrit cette lettre à Robert de Billy, Proust a sans doute reçu Præterita dans la « Library Edition » (voir note 4), mais on peut mettre en doute qu’il en ait, même « à peine », « commencé » la traduction, comme il l’écrit quelques lignes plus loin. [ChC, NM]
Note n°4
Dès sa première édition chez George Allen, l’autobiographie de Ruskin Præterita : Outlines and Thoughts Perhaps Worthy of Memory in My Past Life (1886-1889, 3 vol.) s’achève sur la section « Dilecta », qui inclut une partie de la correspondance de Ruskin, ainsi que ses notes de lecture et des fragments choisis de son journal intime ; une deuxième édition, identique à la première, paraît en 1907. La présence de Dilecta à la suite de Præterita fait donc bien partie du projet de Ruskin, contrairement à ce que semble suggérer Proust (« ce que les éditeurs de Ruskin y ont ajouté de correspondances et de journal »). Cette mention des « éditeurs de Ruskin » suggère en tous cas qu’il a déjà reçu Præterita and Dilecta, le volume XXXV de la « Library Edition » des œuvres complètes de Ruskin qui venait de paraître en 1908, édité comme les précédents par E. T. Cook et Alexander Wedderburn (The Works of John Ruskin, Londres, George Allen, 1903-1912). Rappelons que Mme Proust avait offert à son fils une souscription à la « Library Edition » pour ses étrennes de 1905 (CP 01152 ; Kolb, V, n° 15). [ChC, NM]
Note n°5
Le volume en question devait en effet paraître au cours de lʼannée : Pages choisies : Ruskin. Avec une introduction de Robert de La Sizeranne, Paris, Hachette, 1908. Dans une lettre à Robert de La Sizeranne de [peu après le 5 juin 1906] (CP 05310 ; Kolb, XXI, n° 455), Proust avait déjà prétendu « sʼeffacer » devant son aîné (voir aussi la lettre du même au même du [5 juin 1906] : CP 05309 ; Kolb, XXI, n° 454). En réalité, la publication de La Sizeranne arrangeait Proust, qui avait profité de ce projet pour se dégager de la promesse quʼil avait dû faire en 1902 à Alfred Vallette de donner lui-même des « Pages choisies » au Mercure de France. En 1917, il y revient en des termes peu favorables à La Sizeranne : « J’avais fait un recueil de ces pages, mais je l’ai détruit à la prière, ou plutôt sur l’injonction – car c’est plutôt sa manière – de M. de La Sizeranne qui avait fait lui-même un recueil de ce genre non encore publié alors et ne voulait pas se laisser “damer le pion” » (lettre à Jacques Hébertot, [31 janvier 1917] : CP 03233, Kolb, XVI, n° 7). Sur Robert de La Sizeranne, voir également la note 6 ci-dessous. [PK, NM]
Note n°6
On ne sait quel est lʼami de Robert de Billy dont celui-ci se fait le porte-parole. En 1911, paraîtra chez Hachette Præterita. Souvenirs de jeunesse, de John Ruskin, traduction de Mme Gaston Paris, avec une préface de Robert de La Sizeranne. Lʼépouse de lʼacadémicien Gaston Paris, née Marguerite Mahou (1852-1917), qui utilisait aussi le pseudonyme de Robert de Cerisy, était une traductrice de lʼanglais mais ne semble pas avoir dʼœuvre poétique. (« Mais est-il un poète. Præterita est écrit avec des couleurs “passées”, quel évocateur il faut être pour traduire cela. ») Quant à Robert de La Sizeranne, fils du peintre paysagiste Max Monier de La Sizeranne (1825-1906), il était critique d’art à la Revue des Deux Mondes. Remarquons que cette première traduction française de Præterita ne correspond que partiellement à l’ouvrage original en trois volumes de Ruskin. Son sous-titre étant « Souvenirs de jeunesse », la traduction de 1911 se limite aux souvenirs d’enfance et d’adolescence, contenus notamment dans le premier volume et dans les deux premiers chapitres du deuxième volume de lʼédition anglaise. La section « Dilecta » n’est donc pas présente. [PK, CSz, FL, ChC]
Note n°7
Il sʼagit de Les Matins à Florence : simples études dʼart chrétien de John Ruskin, paru chez Laurens en 1906. (Lʼédition de 1908 de cet ouvrage est consultable en ligne.) Proust exagère le nombre de collaborateurs : la traduction fut assurée par Eugénie Nypels, la préface par Robert de La Sizeranne, lʼavant-propos et lʼannotation par Émile Cammaerts. Ce dernier remercie Robert de La Sizeranne et Charles Newton Scott pour leurs conseils et leur érudition. Dans une lettre à Auguste Marguillier [vers le début de décembre 1906] (CP 01518 ; Kolb, VI, n° 169), Proust reconnaît que « les auteurs » de Les Matins à Florence lʼont « si honnêtement cité ». On trouve dans cet ouvrage mention, en note de bas de page, parmi les travaux ruskiniens récents, des « articles de M. Proust (Mercure de France) reproduits dans sa préface à la Bible dʼAmiens » (Les Matins à Florence : simples études dʼart chrétien, op. cit., p. XI), et sa traduction est citée ici et là (ibid., p. XIX, XX-XXII). [CSz, FL, ChC]
Note n°8
« Vous voyez que jʼai réuni les mots "charité" et "travail" sous le terme général de "portant la croix". "Si quelquʼun veut me suivre quʼil renonce à soi-même (par la charité) et porte sa croix (par le labeur) et me suive." Lʼidée a été exactement renversée par le protestantisme moderne qui voit dans la croix non pas un gibet auquel il doit être cloué mais un radeau sur lequel lui et toutes ses propriétés de valeur seront portés sur les flots jusquʼau paradis ». (J. Ruskin, La Bible dʼAmiens, traduction, notes et préface par Marcel Proust, Paris, Mercure de France, 1904, chapitre III, paragraphe 43, page 231.) [PK, FL]
Note
John Ruskin Præterita : Outlines of Scenes and Thoughts Perhaps Worthy of Memory in My Past Life pubPlace publisher 1886-1889
Note
John Ruskin Pages choisies : Ruskin. Avec une introduction de Robert de La Sizeranne pubPlace publisher 1908
Note
John Ruskin Præterita : Outlines of Scenes and Thoughts Perhaps Worthy of Memory in My Past Life pubPlace publisher 1886-1889
Note
John Ruskin The Works of John Ruskin Volume XXIII. Mornings in Florence : Simple Studies of Christian Art, for English Travellers editor pubPlace publisher 1906 [1875-1887]
Note
John Ruskin La Bible dʼAmiens. Traduction, notes et préface par Marcel Proust pubPlace publisher 1904


Mots-clefs :argentéditionlecturesreligion
Date de mise en ligne : December 12, 2022 09:58
Date de la dernière mise à jour : March 14, 2024 11:52
Surlignage

Mon petit Robert

Jʼespère, jʼespère beaucoup car jʼ
y pense sans cesse, que votre
lettre signifie implicitement
que votre beau père va mieux. Quelle
joie profonde, quelle vraie joie
quʼon voudrait payer bien cher, ce
serait pour moi, si ce mieux était
définitif. Je crois que je serais capa-
ble de guérir moi-même dans mon
bonheur pour aller voir votre beaupère
et jouir de sa guérison.
Qui donc avait pu dire à votre ami


que je traduisais Praeterita et
ce que les éditeurs de Ruskin y ont
ajouté de correspondances et de journal  ?
Je ne croyais pas en avoir parlé. En
tout cas cʼest à peine commencé et
je mʼeffacerai volontiers devant votre
ami, ce que jʼai déjà fait pour
des « Pages choisies » devant M. de
la Sizeranne
. M on a seule considéra-
tion dans ce genre de choses est celle-
ci : « Quʼest-ce qui est le plus
avantageux pour Ruskin, qui est
le capable de le faire mieux connaître
etc ». Or dans lʼétat actuel de
ma santé il est si improbable que je puisse mener à
bien un si long travail quʼil est préférable que ce
soit votre ami. Mais est-il un poete. Praeterita
est écrit avec des couleurs « passées », quel évocateur
il faut être pour traduire cela. A-t-il un peu
de sortilège au bout de sa plume ? Fera-t-il des
notes. Cʼest indispensable. Sʼil craint de ne pas
savoir assez il pourrait faire ce que les traducteurs
de Mornings in Florence ont fait, faire mettre
les notes par un autre (ils ont même fait par dix autres
ce qui est beaucoup). Dans ce cas sʼil voulait me
confier les épreuves de sa traduction quand elle sera
finie je lʼannoterais volontiers, si on me donne beaucoup
de place, quelques mois, et une entière indépendance de
vues. Mon petit Robert, la Bible dʼAmiens disant que le
Protestantisme actuel concoit la Croix comme un radeau
destiné à porter nos valeurs mobilières intactes jusquʼau
paradis, ne soyez pas scandalisé que je passe de Ruskin
aux Pins des Landes, et sachez moi je vous prie où on peut en
acheter et si cela vaut mieux en ce moment que le Harpener
ou le Gelsenkirchen dont vous mʼavez parlé

Tendrement à vous

Marcel Proust

Surlignage
 

Mon petit Robert

Jʼespère, jʼespère beaucoup car jʼy pense sans cesse, que votre lettre signifie implicitement que votre beau-père va mieux. Quelle joie profonde, quelle vraie joie quʼon voudrait payer bien cher, ce serait pour moi, si ce mieux était définitif. Je crois que je serais capable de guérir moi-même dans mon bonheur pour aller voir votre beau-père et jouir de sa guérison. Qui donc avait pu dire à votre ami


 que je traduisais Praeterita et ce que les éditeurs de Ruskin y ont ajouté de correspondances et de journal  ? Je ne croyais pas en avoir parlé. En tout cas cʼest à peine commencé et je mʼeffacerai volontiers devant votre ami, ce que jʼai déjà fait pour des « Pages choisies » devant M. de La Sizeranne. Ma seule considération dans ce genre de choses est celle- ci : « Quʼest-ce qui est le plus avantageux pour Ruskin, qui est capable de le faire mieux connaître etc. ». Or dans lʼétat actuel de
 ma santé il est si improbable que je puisse mener à bien un si long travail quʼil est préférable que ce soit votre ami. Mais est-il un poète. Praeterita cʼest écrit avec des couleurs « passées », quel évocateur il faut être pour traduire cela. A-t-il un peu de sortilège au bout de sa plume ? Fera-t-il des notes. Cʼest indispensable. Sʼil craint de ne pas savoir assez il pourrait faire ce que les traducteurs de Mornings in Florence ont fait, faire mettre
 les notes par un autre (ils ont même fait par dix autres ce qui est beaucoup). Dans ce cas sʼil voulait me confier les épreuves de sa traduction quand elle sera finie je lʼannoterais volontiers, si on me donne beaucoup de place, quelques mois, et une entière indépendance de vues. Mon petit Robert, la Bible dʼAmiens disant que le protestantisme actuel conçoit la Croix comme un radeau destiné à porter nos valeurs mobilières intactes jusquʼau paradis, ne soyez pas scandalisé que je passe de Ruskin aux Pins des Landes, et sachez-moi je vous prie où on peut en acheter et si cela vaut mieux en ce moment que le Harpener ou le Gelsenkirchen dont vous mʼavez parlé.

Tendrement à vous,

Marcel Proust

Note n°1
Le papier de lʼoriginal est identique à celui de la lettre à Mme Daniel Mayer du [20 ou 27 mars 1908] (CP 01771 ; Kolb, VIII, n° 27). La présente lettre est probablement postérieure à celle que Proust avait adressée à Billy [vers le 1er avril 1908] (CP 01781 ; Kolb, VIII, n° 37) : lʼallusion à la santé du beau-père de Billy, Paul Mirabaud (voir note 2 ci-après), permet de situer cette lettre dans le courant du mois dʼavril ou aux premiers jours de mai 1908. [PK, FL]
Note n°2
Après la mort de Paul Mirabaud, survenue le mardi 12 mai 1908 (voir lʼannonce dans Le Temps du 14 mai 1908, p. 3, et la communication de ses obsèques, prévus pour le 16 mai, à la p. 2 du Figaro du 14 mai et du 15 mai 1908), Proust évoquera « ces alternatives de mieux apparent [...] et de rechutes chaque fois plus profondes » (voir la lettre à Billy de [vers la fin de mai 1911] : CP 02200 ; Kolb, X, n° 143). [PK, ChC]
Note n°3génétique
Quel crédit faut-il accorder ici à Proust ? Le premier volume de Præterita de John Ruskin (cf. note 4 ci-dessous) avait été publié en 1886. Proust avait pu en lire quelques extraits traduits par Robert de La Sizeranne dans Ruskin et la religion de la beauté (Paris, Hachette, 1897 : voir « Notes et références »). En 1904, l’édition de La Bible d’Amiens en propose de nombreuses citations : voir notamment la note 1, p. 67 (PM, p. 122 ; Essais, p. 525) de la « Préface », la note 2, p. 105-106 et la note 1, p. 106 (PM, p. 74-76 ; Essais, p. 483-485) du Chapitre I, la note 2, p. 212-214 et les notes 1 et 2, p. 242 du Chapitre III (PM, p. 91 ; Essais, p. 498), la note 2, p. 336 du Chapitre IV. Un passage est emprunté à une précédente traduction (Proust cite d’après Jacques Bardoux, Le Mouvement idéaliste et social dans la littérature anglaise au XIXe siècle : John Ruskin, Coulommiers, impr. de P. Brodard, 1900 : voir la note 1, p. 233 du Chapitre III ; cf. J. Autret, LʼInfluence de Ruskin sur la vie, les idées et lʼœuvre de Marcel Proust, Genève/Lille, Droz/Giard, 1955, p. 57-58). Pour les autres citations, il est vraisemblable que Proust, peu familier de la langue anglaise, avait recouru, comme pour The Bible of Amiens, à l’aide de sa mère. Une page de la main de Mme Proust où figure la traduction d’une de ces notes l’atteste (NAF 16617, f. 74, pour la note 2, p. 105-106). On trouve dans le fonds Proust d’autres fragments de Præterita traduits (NAF 16622, f. 11, 12, 13) ou simplement recopiés (NAF 16622, f. 33-45) par Jeanne Proust (les références aux volumes et à la pagination montrent que l’édition qu’elle utilise est celle de 1899 pour le premier volume, et de 1887 pour le deuxième, lequel est emprunté, comme le montre la référence à une cote). Quand il écrit cette lettre à Robert de Billy, Proust a sans doute reçu Præterita dans la « Library Edition » (voir note 4), mais on peut mettre en doute qu’il en ait, même « à peine », « commencé » la traduction, comme il l’écrit quelques lignes plus loin. [ChC, NM]
Note n°4
Dès sa première édition chez George Allen, l’autobiographie de Ruskin Præterita : Outlines and Thoughts Perhaps Worthy of Memory in My Past Life (1886-1889, 3 vol.) s’achève sur la section « Dilecta », qui inclut une partie de la correspondance de Ruskin, ainsi que ses notes de lecture et des fragments choisis de son journal intime ; une deuxième édition, identique à la première, paraît en 1907. La présence de Dilecta à la suite de Præterita fait donc bien partie du projet de Ruskin, contrairement à ce que semble suggérer Proust (« ce que les éditeurs de Ruskin y ont ajouté de correspondances et de journal »). Cette mention des « éditeurs de Ruskin » suggère en tous cas qu’il a déjà reçu Præterita and Dilecta, le volume XXXV de la « Library Edition » des œuvres complètes de Ruskin qui venait de paraître en 1908, édité comme les précédents par E. T. Cook et Alexander Wedderburn (The Works of John Ruskin, Londres, George Allen, 1903-1912). Rappelons que Mme Proust avait offert à son fils une souscription à la « Library Edition » pour ses étrennes de 1905 (CP 01152 ; Kolb, V, n° 15). [ChC, NM]
Note n°5
Le volume en question devait en effet paraître au cours de lʼannée : Pages choisies : Ruskin. Avec une introduction de Robert de La Sizeranne, Paris, Hachette, 1908. Dans une lettre à Robert de La Sizeranne de [peu après le 5 juin 1906] (CP 05310 ; Kolb, XXI, n° 455), Proust avait déjà prétendu « sʼeffacer » devant son aîné (voir aussi la lettre du même au même du [5 juin 1906] : CP 05309 ; Kolb, XXI, n° 454). En réalité, la publication de La Sizeranne arrangeait Proust, qui avait profité de ce projet pour se dégager de la promesse quʼil avait dû faire en 1902 à Alfred Vallette de donner lui-même des « Pages choisies » au Mercure de France. En 1917, il y revient en des termes peu favorables à La Sizeranne : « J’avais fait un recueil de ces pages, mais je l’ai détruit à la prière, ou plutôt sur l’injonction – car c’est plutôt sa manière – de M. de La Sizeranne qui avait fait lui-même un recueil de ce genre non encore publié alors et ne voulait pas se laisser “damer le pion” » (lettre à Jacques Hébertot, [31 janvier 1917] : CP 03233, Kolb, XVI, n° 7). Sur Robert de La Sizeranne, voir également la note 6 ci-dessous. [PK, NM]
Note n°6
On ne sait quel est lʼami de Robert de Billy dont celui-ci se fait le porte-parole. En 1911, paraîtra chez Hachette Præterita. Souvenirs de jeunesse, de John Ruskin, traduction de Mme Gaston Paris, avec une préface de Robert de La Sizeranne. Lʼépouse de lʼacadémicien Gaston Paris, née Marguerite Mahou (1852-1917), qui utilisait aussi le pseudonyme de Robert de Cerisy, était une traductrice de lʼanglais mais ne semble pas avoir dʼœuvre poétique. (« Mais est-il un poète. Præterita est écrit avec des couleurs “passées”, quel évocateur il faut être pour traduire cela. ») Quant à Robert de La Sizeranne, fils du peintre paysagiste Max Monier de La Sizeranne (1825-1906), il était critique d’art à la Revue des Deux Mondes. Remarquons que cette première traduction française de Præterita ne correspond que partiellement à l’ouvrage original en trois volumes de Ruskin. Son sous-titre étant « Souvenirs de jeunesse », la traduction de 1911 se limite aux souvenirs d’enfance et d’adolescence, contenus notamment dans le premier volume et dans les deux premiers chapitres du deuxième volume de lʼédition anglaise. La section « Dilecta » n’est donc pas présente. [PK, CSz, FL, ChC]
Note n°7
Il sʼagit de Les Matins à Florence : simples études dʼart chrétien de John Ruskin, paru chez Laurens en 1906. (Lʼédition de 1908 de cet ouvrage est consultable en ligne.) Proust exagère le nombre de collaborateurs : la traduction fut assurée par Eugénie Nypels, la préface par Robert de La Sizeranne, lʼavant-propos et lʼannotation par Émile Cammaerts. Ce dernier remercie Robert de La Sizeranne et Charles Newton Scott pour leurs conseils et leur érudition. Dans une lettre à Auguste Marguillier [vers le début de décembre 1906] (CP 01518 ; Kolb, VI, n° 169), Proust reconnaît que « les auteurs » de Les Matins à Florence lʼont « si honnêtement cité ». On trouve dans cet ouvrage mention, en note de bas de page, parmi les travaux ruskiniens récents, des « articles de M. Proust (Mercure de France) reproduits dans sa préface à la Bible dʼAmiens » (Les Matins à Florence : simples études dʼart chrétien, op. cit., p. XI), et sa traduction est citée ici et là (ibid., p. XIX, XX-XXII). [CSz, FL, ChC]
Note n°8
« Vous voyez que jʼai réuni les mots "charité" et "travail" sous le terme général de "portant la croix". "Si quelquʼun veut me suivre quʼil renonce à soi-même (par la charité) et porte sa croix (par le labeur) et me suive." Lʼidée a été exactement renversée par le protestantisme moderne qui voit dans la croix non pas un gibet auquel il doit être cloué mais un radeau sur lequel lui et toutes ses propriétés de valeur seront portés sur les flots jusquʼau paradis ». (J. Ruskin, La Bible dʼAmiens, traduction, notes et préface par Marcel Proust, Paris, Mercure de France, 1904, chapitre III, paragraphe 43, page 231.) [PK, FL]
Note
John Ruskin Præterita : Outlines of Scenes and Thoughts Perhaps Worthy of Memory in My Past Life pubPlace publisher 1886-1889
Note
John Ruskin Pages choisies : Ruskin. Avec une introduction de Robert de La Sizeranne pubPlace publisher 1908
Note
John Ruskin Præterita : Outlines of Scenes and Thoughts Perhaps Worthy of Memory in My Past Life pubPlace publisher 1886-1889
Note
John Ruskin The Works of John Ruskin Volume XXIII. Mornings in Florence : Simple Studies of Christian Art, for English Travellers editor pubPlace publisher 1906 [1875-1887]
Note
John Ruskin La Bible dʼAmiens. Traduction, notes et préface par Marcel Proust pubPlace publisher 1904


Mots-clefs :argentéditionlecturesreligion
Date de mise en ligne : December 12, 2022 09:58
Date de la dernière mise à jour : March 14, 2024 11:52
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