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CP 02288 Marcel Proust à Albert Nahmias [mardi matin 12 mars 1912]

Surlignage

Cher Albert

Vous mʼavez écrit une lettre
datée dimanche qui portait sur lʼ
enveloppe imprimé le mot pneumatique.
Mais qui avait été mise en lettre et nʼ
a été distribuée chez moi que lundi soir.
Et encore je nʼai sonné quʼà 3 h. du
matin cʼest donc maintenant, dans la
nuit du lundi à mardi que je lʼai
eue tout navré de voir que vous


me demandiez un rendez-vous pour
lundi soir. Il est vrai quʼil
nʼy a rien à regretter, jʼétais
trop malade. Je viens de passer
quelques bien pénibles jours comme
santé. Dʼautre part, cher Albert
si je vous ai envoyé les cahiers cʼest
que la dernière fois vous mʼavez
par bonté quitté si tard, que
desespéréetre une cause
de trouble et de fatigue pour
vous je me suis juré de ne
plus vous « convoquer ». Cher Albert si jamais vous
voulez spéculer, commencez par me faire vendre. Car
jʼai une telle guigne que dès que jʼaurai vendu les
valeurs monteront. Les mines ne cessent pas de progresser
Et ce qui mʼenrage cʼest que quelques personnes ayant appris
que jʼavais joué, mais pas au courant et ignorant que
jʼavais liquidé mʼécrivent : « Tous nos compliments. Les
mines montent. Vous êtes entrain de vous faire un petit magot »
etc. Jʼai envoyé hier à Calmette un article sur
les Aubépines. Je ne sais sʼil le publiera car cʼest trop long
pour le peu de place quʼil accorde maintenant au 1er article,
et aussi trop peu « journal ». Néanmoins jetez un coup dʼœil sur
le Figaro ces temps-ci. Sʼil paraît, vous qui me connaissez le
lirez au moins avec indulgence.

Tendrement à vous

Marcel

Surlignage

Cher Albert

Vous mʼavez écrit une lettre datée dimanche qui portait sur lʼenveloppe imprimé le mot pneumatique. Mais qui avait été mise en lettre et nʼa été distribuée chez moi que lundi soir. Et encore je nʼai sonné quʼà trois heures du matin cʼest donc maintenant, dans la nuit du lundi à mardi que je lʼai eue tout navré de voir que vous me demandiez un rendez-vous pour lundi soir. Il est vrai quʼil nʼy a rien à regretter, jʼétais trop malade. Je viens de passer quelques bien pénibles jours comme santé. Dʼautre part, cher Albert si je vous ai envoyé les cahiers cʼest que la dernière fois vous mʼavez par bonté quitté si tard, que désespéréêtre une cause de trouble et de fatigue pour vous je me suis juré de ne plus vous « convoquer ». Cher Albert si jamais vous voulez spéculer, commencez par me faire vendre. Car jʼai une telle guigne que dès que jʼaurai vendu les valeurs monteront. Les mines ne cessent pas de progresser. Et ce qui mʼenrage cʼest que quelques personnes ayant appris que jʼavais joué, mais pas au courant et ignorant que jʼavais liquidé mʼécrivent : « Tous nos compliments. Les mines montent. Vous êtes en train de vous faire un petit magot » etc. Jʼai envoyé hier à Calmette un article sur les Aubépines. Je ne sais sʼil le publiera car cʼest trop long pour le peu de place quʼil accorde maintenant au premier article, et aussi trop peu « journal ». Néanmoins jetez un coup dʼœil sur Le Figaro ces temps-ci. Sʼil paraît, vous qui me connaissez le lirez au moins avec indulgence.

Tendrement à vous

Marcel

Note n°1
Lettre écrite « dans la nuit de lundi à mardi » après trois heures du matin. Les allusions à la liquidation de début mars (note 5) et à lʼarticle envoyé « hier à Calmette sur les Aubépines » (note 7) situent cette lettre après le 4 et avant le 21 mars 1912. Elle pourrait dater du mardi matin 5, 12 ou 19 mars. Mais comme Proust dit que « les mines ne cessent pas de progresser », il écrit nécessairement plusieurs jours après le 5 mars (voir note 6), donc probablement le [mardi matin 12 mars 1912], lʼenvoi de son article le 18 mars paraissant un peu tardif pour une publication dans Le Figaro du 21 mars, du fait de ses corrections dʼépreuves toujours minutieuses. Voir aussi sa lettre à Nahmias du [vendredi 29 mars 1912] (CP 02303 ; Kolb, XI, n° 39), qui suggère un délai de « quinze jours » avec cette lettre-ci. [PK]
Note n°2
Cette lettre ne nous est pas parvenue. Nahmias souhaitait sans doute obtenir de Proust la réponse aux nombreuses questions quʼil notait dans les marges des cahiers, au fur et à mesure de son travail préparatoire à la dactylographie (voir CP 02307). [FL]
Note n°3génétique
Proust a envoyé à Nahmias vers [fin février ou début mars 1912] (voir CP 02304 ; Kolb, XI, n° 40 et BIP, n° 37, p. 26-28) les Cahiers 20, 21 et 24 pour quʼil les fasse dactylographier. [SL, FL]
Note n°4génétique
Nous ne savons à quand remonte la séance de travail nocturne ici évoquée. Il sʼagit certainement du travail effectué par Nahmias en vue de la dactylographie dʼ« Un amour de Swann », puisquʼà la fin du séjour à Cabourg il restait encore une quarantaine de pages à faire dactylographier, ainsi que la refonte dʼune centaine pages du début, tapées par Miss Hayward à Cabourg : voir dans lʼarticle de Robert Brydges, « Analyse matérielle des dactylographies du Temps perdu », BIP, n° 16, 1985, p. 7-10, les pages effectuées par les dactylographes C et D. – Proust ayant, vers le début de février (CP 02280 ; Kolb, XI, n° 16) envoyé « bien en retard » à Nahmias un règlement de 300 francs pour le dernier travail accompli, on ne peut savoir si ces pages ont été effectuées en décembre 1911 ou finies en janvier 1912. Mais un certain laps de temps semble sʼêtre écoulé depuis ce dernier travail, puisque le [23 février 1912] (CP 02281 ; Kolb, XI, n° 17), Proust demandait au jeune homme sʼil aimait toujours sa prose et sʼil souhaitait reprendre son rôle. — Si la complexité du manuscrit à débrouiller semble nʼavoir pas découragé Nahmias, qui a accepté, Proust a donc changé de méthode de travail pour la troisième partie, jugeant Nahmias capable de déchiffrer son écriture et de sʼorienter seul dans les cahiers grâce à la pagination et aux indications de montage. La demande de rendez-vous de la part du jeune homme suggère que Proust a sans doute sous-estimé la difficulté de la tâche. [FL]
Note n°5
Allusion à la liquidation du 1er mars 1912, dont il est question dans les lettres à Nahmias des [23] et [28 février 1912] (CP 02281 et CP 02283 ; Kolb, XI, n° 17 et n° 19). [PK]
Note n°6
Dʼaprès le « Cours de la Bourse » en dernière page du Figaro, les Crown Mines étaient à 161 le 29 février, 166 le 1er mars puis, après une léger repli à 164.50 le 4 mars, elles étaient en progression régulière depuis le 5 mars et atteignaient 174.50 à la Bourse du 12 mars, et même 183 le 14 mars. Quant aux Rand Mines, pour la même période, elles cotaient 150.50 le 29 février, 153.50 le 1er mars, puis, après un repli à 151.50 le 4 mars, elles aussi progressaient depuis le 5 mars, atteignant 163 le 12 mars et 166 le 14 mars. — Proust ayant vendu ou liquidé en totalité ses 1500 Rand Mines et 300 Crown Mines, selon sa lettre du début février 1912 à Robert de Billy (CP 02279 ; Kolb, XI, n° 15), son manque à gagner sʼélevait donc pour chacune de ces deux actions à environ 12 ou 13 francs par titre, soit un total de plus de 22 000 francs (plus de 90 000 €) en deux semaines ! [PK, FL]
Note n°7
Cet article, intitulé « Épines blanches, épines roses », paraîtra dans Le Figaro du 21 mars 1912. — Par rapport à la version préparée pour le roman, le texte de lʼarticle est cependant partiellement allégé, et doté dʼune introduction au ton plus journalistique. [PK, FL]
Note
Proust, Marcel Le Figaro Épines blanches, épines roses 21 mars 1912


Mots-clefs :argentépistolaritégenèsepré-publicationssanté
Date de mise en ligne : August 24, 2024 04:31
Date de la dernière mise à jour : August 25, 2024 22:27
Surlignage

Cher Albert

Vous mʼavez écrit une lettre
datée dimanche qui portait sur lʼ
enveloppe imprimé le mot pneumatique.
Mais qui avait été mise en lettre et nʼ
a été distribuée chez moi que lundi soir.
Et encore je nʼai sonné quʼà 3 h. du
matin cʼest donc maintenant, dans la
nuit du lundi à mardi que je lʼai
eue tout navré de voir que vous


me demandiez un rendez-vous pour
lundi soir. Il est vrai quʼil
nʼy a rien à regretter, jʼétais
trop malade. Je viens de passer
quelques bien pénibles jours comme
santé. Dʼautre part, cher Albert
si je vous ai envoyé les cahiers cʼest
que la dernière fois vous mʼavez
par bonté quitté si tard, que
desespéréetre une cause
de trouble et de fatigue pour
vous je me suis juré de ne
plus vous « convoquer ». Cher Albert si jamais vous
voulez spéculer, commencez par me faire vendre. Car
jʼai une telle guigne que dès que jʼaurai vendu les
valeurs monteront. Les mines ne cessent pas de progresser
Et ce qui mʼenrage cʼest que quelques personnes ayant appris
que jʼavais joué, mais pas au courant et ignorant que
jʼavais liquidé mʼécrivent : « Tous nos compliments. Les
mines montent. Vous êtes entrain de vous faire un petit magot »
etc. Jʼai envoyé hier à Calmette un article sur
les Aubépines. Je ne sais sʼil le publiera car cʼest trop long
pour le peu de place quʼil accorde maintenant au 1er article,
et aussi trop peu « journal ». Néanmoins jetez un coup dʼœil sur
le Figaro ces temps-ci. Sʼil paraît, vous qui me connaissez le
lirez au moins avec indulgence.

Tendrement à vous

Marcel

Surlignage

Cher Albert

Vous mʼavez écrit une lettre datée dimanche qui portait sur lʼenveloppe imprimé le mot pneumatique. Mais qui avait été mise en lettre et nʼa été distribuée chez moi que lundi soir. Et encore je nʼai sonné quʼà trois heures du matin cʼest donc maintenant, dans la nuit du lundi à mardi que je lʼai eue tout navré de voir que vous me demandiez un rendez-vous pour lundi soir. Il est vrai quʼil nʼy a rien à regretter, jʼétais trop malade. Je viens de passer quelques bien pénibles jours comme santé. Dʼautre part, cher Albert si je vous ai envoyé les cahiers cʼest que la dernière fois vous mʼavez par bonté quitté si tard, que désespéréêtre une cause de trouble et de fatigue pour vous je me suis juré de ne plus vous « convoquer ». Cher Albert si jamais vous voulez spéculer, commencez par me faire vendre. Car jʼai une telle guigne que dès que jʼaurai vendu les valeurs monteront. Les mines ne cessent pas de progresser. Et ce qui mʼenrage cʼest que quelques personnes ayant appris que jʼavais joué, mais pas au courant et ignorant que jʼavais liquidé mʼécrivent : « Tous nos compliments. Les mines montent. Vous êtes en train de vous faire un petit magot » etc. Jʼai envoyé hier à Calmette un article sur les Aubépines. Je ne sais sʼil le publiera car cʼest trop long pour le peu de place quʼil accorde maintenant au premier article, et aussi trop peu « journal ». Néanmoins jetez un coup dʼœil sur Le Figaro ces temps-ci. Sʼil paraît, vous qui me connaissez le lirez au moins avec indulgence.

Tendrement à vous

Marcel

Note n°1
Lettre écrite « dans la nuit de lundi à mardi » après trois heures du matin. Les allusions à la liquidation de début mars (note 5) et à lʼarticle envoyé « hier à Calmette sur les Aubépines » (note 7) situent cette lettre après le 4 et avant le 21 mars 1912. Elle pourrait dater du mardi matin 5, 12 ou 19 mars. Mais comme Proust dit que « les mines ne cessent pas de progresser », il écrit nécessairement plusieurs jours après le 5 mars (voir note 6), donc probablement le [mardi matin 12 mars 1912], lʼenvoi de son article le 18 mars paraissant un peu tardif pour une publication dans Le Figaro du 21 mars, du fait de ses corrections dʼépreuves toujours minutieuses. Voir aussi sa lettre à Nahmias du [vendredi 29 mars 1912] (CP 02303 ; Kolb, XI, n° 39), qui suggère un délai de « quinze jours » avec cette lettre-ci. [PK]
Note n°2
Cette lettre ne nous est pas parvenue. Nahmias souhaitait sans doute obtenir de Proust la réponse aux nombreuses questions quʼil notait dans les marges des cahiers, au fur et à mesure de son travail préparatoire à la dactylographie (voir CP 02307). [FL]
Note n°3génétique
Proust a envoyé à Nahmias vers [fin février ou début mars 1912] (voir CP 02304 ; Kolb, XI, n° 40 et BIP, n° 37, p. 26-28) les Cahiers 20, 21 et 24 pour quʼil les fasse dactylographier. [SL, FL]
Note n°4génétique
Nous ne savons à quand remonte la séance de travail nocturne ici évoquée. Il sʼagit certainement du travail effectué par Nahmias en vue de la dactylographie dʼ« Un amour de Swann », puisquʼà la fin du séjour à Cabourg il restait encore une quarantaine de pages à faire dactylographier, ainsi que la refonte dʼune centaine pages du début, tapées par Miss Hayward à Cabourg : voir dans lʼarticle de Robert Brydges, « Analyse matérielle des dactylographies du Temps perdu », BIP, n° 16, 1985, p. 7-10, les pages effectuées par les dactylographes C et D. – Proust ayant, vers le début de février (CP 02280 ; Kolb, XI, n° 16) envoyé « bien en retard » à Nahmias un règlement de 300 francs pour le dernier travail accompli, on ne peut savoir si ces pages ont été effectuées en décembre 1911 ou finies en janvier 1912. Mais un certain laps de temps semble sʼêtre écoulé depuis ce dernier travail, puisque le [23 février 1912] (CP 02281 ; Kolb, XI, n° 17), Proust demandait au jeune homme sʼil aimait toujours sa prose et sʼil souhaitait reprendre son rôle. — Si la complexité du manuscrit à débrouiller semble nʼavoir pas découragé Nahmias, qui a accepté, Proust a donc changé de méthode de travail pour la troisième partie, jugeant Nahmias capable de déchiffrer son écriture et de sʼorienter seul dans les cahiers grâce à la pagination et aux indications de montage. La demande de rendez-vous de la part du jeune homme suggère que Proust a sans doute sous-estimé la difficulté de la tâche. [FL]
Note n°5
Allusion à la liquidation du 1er mars 1912, dont il est question dans les lettres à Nahmias des [23] et [28 février 1912] (CP 02281 et CP 02283 ; Kolb, XI, n° 17 et n° 19). [PK]
Note n°6
Dʼaprès le « Cours de la Bourse » en dernière page du Figaro, les Crown Mines étaient à 161 le 29 février, 166 le 1er mars puis, après une léger repli à 164.50 le 4 mars, elles étaient en progression régulière depuis le 5 mars et atteignaient 174.50 à la Bourse du 12 mars, et même 183 le 14 mars. Quant aux Rand Mines, pour la même période, elles cotaient 150.50 le 29 février, 153.50 le 1er mars, puis, après un repli à 151.50 le 4 mars, elles aussi progressaient depuis le 5 mars, atteignant 163 le 12 mars et 166 le 14 mars. — Proust ayant vendu ou liquidé en totalité ses 1500 Rand Mines et 300 Crown Mines, selon sa lettre du début février 1912 à Robert de Billy (CP 02279 ; Kolb, XI, n° 15), son manque à gagner sʼélevait donc pour chacune de ces deux actions à environ 12 ou 13 francs par titre, soit un total de plus de 22 000 francs (plus de 90 000 €) en deux semaines ! [PK, FL]
Note n°7
Cet article, intitulé « Épines blanches, épines roses », paraîtra dans Le Figaro du 21 mars 1912. — Par rapport à la version préparée pour le roman, le texte de lʼarticle est cependant partiellement allégé, et doté dʼune introduction au ton plus journalistique. [PK, FL]
Note
Proust, Marcel Le Figaro Épines blanches, épines roses 21 mars 1912


Mots-clefs :argentépistolaritégenèsepré-publicationssanté
Date de mise en ligne : August 24, 2024 04:31
Date de la dernière mise à jour : August 25, 2024 22:27
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