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CP 02913 Reynaldo Hahn à Marcel Proust [peu après le 4 février 1915]

Surlignage

image[photographie de Reynaldo Hahn en uniforme]

Rien de plus cacachois
que ce portrait. Je vous


lʼhensvoie pour vous amuser.
Je sais que la Vve a été
vous voir : je me représente
tout ce qui a entouré,
précédé, marqué et
suivi cette visite.

Il fait ici un froid qui
rend tout plus difficultueux,
plus lent — et plus
triste ; jʼai été passer
deux jours chez le Ct Cuny à 5 Km ici
(au repos aussi) et viens
de rentrer. Que de choses je
pourrais vous raconter ! Mais
il faudrait à la fois
Mirbeau et Courteline
pour en donner une idée
exacte. Il paraît que
Robert nʼest plus par ici.

Hasdouen

Rdo

Surlignage
 

Rien de plus cacachois que ce portrait. Je vous


 lʼhensvoie pour vous amuser. Je sais que la Veuve a été vous voir : je me représente tout ce qui a entouré, précédé, marqué et suivi cette visite.

Il fait ici un froid qui rend tout plus difficultueux, plus lent — et plus triste ; jʼai été passer deux jours chez le commandantCuny à 5 kilomètresici (au repos aussi) et viens de rentrer. Que de choses je pourrais vous raconter ! Mais il faudrait à la fois Mirbeau et Courteline pour en donner une idée exacte.

Il paraît que Robert nʼest plus par ici.

Hasdouen

Reynaldo

Note n°1
La publication du Journal de Reynaldo Hahn (Reynaldo Hahn, Journal. 1890-1945, anthologie établie, présentée et annotée par Philippe Blay, Paris, Gallimard, 2022) permet de préciser la date de ce portrait-carte postale en fonction de sa première période de « repos » : peu après le 4 février 1915 (voir les notes 4 et 5 ci-dessous). — Une lettre de Reynaldo Hahn à Madeleine Lemaire, datée de sa main du « 14 fév. » [1915], reprend plusieurs éléments de la présente carte postale, ce qui étaye cette datation. Hahn écrit à Mme Lemaire que « Notre "repos" touche à sa fin » (voir la note 4), et lui fait part du même sentiment dʼindignation quʼil évoque dans sa carte postale à Proust (voir la note 5) : « il y a à observer tant de choses burlesques, tant de choses médiocres, tant de choses bizarres, que lʼesprit critique et ironique nʼa pas un instant de repos [...] » (Hahn souligne ; François Proulx, « "Il nʼest pas vrai que...". Huit lettres de Reynaldo Hahn au temps de la guerre », Bulletin dʼinformations proustiennes, nº 45, 2015, p. 42-43). [PK, FL, FP]
Note n°2
Hahn lʼenvoie peut-être aussi afin de rassurer Proust, qui se plaignait, dans sa lettre du [14 janvier 1915] à Maria de Madrazo (CP 02895 ; Kolb, XIV, n° 6), de nʼavoir reçu « aucune nouvelle » de lui. [PK]
Note n°3
« La Veuve » : surnom donné à Madeleine Lemaire et à sa fille Suzette (« la jeune veuve ») par Proust et Hahn. Voir par exemple Kolb, VI, n° 38 (CP 01387) ; VIII, n° 7 (CP 01751) ; VIII, n° 78 (CP 01822). — Céleste Albaret, dans ses souvenirs, évoque une visite nocturne de Madeleine Lemaire à Proust quʼelle situe, à cinquante ans de distance, « vers la fin de la guerre » : « il me pria dʼaller la chercher, pour un détail quʼil voulait vérifier » (Monsieur Proust, souvenirs recueillis par Georges Belmont, Paris, Robert Laffont, 1973, p. 189). [NM, FL, FP]
Note n°4
Jeu de mots : Hahn vient de bénéficier de quelques jours de repos (comme le commandant Cuny), et la photographie le montre dans la position réglementaire dʼun militaire « au repos ». — Dans son journal (op. cit., voir la note 1), Hahn note à la date du 4 février [1915] : « Au repos ! » (p. 255), exclamation qui peut faire référence à la fois à cette photographie et à cette période de repos, la première pour lui depuis son arrivée au front (le 29 décembre 1914) mais aussi la toute première pour son régiment. En effet, selon lʼHistorique du 31e régiment dʼinfanterie. France. 1914-1918 (Paris, Henri Charles-Lavauzelle, 1920, p. 8), ce régiment a été « relevé pour la première fois depuis le début de la campagne et envoyé au repos » (nous soulignons) du 21 janvier au 12 février 1915, avant la bataille de Vauquois quʼil devait mener à partir du 17 février. Le commandant Cuny en dirigeait le 2e bataillon. — Le lieu où est cantonné Hahn (« ici ») nʼest pas précisé, mais son journal permet de savoir quʼil sʼagit de Clermont-en-Argonne (Journal, p. 247). [PK, FL]
Note n°5
Dans son journal, à la date du 4 février, Hahn écrivait : « Mille petites choses seraient à noter [...]. Il faudrait être à la fois Shakespeare et Voltaire » pour rendre compte « des observations sans nombre, des confidences reçues » (Journal, op. cit., p. 255). Ici, la double référence à Courteline et Mirbeau suggère à Proust son sentiment dʼindignation, que son journal intime exprime en maints endroits. — Mirbeau avait fait scandale, en 1886, en dénonçant, dans le deuxième chapitre du Calvaire, la désorganisation de lʼarmée et la brutalité cynique des officiers pendant la débâcle de 1870. En 1890, dans le dernier chapitre de Sébastien Roch, il décrivait de nouveau la défaillance de lʼorganisation et de la logistique, lʼépuisement et la démoralisation des soldats, lʼabsurdité des combats et lʼincompétence des chefs. Quant à Courteline, plusieurs de ses pièces brocardent la vie militaire. Les Gaîtés de lʼescadron (1886), sa première pièce, met en scène des soldats « tire-au-flanc » et leurs sous-officiers « petits chefs » ; créée au théâtre de lʼAmbigu-Comique en février 1895, elle fut reprise au Théâtre Antoine en 1899 et interdite par la censure pendant lʼaffaire Dreyfus. Voir aussi Le 51e Chasseurs (1887), La Vie de caserne (1895), Les Tire-au-cul : les gaîtés de lʼescadron (1904), ainsi que plusieurs de ses nouvelles ou romans. [PK, FP, FL]
Note n°6
Cette indication ne correspond pas aux informations fournies par les lettres de Proust, selon lesquelles son frère Robert aurait été dans le même secteur que Reynaldo Hahn pendant toute cette période. Proust écrit à Robert de Billy [entre le 8 et le 11 avril 1915] (CP 02915 ; Kolb, XIV, n° 26) : « Reynaldo est dans lʼArgonne probablement pas très loin de Robert ». En revanche, [peu après le 12 mai 1915], il écrira au vicomte dʼAlton que son frère est à Arras (CP 02950 ; Kolb, XIV, nº 61). Il se peut que lʼinformation de Hahn soit erronée, fondée sur de fausses rumeurs. En effet, Robert Proust ayant été détaché de son poste à lʼhôpital dʼÉtain en novembre 1914 pour diriger une ambulance (voir sa fiche militaire), il est possible quʼen apprenant quʼil nʼétait plus à Étain, Hahn ait cru que Robert Proust avait changé de secteur. [FL]


Mots-clefs :guerrelansgage et codesvisites
Date de mise en ligne : October 4, 2022 15:07
Date de la dernière mise à jour : April 5, 2024 16:54
Surlignage

image[photographie de Reynaldo Hahn en uniforme]

Rien de plus cacachois
que ce portrait. Je vous


lʼhensvoie pour vous amuser.
Je sais que la Vve a été
vous voir : je me représente
tout ce qui a entouré,
précédé, marqué et
suivi cette visite.

Il fait ici un froid qui
rend tout plus difficultueux,
plus lent — et plus
triste ; jʼai été passer
deux jours chez le Ct Cuny à 5 Km ici
(au repos aussi) et viens
de rentrer. Que de choses je
pourrais vous raconter ! Mais
il faudrait à la fois
Mirbeau et Courteline
pour en donner une idée
exacte. Il paraît que
Robert nʼest plus par ici.

Hasdouen

Rdo

Surlignage
 

Rien de plus cacachois que ce portrait. Je vous


 lʼhensvoie pour vous amuser. Je sais que la Veuve a été vous voir : je me représente tout ce qui a entouré, précédé, marqué et suivi cette visite.

Il fait ici un froid qui rend tout plus difficultueux, plus lent — et plus triste ; jʼai été passer deux jours chez le commandantCuny à 5 kilomètresici (au repos aussi) et viens de rentrer. Que de choses je pourrais vous raconter ! Mais il faudrait à la fois Mirbeau et Courteline pour en donner une idée exacte.

Il paraît que Robert nʼest plus par ici.

Hasdouen

Reynaldo

Note n°1
La publication du Journal de Reynaldo Hahn (Reynaldo Hahn, Journal. 1890-1945, anthologie établie, présentée et annotée par Philippe Blay, Paris, Gallimard, 2022) permet de préciser la date de ce portrait-carte postale en fonction de sa première période de « repos » : peu après le 4 février 1915 (voir les notes 4 et 5 ci-dessous). — Une lettre de Reynaldo Hahn à Madeleine Lemaire, datée de sa main du « 14 fév. » [1915], reprend plusieurs éléments de la présente carte postale, ce qui étaye cette datation. Hahn écrit à Mme Lemaire que « Notre "repos" touche à sa fin » (voir la note 4), et lui fait part du même sentiment dʼindignation quʼil évoque dans sa carte postale à Proust (voir la note 5) : « il y a à observer tant de choses burlesques, tant de choses médiocres, tant de choses bizarres, que lʼesprit critique et ironique nʼa pas un instant de repos [...] » (Hahn souligne ; François Proulx, « "Il nʼest pas vrai que...". Huit lettres de Reynaldo Hahn au temps de la guerre », Bulletin dʼinformations proustiennes, nº 45, 2015, p. 42-43). [PK, FL, FP]
Note n°2
Hahn lʼenvoie peut-être aussi afin de rassurer Proust, qui se plaignait, dans sa lettre du [14 janvier 1915] à Maria de Madrazo (CP 02895 ; Kolb, XIV, n° 6), de nʼavoir reçu « aucune nouvelle » de lui. [PK]
Note n°3
« La Veuve » : surnom donné à Madeleine Lemaire et à sa fille Suzette (« la jeune veuve ») par Proust et Hahn. Voir par exemple Kolb, VI, n° 38 (CP 01387) ; VIII, n° 7 (CP 01751) ; VIII, n° 78 (CP 01822). — Céleste Albaret, dans ses souvenirs, évoque une visite nocturne de Madeleine Lemaire à Proust quʼelle situe, à cinquante ans de distance, « vers la fin de la guerre » : « il me pria dʼaller la chercher, pour un détail quʼil voulait vérifier » (Monsieur Proust, souvenirs recueillis par Georges Belmont, Paris, Robert Laffont, 1973, p. 189). [NM, FL, FP]
Note n°4
Jeu de mots : Hahn vient de bénéficier de quelques jours de repos (comme le commandant Cuny), et la photographie le montre dans la position réglementaire dʼun militaire « au repos ». — Dans son journal (op. cit., voir la note 1), Hahn note à la date du 4 février [1915] : « Au repos ! » (p. 255), exclamation qui peut faire référence à la fois à cette photographie et à cette période de repos, la première pour lui depuis son arrivée au front (le 29 décembre 1914) mais aussi la toute première pour son régiment. En effet, selon lʼHistorique du 31e régiment dʼinfanterie. France. 1914-1918 (Paris, Henri Charles-Lavauzelle, 1920, p. 8), ce régiment a été « relevé pour la première fois depuis le début de la campagne et envoyé au repos » (nous soulignons) du 21 janvier au 12 février 1915, avant la bataille de Vauquois quʼil devait mener à partir du 17 février. Le commandant Cuny en dirigeait le 2e bataillon. — Le lieu où est cantonné Hahn (« ici ») nʼest pas précisé, mais son journal permet de savoir quʼil sʼagit de Clermont-en-Argonne (Journal, p. 247). [PK, FL]
Note n°5
Dans son journal, à la date du 4 février, Hahn écrivait : « Mille petites choses seraient à noter [...]. Il faudrait être à la fois Shakespeare et Voltaire » pour rendre compte « des observations sans nombre, des confidences reçues » (Journal, op. cit., p. 255). Ici, la double référence à Courteline et Mirbeau suggère à Proust son sentiment dʼindignation, que son journal intime exprime en maints endroits. — Mirbeau avait fait scandale, en 1886, en dénonçant, dans le deuxième chapitre du Calvaire, la désorganisation de lʼarmée et la brutalité cynique des officiers pendant la débâcle de 1870. En 1890, dans le dernier chapitre de Sébastien Roch, il décrivait de nouveau la défaillance de lʼorganisation et de la logistique, lʼépuisement et la démoralisation des soldats, lʼabsurdité des combats et lʼincompétence des chefs. Quant à Courteline, plusieurs de ses pièces brocardent la vie militaire. Les Gaîtés de lʼescadron (1886), sa première pièce, met en scène des soldats « tire-au-flanc » et leurs sous-officiers « petits chefs » ; créée au théâtre de lʼAmbigu-Comique en février 1895, elle fut reprise au Théâtre Antoine en 1899 et interdite par la censure pendant lʼaffaire Dreyfus. Voir aussi Le 51e Chasseurs (1887), La Vie de caserne (1895), Les Tire-au-cul : les gaîtés de lʼescadron (1904), ainsi que plusieurs de ses nouvelles ou romans. [PK, FP, FL]
Note n°6
Cette indication ne correspond pas aux informations fournies par les lettres de Proust, selon lesquelles son frère Robert aurait été dans le même secteur que Reynaldo Hahn pendant toute cette période. Proust écrit à Robert de Billy [entre le 8 et le 11 avril 1915] (CP 02915 ; Kolb, XIV, n° 26) : « Reynaldo est dans lʼArgonne probablement pas très loin de Robert ». En revanche, [peu après le 12 mai 1915], il écrira au vicomte dʼAlton que son frère est à Arras (CP 02950 ; Kolb, XIV, nº 61). Il se peut que lʼinformation de Hahn soit erronée, fondée sur de fausses rumeurs. En effet, Robert Proust ayant été détaché de son poste à lʼhôpital dʼÉtain en novembre 1914 pour diriger une ambulance (voir sa fiche militaire), il est possible quʼen apprenant quʼil nʼétait plus à Étain, Hahn ait cru que Robert Proust avait changé de secteur. [FL]


Mots-clefs :guerrelansgage et codesvisites
Date de mise en ligne : October 4, 2022 15:07
Date de la dernière mise à jour : April 5, 2024 16:54
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