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CP 02902 Marcel Proust à Lucien Daudet [le 30 ou 31 janvier 1915]

Surlignage

Mon cher petit,

Jʼai été bien ennuyé de savoir que vous aviez été encore souffrant. Avez-vous eu beaucoup de fièvre ? Êtes-vous resté au lit ? Et aussi ennuyé de nʼavoir pu vous faire signe. La veille du jour où jʼai reçu votre mot, jʼétais sorti pour la première fois depuis extrêmement longtemps (à peu près deux mois et demi) et jʼétais allé au hasard, vers minuit (après lʼavoir prévenue), chez Madame Edwards  ; soirée sur laquelle il y aurait trop à dire pour les dimensions dʼune lettre, mais qui mʼavait brisé. Les jours suivants, cʼest Céleste (ma seule domestique maintenant) qui était fatiguée, de sorte que je nʼai pu envoyer chez vous. Et puis surtout depuis que jʼai été plus souffrant (ce que vous nʼavez sans doute pas su), mes heures sont redevenues plus tardives, et à lʼheure où je sais que je pourrais recevoir, je nʼoserais pas vous envoyer un mot, et suis sûr en tout cas que vous ne pourriez pas venir ainsi non prévenu dʼavance. Mon cher petit, ces détails sont assommants, mais cʼest pour que vous sachiez que je nʼaime rien autant que vous voir, et que sans lʼimpossibilité je vous aurais vu. Je me suis consolé en lisant lʼéblouissant volume de votre frère, à qui je nʼai pas encore écrit. Mais on est moins pressé pour les choses quʼon admire que pour les mots de politesse. Je pense que vous avez eu une lettre de moi, à Tours, il y a un mois. Au fond lʼhabitude commerciale « Jʼai bien reçu votre honorée du » est bien apaisante.

Mon cher petit, je reste muet par pléthore de choses à dire, et puis nous nʼentretenons pas « une correspondance ». Alors cʼest trop difficile de commencer. Dites-moi quand vous pourrez venir, et laissez-moi vous embrasser tendrement.

Votre

Marcel

Surlignage
 

Mon cher petit,

Jʼai été bien ennuyé de savoir que vous aviez été encore souffrant. Avez-vous eu beaucoup de fièvre ? Êtes-vous resté au lit ? Et aussi ennuyé de nʼavoir pu vous faire signe. La veille du jour où jʼai reçu votre mot, jʼétais sorti pour la première fois depuis extrêmement longtemps (à peu près deux mois et demi) et jʼétais allé au hasard, vers minuit (après lʼavoir prévenue), chez Madame Edwards  ; soirée sur laquelle il y aurait trop à dire pour les dimensions dʼune lettre, mais qui mʼavait brisé. Les jours suivants, cʼest Céleste (ma seule domestique maintenant) qui était fatiguée, de sorte que je nʼai pu envoyer chez vous. Et puis surtout depuis que jʼai été plus souffrant (ce que vous nʼavez sans doute pas su), mes heures sont redevenues plus tardives, et à lʼheure où je sais que je pourrais recevoir, je nʼoserais pas vous envoyer un mot, et suis sûr en tout cas que vous ne pourriez pas venir ainsi non prévenu dʼavance. Mon cher petit, ces détails sont assommants, mais cʼest pour que vous sachiez que je nʼaime rien autant que vous voir, et que sans lʼimpossibilité je vous aurais vu. Je me suis consolé en lisant lʼéblouissant volume de votre frère, à qui je nʼai pas encore écrit. Mais on est moins pressé pour les choses quʼon admire que pour les mots de politesse. Je pense que vous avez eu une lettre de moi, à Tours, il y a un mois. Au fond lʼhabitude commerciale « Jʼai bien reçu votre honorée du » est bien apaisante.

Mon cher petit, je reste muet par pléthore de choses à dire, et puis nous nʼentretenons pas « une correspondance ». Alors cʼest trop difficile de commencer. Dites-moi quand vous pourrez venir, et laissez-moi vous embrasser tendrement.

Votre

Marcel

Note n°1
Cette lettre se situe vers la fin de janvier 1915 : allusions à la maladie du destinataire (voir la note 2), à « lʼéblouissant volume de votre frère » (note 7). Comme elle précède de deux ou trois jours la lettre suivante à Lucien Daudet et a été envoyée sous la même enveloppe (voir CP 02905 ; Kolb, XIV, n° 16), elle doit dater du 30 ou 31 janvier 1915. [PK, FL]
Note n°2
Mme Daudet note dans son Journal de famille et de guerre 1914-1919 (Paris, Fasquelle, 1920, p. 84), à la date du dimanche 31 [janvier 1915] : « Le lendemain du baptême dʼOdile, Lucien mʼest revenu avec une grosse bronchite, une fatigue accablée », et elle « redoute le moment où il repartira ». Le baptême dʼOdile Chauvelot ayant eu lieu le vendredi 15 janvier 1915, Lucien était donc rentré malade à Paris le samedi 16 janvier, et à la date du dimanche 31 il nʼétait pas encore reparti pour Tours. [PK, FL]
Note n°3
Billet non retrouvé. Ce « mot » de Lucien Daudet demandant sʼil pouvait venir faire une visite à Proust doit dater du weekend du 9-10 janvier 1915. En effet, le samedi 16, rentré à Paris avec une bronchite, il nʼaurait pas proposé à Proust dʼaller le voir, ni pendant la quinzaine de jours où il est resté malade. Ce mot ne date pas non plus des quelques jours précédant le samedi 30 ou le dimanche 31 janvier : Proust parle de sa sortie qui a contrarié la viste de Daudet au plus-que-parfait, comme un événement largement antérieur au moment de lʼécriture de la présente lettre, et il souligne quʼensuite Céleste Albaret avait été fatiguée « plusieurs jours », raison pour laquelle il nʼavait pas pu envoyer de courriers. — Pour la datation de son exceptionnelle sortie qui lʼa trop fatigué pour recevoir le lendemain la visite de Lucien Daudet, voir la note 5 ci-après. [FL]
Note n°4
Les lettres retrouvées au Dr Samuel Pozzi attestent que Proust, rentré de Cabourg très souffrant aux premiers jours dʼoctobre 1914 (CP 05409, notes 1 et 3), sʼétait rendu pour une consultation chez celui-ci peu avant le 24 octobre (voir CP 05411, note 2, et CP 02830, notes 3 et 4 ; cf. Kolb, XIV, n° 179). Si lʼon situe au vendredi 8 ou samedi 9 janvier 1915 (veille du 9 ou 10 janvier) la sortie qui lʼa empêché de recevoir ce weekend-là la visite de Lucien Daudet, Proust nʼétait donc pas sorti depuis le jour de sa visite au Dr Pozzi, vers (ou peu avant) le 24 octobre 1914, soit en effet deux mois et demi plus tôt. [FL]
Note n°5
Selon Ph. Kolb, la seule sortie effectuée par Proust entre la fin octobre 1914 et la fin janvier 1915 aurait été motivée par le désir dʼaller présenter à Louis Gautier-Vignal ses condoléances pour la mort de son beau-frère, Rodolphe de Foras, tué à lʼennemi le 27 septembre 1914, visite quʼil situe en novembre 1914 (Kolb, XIII, n° 13, note 3). Mais la correspondance avec Gautier-Vignal nʼatteste aucune visite de condoléances en octobre, novembre, ni même décembre 1914 : cʼest seulement le 7 janvier [1915] que Proust propose dʼaller le voir « un soir très tard chez vous » parce quʼil le sent triste « dʼune tristesse sans cause que je connaisse », lʼimaginant « relativement heureux » (CP 02891 ; Kolb, XIV, n° 2 ; nous soulignons). Étant donné la date de sa lettre (7 janvier), il venait sans doute de recevoir des vœux mélancoliques de Gautier-Vignal et ignorait manifestement que ce dernier avait perdu son beau-frère quelques semaines plus tôt et, plus récemment, son frère Paul, tombé au champ dʼhonneur le 27 décembre 1914 — décès quʼil apprit non par les nécrologies des journaux mais par la réponse de son correspondant (voir sa lettre à Gautier-Vignal du [18 janvier 1915] : CP 02899 voir; Kolb, XIV, n° 10). Or Proust ne peut pas être allé rendre visite tard dans la nuit à Gautier-Vignal vers le 7 ou le 18 janvier : son correspondant était à Nice durant toute cette période, le cachet postal faisant foi du lieu dʼexpédition (voir la note 1 de chacune de ces lettres). Cette supposée visite de condoléances à Gautier-Vignal nʼétant pas attestée (ni en novembre 1914, ni en janvier 1915), nous nous en tenons aux indications fournies par Proust dans ses lettres à Lucien Daudet et à Mme Scheikévitch (CP 02904 ; Kolb, XIV, nº 15) : sa seule sortie entre la fin octobre 1914 et le 31 janvier 1915 doit donc être celle où il sʼest rendu chez Mme Edwards, comme il lʼécrit ici. — En 1915, Proust nʼétait pas sans savoir que Misia Godebska était divorcée dʼAlfred Edwards (son deuxième époux) depuis février 1909 et était devenue la compagne du peintre José Maria Sert (quʼelle épousera plus tard, en 1920) ; mais à lʼépoque, une femme divorcée était toujours appelée par le nom de son ex-époux. [FL]
Note n°6
Dès le début de la Première Guerre mondiale, alors que la mobilisation au cœur de lʼété avait interrompu la vie mondaine, Mme Edwards était restée une hôtesse très active, ses relations avec de hautes personnalités du gouvernement autant quʼavec les milieux musicaux et littéraires avancés faisant de son salon un haut-lieu politico-artistique. Selon sa biographie par Arthur Gold et Robert Fizdale (Misia: The Life of Misia Sert, New York, Vintage Books, 1992, p. 162-212), elle avait organisé un réseau dʼambulances dès le début du conflit, plusieurs grands couturiers dont les maisons avaient fermé ayant accepté de mettre à sa disposition leurs camionnettes et voitures pour en faire des ambulances, et elle se rendait elle-même sur le front pour ramener des blessés en compagnie de Sert et de Cocteau (pour qui le couturier Poiré avait élaboré des costumes appropriés au contexte de la guerre). Pendant les attaques aériennes sur Paris, elle restait dehors ou à son balcon avec ses hôtes pour observer le spectacle, ayant une vision esthétisante et exaltée de ces événements insolites. Ses soirées réunissaient de nombreux artistes, dont Cocteau, Satie, Gide, Jacques-Émile Blanche, ou des musiciens et artistes des Ballets russes sur le destin desquels elle veillait. Du fait des restrictions sur le charbon, elle recevait le plus souvent dans son appartement privé à lʼHôtel Meurice, ne pouvant chauffer son appartement du 29, quai Voltaire. — Bien que Proust ne commente pas ici dans sa lettre à Lucien Daudet cette première soirée mondaine à laquelle il a assisté depuis la mobilisation (« trop à dire »), il a dû en tirer un train de réflexions qui, enrichies par de nombreuses autres soirées (notamment en 1916-1917), ont alimenté le récit des mondanités parisiennes pendant la guerre, et en particulier la mutation du salon « artiste » de Mme Verdurin en un salon politico-artistique de premier plan (voir RTP, IV, p. 301-313). [FL]
Note n°7
Dʼaprès son avant-propos, lʼouvrage de Léon Daudet, Devant la douleur. Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux de 1880 à 1905. Deuxième série, Nouvelle Librairie nationale, était écrit et imprimé avant la déclaration de guerre. Sa diffusion était cependant toute récente : Le Figaro du 21 janvier 1915 lʼannonce, p. 4, sous la rubrique « Vient de paraître ». [PK, FL]
Note n°8
Selon Ph. Kolb, Proust ferait référence à une lettre adressée à Lucien Daudet « [peu après le 21 novembre 1914] » (CP 02850 ; cf. Kolb, XIII, n° 199). Or cette lettre date non pas dʼ « un mois » mais de plus de deux mois auparavant et, étant donné quʼelle fournissait des détails sensibles sur sa relation avec Agostinelli et sa douleur à la mort de ce dernier (comme nous lʼapprennent des passages inédits fournis par le catalogue Christieʼs du 27 novembre 1996), il est difficilement pensable que Lucien Daudet nʼait pas répondu à ces confidences douloureuses. La lettre envoyée un mois plus tôt et restée sans réponse pourrait plutôt être celle du [jeudi 31 ? décembre 1914] (CP 02889 ; Kolb, XIII, n° 204), écrite en effet juste un mois auparavant, à moins quʼil sʼagisse dʼune autre lettre non retrouvée. [FL]
Note
Léon Daudet 1915 Devant la douleur. Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux de 1880 à 1905


Mots-clefs :guerre
Date de mise en ligne : October 4, 2022 15:07
Date de la dernière mise à jour : November 18, 2022 10:28
Surlignage

Mon cher petit,

Jʼai été bien ennuyé de savoir que vous aviez été encore souffrant. Avez-vous eu beaucoup de fièvre ? Êtes-vous resté au lit ? Et aussi ennuyé de nʼavoir pu vous faire signe. La veille du jour où jʼai reçu votre mot, jʼétais sorti pour la première fois depuis extrêmement longtemps (à peu près deux mois et demi) et jʼétais allé au hasard, vers minuit (après lʼavoir prévenue), chez Madame Edwards  ; soirée sur laquelle il y aurait trop à dire pour les dimensions dʼune lettre, mais qui mʼavait brisé. Les jours suivants, cʼest Céleste (ma seule domestique maintenant) qui était fatiguée, de sorte que je nʼai pu envoyer chez vous. Et puis surtout depuis que jʼai été plus souffrant (ce que vous nʼavez sans doute pas su), mes heures sont redevenues plus tardives, et à lʼheure où je sais que je pourrais recevoir, je nʼoserais pas vous envoyer un mot, et suis sûr en tout cas que vous ne pourriez pas venir ainsi non prévenu dʼavance. Mon cher petit, ces détails sont assommants, mais cʼest pour que vous sachiez que je nʼaime rien autant que vous voir, et que sans lʼimpossibilité je vous aurais vu. Je me suis consolé en lisant lʼéblouissant volume de votre frère, à qui je nʼai pas encore écrit. Mais on est moins pressé pour les choses quʼon admire que pour les mots de politesse. Je pense que vous avez eu une lettre de moi, à Tours, il y a un mois. Au fond lʼhabitude commerciale « Jʼai bien reçu votre honorée du » est bien apaisante.

Mon cher petit, je reste muet par pléthore de choses à dire, et puis nous nʼentretenons pas « une correspondance ». Alors cʼest trop difficile de commencer. Dites-moi quand vous pourrez venir, et laissez-moi vous embrasser tendrement.

Votre

Marcel

Surlignage
 

Mon cher petit,

Jʼai été bien ennuyé de savoir que vous aviez été encore souffrant. Avez-vous eu beaucoup de fièvre ? Êtes-vous resté au lit ? Et aussi ennuyé de nʼavoir pu vous faire signe. La veille du jour où jʼai reçu votre mot, jʼétais sorti pour la première fois depuis extrêmement longtemps (à peu près deux mois et demi) et jʼétais allé au hasard, vers minuit (après lʼavoir prévenue), chez Madame Edwards  ; soirée sur laquelle il y aurait trop à dire pour les dimensions dʼune lettre, mais qui mʼavait brisé. Les jours suivants, cʼest Céleste (ma seule domestique maintenant) qui était fatiguée, de sorte que je nʼai pu envoyer chez vous. Et puis surtout depuis que jʼai été plus souffrant (ce que vous nʼavez sans doute pas su), mes heures sont redevenues plus tardives, et à lʼheure où je sais que je pourrais recevoir, je nʼoserais pas vous envoyer un mot, et suis sûr en tout cas que vous ne pourriez pas venir ainsi non prévenu dʼavance. Mon cher petit, ces détails sont assommants, mais cʼest pour que vous sachiez que je nʼaime rien autant que vous voir, et que sans lʼimpossibilité je vous aurais vu. Je me suis consolé en lisant lʼéblouissant volume de votre frère, à qui je nʼai pas encore écrit. Mais on est moins pressé pour les choses quʼon admire que pour les mots de politesse. Je pense que vous avez eu une lettre de moi, à Tours, il y a un mois. Au fond lʼhabitude commerciale « Jʼai bien reçu votre honorée du » est bien apaisante.

Mon cher petit, je reste muet par pléthore de choses à dire, et puis nous nʼentretenons pas « une correspondance ». Alors cʼest trop difficile de commencer. Dites-moi quand vous pourrez venir, et laissez-moi vous embrasser tendrement.

Votre

Marcel

Note n°1
Cette lettre se situe vers la fin de janvier 1915 : allusions à la maladie du destinataire (voir la note 2), à « lʼéblouissant volume de votre frère » (note 7). Comme elle précède de deux ou trois jours la lettre suivante à Lucien Daudet et a été envoyée sous la même enveloppe (voir CP 02905 ; Kolb, XIV, n° 16), elle doit dater du 30 ou 31 janvier 1915. [PK, FL]
Note n°2
Mme Daudet note dans son Journal de famille et de guerre 1914-1919 (Paris, Fasquelle, 1920, p. 84), à la date du dimanche 31 [janvier 1915] : « Le lendemain du baptême dʼOdile, Lucien mʼest revenu avec une grosse bronchite, une fatigue accablée », et elle « redoute le moment où il repartira ». Le baptême dʼOdile Chauvelot ayant eu lieu le vendredi 15 janvier 1915, Lucien était donc rentré malade à Paris le samedi 16 janvier, et à la date du dimanche 31 il nʼétait pas encore reparti pour Tours. [PK, FL]
Note n°3
Billet non retrouvé. Ce « mot » de Lucien Daudet demandant sʼil pouvait venir faire une visite à Proust doit dater du weekend du 9-10 janvier 1915. En effet, le samedi 16, rentré à Paris avec une bronchite, il nʼaurait pas proposé à Proust dʼaller le voir, ni pendant la quinzaine de jours où il est resté malade. Ce mot ne date pas non plus des quelques jours précédant le samedi 30 ou le dimanche 31 janvier : Proust parle de sa sortie qui a contrarié la viste de Daudet au plus-que-parfait, comme un événement largement antérieur au moment de lʼécriture de la présente lettre, et il souligne quʼensuite Céleste Albaret avait été fatiguée « plusieurs jours », raison pour laquelle il nʼavait pas pu envoyer de courriers. — Pour la datation de son exceptionnelle sortie qui lʼa trop fatigué pour recevoir le lendemain la visite de Lucien Daudet, voir la note 5 ci-après. [FL]
Note n°4
Les lettres retrouvées au Dr Samuel Pozzi attestent que Proust, rentré de Cabourg très souffrant aux premiers jours dʼoctobre 1914 (CP 05409, notes 1 et 3), sʼétait rendu pour une consultation chez celui-ci peu avant le 24 octobre (voir CP 05411, note 2, et CP 02830, notes 3 et 4 ; cf. Kolb, XIV, n° 179). Si lʼon situe au vendredi 8 ou samedi 9 janvier 1915 (veille du 9 ou 10 janvier) la sortie qui lʼa empêché de recevoir ce weekend-là la visite de Lucien Daudet, Proust nʼétait donc pas sorti depuis le jour de sa visite au Dr Pozzi, vers (ou peu avant) le 24 octobre 1914, soit en effet deux mois et demi plus tôt. [FL]
Note n°5
Selon Ph. Kolb, la seule sortie effectuée par Proust entre la fin octobre 1914 et la fin janvier 1915 aurait été motivée par le désir dʼaller présenter à Louis Gautier-Vignal ses condoléances pour la mort de son beau-frère, Rodolphe de Foras, tué à lʼennemi le 27 septembre 1914, visite quʼil situe en novembre 1914 (Kolb, XIII, n° 13, note 3). Mais la correspondance avec Gautier-Vignal nʼatteste aucune visite de condoléances en octobre, novembre, ni même décembre 1914 : cʼest seulement le 7 janvier [1915] que Proust propose dʼaller le voir « un soir très tard chez vous » parce quʼil le sent triste « dʼune tristesse sans cause que je connaisse », lʼimaginant « relativement heureux » (CP 02891 ; Kolb, XIV, n° 2 ; nous soulignons). Étant donné la date de sa lettre (7 janvier), il venait sans doute de recevoir des vœux mélancoliques de Gautier-Vignal et ignorait manifestement que ce dernier avait perdu son beau-frère quelques semaines plus tôt et, plus récemment, son frère Paul, tombé au champ dʼhonneur le 27 décembre 1914 — décès quʼil apprit non par les nécrologies des journaux mais par la réponse de son correspondant (voir sa lettre à Gautier-Vignal du [18 janvier 1915] : CP 02899 voir; Kolb, XIV, n° 10). Or Proust ne peut pas être allé rendre visite tard dans la nuit à Gautier-Vignal vers le 7 ou le 18 janvier : son correspondant était à Nice durant toute cette période, le cachet postal faisant foi du lieu dʼexpédition (voir la note 1 de chacune de ces lettres). Cette supposée visite de condoléances à Gautier-Vignal nʼétant pas attestée (ni en novembre 1914, ni en janvier 1915), nous nous en tenons aux indications fournies par Proust dans ses lettres à Lucien Daudet et à Mme Scheikévitch (CP 02904 ; Kolb, XIV, nº 15) : sa seule sortie entre la fin octobre 1914 et le 31 janvier 1915 doit donc être celle où il sʼest rendu chez Mme Edwards, comme il lʼécrit ici. — En 1915, Proust nʼétait pas sans savoir que Misia Godebska était divorcée dʼAlfred Edwards (son deuxième époux) depuis février 1909 et était devenue la compagne du peintre José Maria Sert (quʼelle épousera plus tard, en 1920) ; mais à lʼépoque, une femme divorcée était toujours appelée par le nom de son ex-époux. [FL]
Note n°6
Dès le début de la Première Guerre mondiale, alors que la mobilisation au cœur de lʼété avait interrompu la vie mondaine, Mme Edwards était restée une hôtesse très active, ses relations avec de hautes personnalités du gouvernement autant quʼavec les milieux musicaux et littéraires avancés faisant de son salon un haut-lieu politico-artistique. Selon sa biographie par Arthur Gold et Robert Fizdale (Misia: The Life of Misia Sert, New York, Vintage Books, 1992, p. 162-212), elle avait organisé un réseau dʼambulances dès le début du conflit, plusieurs grands couturiers dont les maisons avaient fermé ayant accepté de mettre à sa disposition leurs camionnettes et voitures pour en faire des ambulances, et elle se rendait elle-même sur le front pour ramener des blessés en compagnie de Sert et de Cocteau (pour qui le couturier Poiré avait élaboré des costumes appropriés au contexte de la guerre). Pendant les attaques aériennes sur Paris, elle restait dehors ou à son balcon avec ses hôtes pour observer le spectacle, ayant une vision esthétisante et exaltée de ces événements insolites. Ses soirées réunissaient de nombreux artistes, dont Cocteau, Satie, Gide, Jacques-Émile Blanche, ou des musiciens et artistes des Ballets russes sur le destin desquels elle veillait. Du fait des restrictions sur le charbon, elle recevait le plus souvent dans son appartement privé à lʼHôtel Meurice, ne pouvant chauffer son appartement du 29, quai Voltaire. — Bien que Proust ne commente pas ici dans sa lettre à Lucien Daudet cette première soirée mondaine à laquelle il a assisté depuis la mobilisation (« trop à dire »), il a dû en tirer un train de réflexions qui, enrichies par de nombreuses autres soirées (notamment en 1916-1917), ont alimenté le récit des mondanités parisiennes pendant la guerre, et en particulier la mutation du salon « artiste » de Mme Verdurin en un salon politico-artistique de premier plan (voir RTP, IV, p. 301-313). [FL]
Note n°7
Dʼaprès son avant-propos, lʼouvrage de Léon Daudet, Devant la douleur. Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux de 1880 à 1905. Deuxième série, Nouvelle Librairie nationale, était écrit et imprimé avant la déclaration de guerre. Sa diffusion était cependant toute récente : Le Figaro du 21 janvier 1915 lʼannonce, p. 4, sous la rubrique « Vient de paraître ». [PK, FL]
Note n°8
Selon Ph. Kolb, Proust ferait référence à une lettre adressée à Lucien Daudet « [peu après le 21 novembre 1914] » (CP 02850 ; cf. Kolb, XIII, n° 199). Or cette lettre date non pas dʼ « un mois » mais de plus de deux mois auparavant et, étant donné quʼelle fournissait des détails sensibles sur sa relation avec Agostinelli et sa douleur à la mort de ce dernier (comme nous lʼapprennent des passages inédits fournis par le catalogue Christieʼs du 27 novembre 1996), il est difficilement pensable que Lucien Daudet nʼait pas répondu à ces confidences douloureuses. La lettre envoyée un mois plus tôt et restée sans réponse pourrait plutôt être celle du [jeudi 31 ? décembre 1914] (CP 02889 ; Kolb, XIII, n° 204), écrite en effet juste un mois auparavant, à moins quʼil sʼagisse dʼune autre lettre non retrouvée. [FL]
Note
Léon Daudet 1915 Devant la douleur. Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux de 1880 à 1905


Mots-clefs :guerre
Date de mise en ligne : October 4, 2022 15:07
Date de la dernière mise à jour : November 18, 2022 10:28
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