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CP 04852 Colette à Marcel Proust [peu avant le 11 décembre 1919]

Surlignage

LE MATIN
3, 4, 6, BOUL. POISSONNIÈRE
1, 3, 5 & 7, FAUB. POISSONNIÈRE
PARIS (IXe ARRt)

Cher Monsieur, mais je voudrais
dire désormais cher ami,

Vous croyez que je néglige votre papier,
quand je me débats pour forcer les cadres
trop étroits, ridiculement étroits, du Matin .
Déjà jʼai fait composer en 8. Cela ne
suffit pas. Je vous en prie, et Jouvenel
aussi, pouvez-vous couper 30 lignes ? Il
passerait tout de suite. Ne mʼen veuillez


pas.

Croyez-moi votre amie

Colette de Jouvenel

Mais nʼenlevez pas,
(daau ns le cas où vous
consentiriez ,) les
dépêches  !

Surlignage
 

LE MATIN 3, 4, 6, BOUL. POISSONNIÈRE 1, 3, 5 & 7, FAUB. POISSONNIÈRE PARIS (IXe ARRt)

Cher Monsieur, mais je voudrais dire désormais cher ami,

Vous croyez que je néglige votre papier, quand je me débats pour forcer les cadres trop étroits, ridiculement étroits, du Matin . Déjà jʼai fait composer en huit. Cela ne suffit pas. Je vous en prie, et Jouvenel aussi, pouvez-vous couper trente lignes ? Il passerait tout de suite. Ne mʼen veuillez


 

pas.

Croyez-moi votre amie

Colette de Jouvenel

Mais nʼenlevez pas (daau ns le cas où vous consentiriez ) les dépêches  !

Note n°1
Cette lettre semble se situer peu avant le 11 décembre 1919, date à laquelle paraît dans Le Matin lʼextrait dont il est question ici : voir la note 2. [PK]
Note n°2
Il sʼagit dʼun fragment du séjour à Venise dʼÀ la recherche du temps perdu, qui paraîtra dans Le Matin du 11 décembre 1919, p. 2, rubrique « Les Mille et un Matins », sous le titre : « Mme de Villeparisis à Venise ». Cet extrait semble avoir été en suspens au Matin depuis le mois de septembre (voir CP 03910 et 03924 ; Kolb, XVIII, n° 229 et n° 243). Notons que le 1er septembre 1919, la rubrique « Les Mille et un Matins  » publiait un « conte » intitulé « La gondole au soleil », par Louis Lefebvre, membre de lʼAssociation des Écrivains combattants, où lʼauteur comparait de façon nostalgique la Venise de 1914 et Venise pendant la guerre. Il est possible que ce soit la lecture de cet article qui ait conduit Proust à choisir un extrait de son épisode vénitien pour figurer dans cette même rubrique, plutôt quʼun extrait dʼÀ lʼombre des jeunes filles en fleurs qui, en lice pour le prix Goncourt, présentait pourtant un plus grand degré dʼactualité littéraire. [PK, FL]
Note n°3
Colette, mariée depuis 1912 avec Henry de Jouvenel, rédacteur en chef du quotidien Le Matin, occupait alors la fonction de directrice littéraire de ce même quotidien. [FL]
Note n°4
Le texte initialement envoyé au Matin nʼayant pas été retrouvé, on ne sait si lʼextrait publié a été ou non amputé. Étant donné quʼil occupe trente et une lignes de plus que les deux colonnes prévues pour cette rubrique, il nʼest pas impossible que Colette, apprenant le 10 décembre 1919 que le prix Goncourt venait dʼêtre attribué à Proust, ait décidé de publier tel quel lʼextrait un peu trop long (quitte à faire déborder la rubrique sur une troisième colonne), cette actualité littéraire justifiant la publication, telle quelle, de lʼinédit du lauréat. — Nous ne possédons presque aucun avant-texte de lʼépisode offert par Proust au Matin. En effet, dans le Cahier XIV, cahier de mise au net du séjour à Venise (1915-1916), on ne trouve, insérée sous forme de paperole, quʼune version primitive de cette scène du dîner de Norpois et Mme de Villeparisis, où les propos diplomatiques de Norpois concernent la crise politique de 1905 avec le Maroc, conformément à la chronologie romanesque, et où la révélation par Mme Sazerat du passé scandaleux de Mme de Villeparisis nʼexiste pas (voir Cahier XIV, paperole foliotée f° 96 r° collée sur le f° 97 r° ; pour la transcription de cette version, voir AD, Esquisse XVI.1, p. 699-702, ou pour une transcription plus complète, Nathalie Mauriac Dyer, Proust inachevé. Le dossier « Albertine disparue », Paris, Champion, 2005, « Annexes », p. 301-304). Proust a donc profondément remanié cet épisode à lʼautomne de 1919 en vue des pré-publications dans Le Matin et les Feuillets dʼArt (voir note 5 ci-après). [FL]
Note n°5
Lʼextrait publié dans Le Matin est principalement centré sur la scène où, dans un restaurant de Venise, le protagoniste observe un dîner entre M. de Norpois et sa vieille maîtresse Mme de Villeparisis pendant lequel lʼambassadeur confie à son amie divers secrets diplomatiques quʼil vient dʼapprendre. Dans la version du Matin, Norpois fait état notamment de « deux dépêches de Ribot à Jonnart » qui témoignent de la duplicité du ministre des Affaires étrangères Alexandre Ribot en juin 1917, lors du coup de force entrepris par Jonnart pour faire abdiquer le roi de Grèce Constantin. En effet, le roi Constantin étant sous la coupe de lʼambassadeur dʼAllemagne, Charles Jonnart (1857-1927), nommé par Ribot le 25 mai 1917 « Haut Commissaire des Puissances protectrices de la Grèce, avec plein pouvoirs civils et militaires », entreprend début juin 1917 de débarquer à Salamine sur un navire de guerre en même temps quʼun corps expéditionnaire français envahit la Thessalie, et il exige, le 10 juin, lʼabdication du roi Constantin en faveur de son second fils, ultimatum accepté le 12 juin 1917. Selon les propos de Norpois, Ribot, « effrayé par lʼaction violente de Jonnart », aurait tenté de lʼen dissuader dans une première dépêche, puis, après la réussite de ce coup de force, lʼaurait chaudement félicité dans une seconde dépêche, affirmant quʼil lʼaurait aidé en cas dʼobstacle. Ce passage sur les dépêches envoyées par Ribot, qui nʼexiste plus dans Albertine disparue (RTP, IV, p. 211-212), nʼa donc pas été supprimé par Proust de lʼextrait destiné au Matin. — On retrouve le texte paru dans Le Matin (discours de Norpois compris) dans la version (beaucoup plus longue) de lʼépisode vénitien publiée par les Feuillets dʼArt le 15 décembre 1919. Proust affirme dans une lettre à Robert de Billy [peu après le 15 décembre 1919] que ce sont les rédacteurs de cette revue qui ont « complété lʼarticle en y ajoutant [lʼextrait] paru dans Le Matin » (voir CP 03994 ; Kolb, XVIII, n° 314), ce qui lʼaurait obligé à couper in extremis sur épreuves la dédicace à Billy, de peur que ces potins diplomatiques ne nuisent à la carrière de son ami, ambassadeur à Athènes depuis 1917. (Au sujet de la carrière diplomatique de Billy et de la question de cette dédicace, voir Nathalie Mauriac Dyer, « Robert de Billy. "Et puis cʼest si amusant de causer avec vous" », in Le Cercle de Marcel Proust, tome 3, éd. J.-Y. Tadié, Paris, Champion, collection « Recherches proustiennes », 2021, p. 142 et 148). Les copies dʼimpression destinées à chacun des deux médias et les épreuves corrigées nʼayant pas été retrouvées, il nous est impossible de vérifier les assertions de Proust. En fait, il semble plutôt que Proust avait prélevé pour Le Matin quelques pages de lʼépisode initialement destiné aux Feuillets dʼArt : dans sa lettre du [14 ou 15 octobre 1919] à Jacques Porel, il mentionne « une chose que jʼai écrite sur Venise pour […] le Feuillet dʼArt [sic] dʼoù je voudrais bien détacher une page pour Le Matin qui me demande une page depuis si longtemps » (voir CP 03924 ; Kolb, XVIII, n° 243). Le Matin ayant donc publié le 11 décembre lʼextrait en question, la rédaction de la revue aurait pu décider in extremis de réinsérer ces pages afin de reconstituer la totalité de lʼépisode que Proust lui avait confié. Pour le texte des Feuillets dʼArt et une comparaison de ses variantes avec celui du Matin, voir la transcription de Nathalie Mauriac Dyer, Proust inachevé. Le dossier « Albertine disparue », Paris, Champion, 2005, « Annexes », p. 325-341. — Dans Albertine disparue (RTP, IV, p. 209-213), les indiscrétions diplomatiques de Norpois ont été modifiées lors de lʼétablissement de la dactylographie de 1922 (voir Mauriac Dyer, op. cit., p. 279-283), la vraisemblance diégétique ne permettant pas de conserver des événéments politiques de 1917 (et même de septembre 1919 pour la prise de Fiume par dʼAnnunzio, commentée par Norpois dans ce même extrait du Matin) alors que le séjour du protagoniste à Venise est censé se dérouler bien avant la Première Guerre mondiale.
[FL]


Mots-clefs :prix Goncourt
Date de mise en ligne : October 28, 2022 11:08
Date de la dernière mise à jour : March 31, 2023 12:12
Surlignage

LE MATIN
3, 4, 6, BOUL. POISSONNIÈRE
1, 3, 5 & 7, FAUB. POISSONNIÈRE
PARIS (IXe ARRt)

Cher Monsieur, mais je voudrais
dire désormais cher ami,

Vous croyez que je néglige votre papier,
quand je me débats pour forcer les cadres
trop étroits, ridiculement étroits, du Matin .
Déjà jʼai fait composer en 8. Cela ne
suffit pas. Je vous en prie, et Jouvenel
aussi, pouvez-vous couper 30 lignes ? Il
passerait tout de suite. Ne mʼen veuillez


pas.

Croyez-moi votre amie

Colette de Jouvenel

Mais nʼenlevez pas,
(daau ns le cas où vous
consentiriez ,) les
dépêches  !

Surlignage
 

LE MATIN 3, 4, 6, BOUL. POISSONNIÈRE 1, 3, 5 & 7, FAUB. POISSONNIÈRE PARIS (IXe ARRt)

Cher Monsieur, mais je voudrais dire désormais cher ami,

Vous croyez que je néglige votre papier, quand je me débats pour forcer les cadres trop étroits, ridiculement étroits, du Matin . Déjà jʼai fait composer en huit. Cela ne suffit pas. Je vous en prie, et Jouvenel aussi, pouvez-vous couper trente lignes ? Il passerait tout de suite. Ne mʼen veuillez


 

pas.

Croyez-moi votre amie

Colette de Jouvenel

Mais nʼenlevez pas (daau ns le cas où vous consentiriez ) les dépêches  !

Note n°1
Cette lettre semble se situer peu avant le 11 décembre 1919, date à laquelle paraît dans Le Matin lʼextrait dont il est question ici : voir la note 2. [PK]
Note n°2
Il sʼagit dʼun fragment du séjour à Venise dʼÀ la recherche du temps perdu, qui paraîtra dans Le Matin du 11 décembre 1919, p. 2, rubrique « Les Mille et un Matins », sous le titre : « Mme de Villeparisis à Venise ». Cet extrait semble avoir été en suspens au Matin depuis le mois de septembre (voir CP 03910 et 03924 ; Kolb, XVIII, n° 229 et n° 243). Notons que le 1er septembre 1919, la rubrique « Les Mille et un Matins  » publiait un « conte » intitulé « La gondole au soleil », par Louis Lefebvre, membre de lʼAssociation des Écrivains combattants, où lʼauteur comparait de façon nostalgique la Venise de 1914 et Venise pendant la guerre. Il est possible que ce soit la lecture de cet article qui ait conduit Proust à choisir un extrait de son épisode vénitien pour figurer dans cette même rubrique, plutôt quʼun extrait dʼÀ lʼombre des jeunes filles en fleurs qui, en lice pour le prix Goncourt, présentait pourtant un plus grand degré dʼactualité littéraire. [PK, FL]
Note n°3
Colette, mariée depuis 1912 avec Henry de Jouvenel, rédacteur en chef du quotidien Le Matin, occupait alors la fonction de directrice littéraire de ce même quotidien. [FL]
Note n°4
Le texte initialement envoyé au Matin nʼayant pas été retrouvé, on ne sait si lʼextrait publié a été ou non amputé. Étant donné quʼil occupe trente et une lignes de plus que les deux colonnes prévues pour cette rubrique, il nʼest pas impossible que Colette, apprenant le 10 décembre 1919 que le prix Goncourt venait dʼêtre attribué à Proust, ait décidé de publier tel quel lʼextrait un peu trop long (quitte à faire déborder la rubrique sur une troisième colonne), cette actualité littéraire justifiant la publication, telle quelle, de lʼinédit du lauréat. — Nous ne possédons presque aucun avant-texte de lʼépisode offert par Proust au Matin. En effet, dans le Cahier XIV, cahier de mise au net du séjour à Venise (1915-1916), on ne trouve, insérée sous forme de paperole, quʼune version primitive de cette scène du dîner de Norpois et Mme de Villeparisis, où les propos diplomatiques de Norpois concernent la crise politique de 1905 avec le Maroc, conformément à la chronologie romanesque, et où la révélation par Mme Sazerat du passé scandaleux de Mme de Villeparisis nʼexiste pas (voir Cahier XIV, paperole foliotée f° 96 r° collée sur le f° 97 r° ; pour la transcription de cette version, voir AD, Esquisse XVI.1, p. 699-702, ou pour une transcription plus complète, Nathalie Mauriac Dyer, Proust inachevé. Le dossier « Albertine disparue », Paris, Champion, 2005, « Annexes », p. 301-304). Proust a donc profondément remanié cet épisode à lʼautomne de 1919 en vue des pré-publications dans Le Matin et les Feuillets dʼArt (voir note 5 ci-après). [FL]
Note n°5
Lʼextrait publié dans Le Matin est principalement centré sur la scène où, dans un restaurant de Venise, le protagoniste observe un dîner entre M. de Norpois et sa vieille maîtresse Mme de Villeparisis pendant lequel lʼambassadeur confie à son amie divers secrets diplomatiques quʼil vient dʼapprendre. Dans la version du Matin, Norpois fait état notamment de « deux dépêches de Ribot à Jonnart » qui témoignent de la duplicité du ministre des Affaires étrangères Alexandre Ribot en juin 1917, lors du coup de force entrepris par Jonnart pour faire abdiquer le roi de Grèce Constantin. En effet, le roi Constantin étant sous la coupe de lʼambassadeur dʼAllemagne, Charles Jonnart (1857-1927), nommé par Ribot le 25 mai 1917 « Haut Commissaire des Puissances protectrices de la Grèce, avec plein pouvoirs civils et militaires », entreprend début juin 1917 de débarquer à Salamine sur un navire de guerre en même temps quʼun corps expéditionnaire français envahit la Thessalie, et il exige, le 10 juin, lʼabdication du roi Constantin en faveur de son second fils, ultimatum accepté le 12 juin 1917. Selon les propos de Norpois, Ribot, « effrayé par lʼaction violente de Jonnart », aurait tenté de lʼen dissuader dans une première dépêche, puis, après la réussite de ce coup de force, lʼaurait chaudement félicité dans une seconde dépêche, affirmant quʼil lʼaurait aidé en cas dʼobstacle. Ce passage sur les dépêches envoyées par Ribot, qui nʼexiste plus dans Albertine disparue (RTP, IV, p. 211-212), nʼa donc pas été supprimé par Proust de lʼextrait destiné au Matin. — On retrouve le texte paru dans Le Matin (discours de Norpois compris) dans la version (beaucoup plus longue) de lʼépisode vénitien publiée par les Feuillets dʼArt le 15 décembre 1919. Proust affirme dans une lettre à Robert de Billy [peu après le 15 décembre 1919] que ce sont les rédacteurs de cette revue qui ont « complété lʼarticle en y ajoutant [lʼextrait] paru dans Le Matin » (voir CP 03994 ; Kolb, XVIII, n° 314), ce qui lʼaurait obligé à couper in extremis sur épreuves la dédicace à Billy, de peur que ces potins diplomatiques ne nuisent à la carrière de son ami, ambassadeur à Athènes depuis 1917. (Au sujet de la carrière diplomatique de Billy et de la question de cette dédicace, voir Nathalie Mauriac Dyer, « Robert de Billy. "Et puis cʼest si amusant de causer avec vous" », in Le Cercle de Marcel Proust, tome 3, éd. J.-Y. Tadié, Paris, Champion, collection « Recherches proustiennes », 2021, p. 142 et 148). Les copies dʼimpression destinées à chacun des deux médias et les épreuves corrigées nʼayant pas été retrouvées, il nous est impossible de vérifier les assertions de Proust. En fait, il semble plutôt que Proust avait prélevé pour Le Matin quelques pages de lʼépisode initialement destiné aux Feuillets dʼArt : dans sa lettre du [14 ou 15 octobre 1919] à Jacques Porel, il mentionne « une chose que jʼai écrite sur Venise pour […] le Feuillet dʼArt [sic] dʼoù je voudrais bien détacher une page pour Le Matin qui me demande une page depuis si longtemps » (voir CP 03924 ; Kolb, XVIII, n° 243). Le Matin ayant donc publié le 11 décembre lʼextrait en question, la rédaction de la revue aurait pu décider in extremis de réinsérer ces pages afin de reconstituer la totalité de lʼépisode que Proust lui avait confié. Pour le texte des Feuillets dʼArt et une comparaison de ses variantes avec celui du Matin, voir la transcription de Nathalie Mauriac Dyer, Proust inachevé. Le dossier « Albertine disparue », Paris, Champion, 2005, « Annexes », p. 325-341. — Dans Albertine disparue (RTP, IV, p. 209-213), les indiscrétions diplomatiques de Norpois ont été modifiées lors de lʼétablissement de la dactylographie de 1922 (voir Mauriac Dyer, op. cit., p. 279-283), la vraisemblance diégétique ne permettant pas de conserver des événéments politiques de 1917 (et même de septembre 1919 pour la prise de Fiume par dʼAnnunzio, commentée par Norpois dans ce même extrait du Matin) alors que le séjour du protagoniste à Venise est censé se dérouler bien avant la Première Guerre mondiale.
[FL]


Mots-clefs :prix Goncourt
Date de mise en ligne : October 28, 2022 11:08
Date de la dernière mise à jour : March 31, 2023 12:12
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