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CP 03099 Lionel Hauser à Marcel Proust le 17 mai 1916

Surlignage

Paris, le 17 Mai 1916

Mon Cher Marcel,

Jʼai bien reçu ta lettre du 13 Crt., et celle
du 15 (?).

Je mʼempresse de te dire, en réponse à la pre-
mière, que je nʼai jamais été de nationalité portugaise. Je
suis sujet britannique et étant né sur le sol britannique (lisez
Gibraltar).

Ce premier point important une fois établi pas-
sons à la question du prêt de tes titres au Trésor français .

Pour ce qui concerne les 310 parts Sté Civile de
Suez
que tu as rue Laffitte, je suppose que tu possèdes un récé-
pissé comme pour les autres valeurs que nous avons retirées de
chez ces Messieurs, auquel cas je te prie de me lʼenvoyer de
suite, dûment acquitté par toi.

Je te fais mes excuses en ce qui concerne ton
Hollandais, tes Saragosse et tes Nord de lʼEspagne . Si ces va-
leurs ont été comprises sur la liste que je tʼai adressée cʼest
parce que leur vente nʼayant pas été réalisée par ma maison ,
leur départ nʼavait pas été constaté.

Comme suite à ton invitation, je me suis mis en
rapports avec le Crédit Industriel et lui ayant exposé lʼinté-
rêt que je te portais depuis ma plus tendre enfance, jʼai cher-
ché à obtenir la suppression de la commission sur lʼavance quʼ-
il tʼa consentie.



2.-

Tout en se réservant de me répondre définiti-
vement après examen attentif de ton dossier, ledit Etablisse-
ment
mʼa laissé entendre quʼétant données les circonstances
actuelles iu l aimerait tout autant revoir son argent que rédui-
re les conditions qui régissent ton compte. Je nʼai donc pas
cru devoir attendre la réponse officielle dudit Etablissement
et me suis immédiatement rendu chez un de mes Banquiers , le-
quel, eu égard à ma recommandation, se déclara disposé en
principe, à se substituer au Crédit Industriel, à condition
toutefois que les titres constituant la garantie de lʼavance,
fussent à sa convenance.

Je suis heureux dʼajouter que Etablissement
en question
se contentera de 5 1/2 % dʼintérêts par an, sans
aucune commission. Si, donc le transfert de ton avance à cet
Etablissemenent est faisable ( ce qui dépendra du gage que nous
pourrons lui offrir) tu auras réellement fait une bonne af-
faire.

Afin de me permettre dʼétablir à nouveau ta
situation financière, et notamment en ce qui concerne le
Crédit Industriel, je te prie de me fournir immédiatement, (en
veillant surtout à ne pas laisser ta réponse sur ta table )le
dernier extrait de compte courant reçu du Crédit Industriel
ainsi que le dernier relevé de tes titres en dépôt chez celui-
ci
, que tu as dû recevoir probablement au commencement de lʼan-
née. Ceci je te prie de meʼ lʼenvoyer immédiatement. Puis
tu mʼindiqueras exactement quelles sont toutes les valeurs que
tu as réalisées depuis le 1er Décembre dernier et quelle est
ta situation vis-à-vis des différents coulissiers. As-tu li-



3.-

quidé tes différentes positions chez eux ou reste-t-il encore
quelque chose en suspens ? Dans ce cas prière de mʼadresser
le dernier compte reçu de ces Messieurs.

Les renseignements concernant les ventes ef-
fectuées ainsi que les comptes des coulissiers peuvent mʼêtre
adressés par toi ultérieurement si tu nʼas pas sous la main
tous les renseignements nécessaires de façon à pouvoir les com-
prendre dans ta première lettre.

Tu comprendras que la seule difficulté que pré-
sente le transfert est de trouver dans ton portefeuille suffi-
samment de titres de premier ordre pour gager lʼavance que de-
vra consentir le nouvel etablissement . Il faudra donc lui of-
frir un gage composé exclusivement de titres comme la Rente
Française
, la Rente Egyptienne , les Parts civiles de Suez, et
quelques autres valeurs de ce genre, faute de quoi il ne sera
pas possible de rembourser la totalité de lʼavance.

En ce qui concerne tes Doubawaia Balka, il pa-
rait
que de temps en temps il se fait une transaction en Bour-
se
de 25 ou 50 titres, mais comme le cours est très variable
suivant que les titres sont offerts ou demandés, les prix pra-
tiqués peuvent fluctuer entre 170 et 190. Je te prie donc de
me dire si tu mʼautorises à vendre la totalité de ces titres,
auquel cas je te prie de me fixer une limite raisonnable. Bien
entendu je ne forcerai pas le marché mais comme ces actions ne
rapportent pas dʼintérêts il serait pratique, en principe, de
les liquider car cela ferait rentrer une centaine de mille
francs qui diminueraient ta dette dʼautant.

Si cependant cela te fait trop de peine de



4.-

vendre ces actions au cours actuel et que tu croies quʼelles
vont monter par la suite ( ce qui est vraisemblable sans que
lʼon puisse prévoir à quel moment se produira la hausse) jʼexa-
>minerai, dès que jʼaurai tous tes renseignements si le revenu
de ton portefeuille actuel , après déduction des intérêts ré-
duits sur lʼavance nouvelle, est suffisant pour te permettre
de te maintenir à flot, auquel cas, rien ne sʼopposera à ce
que tu attendes les événements. Dans le cas contraire, je
nʼhésiterais pas à chercher à réaliser les dites actions car
cela diminuerait td es charges dʼintérêts de 5.500 frs par an.

Jʼajouterai, pour ta gouverne, que le fait de
prêter au Trésor Français td esʼ Egyptiens et td es Suez ne tʼempê-
chera pas de les vendre si tu tʼy décides plus tard car le Tré-
sor en échange des titres prêtés délivre des certificats qui
seront cotés en Bourse. Il sera même possible de donner ces
certificats en gage dʼavances au lieu des titres eux-mêmes.
Tu auras donc tous les avantages puisque tu ne mobilises pas
ton argent et tu augmentes tes revenus de 25 %.

Jʼattends donc ta réponse par retour du cour-
rier et si tu approuves mes conclusions ( et que je trouve
dans ton portefeuille un gage suffisant pour le nouvel Etablis-
sement
) je te remettrai à la signature une lettre adressée au
Crédit Industriel pour lʼinviter à me remettre tous les titres
quʼil détient sous ton dossier contre remboursement du solde
de ton compte.

Bien affectueusement à toi.


Surlignage
 

Paris, le 17 mai 1916

Mon cher Marcel,

Jʼai bien reçu ta lettre du 13 courant, et celle du 15 (?).

Je mʼempresse de te dire, en réponse à la première, que je nʼai jamais été de nationalité portugaise. Je suis sujet britannique étant né sur le sol britannique (lisez Gibraltar).

Ce premier point important une fois établi passons à la question du prêt de tes titres au Trésor français .

Pour ce qui concerne les 310 parts Société Civile de Suez que tu as rue Laffitte, je suppose que tu possèdes un récépissé comme pour les autres valeurs que nous avons retirées de chez ces Messieurs, auquel cas je te prie de me lʼenvoyer de suite, dûment acquitté par toi.

Je te fais mes excuses en ce qui concerne ton Hollandais, tes Saragosse et tes Nord de lʼEspagne . Si ces valeurs ont été comprises sur la liste que je tʼai adressée cʼest parce que, leur vente nʼayant pas été réalisée par ma Maison , leur départ nʼavait pas été constaté.

Comme suite à ton invitation, je me suis mis en rapports avec le Crédit Industriel et lui ayant exposé lʼintérêt que je te portais depuis ma plus tendre enfance, jʼai cherché à obtenir la suppression de la commission sur lʼavance quʼil tʼa consentie.


 


 

Tout en se réservant de me répondre définitivement après examen attentif de ton dossier, ledit Établissement mʼa laissé entendre quʼétant donné les circonstances actuelles iu l aimerait tout autant revoir son argent que réduire les conditions qui régissent ton compte. Je nʼai donc pas cru devoir attendre la réponse officielle dudit Établissement et me suis immédiatement rendu chez un de mes banquiers , lequel, eu égard à ma recommandation, se déclara disposé en principe, à se substituer au Crédit Industriel, à condition toutefois que les titres constituant la garantie de lʼavance fussent à sa convenance.

Je suis heureux dʼajouter que Établissement en question se contentera de 5 ½ % dʼintérêts par an, sans aucune commission. Si donc le transfert de ton avance à cet Établissement est faisable (ce qui dépendra du gage que nous pourrons lui offrir) tu auras réellement fait une bonne affaire.

Afin de me permettre dʼétablir à nouveau ta situation financière, et notamment en ce qui concerne le Crédit Industriel, je te prie de me fournir immédiatement, (en veillant surtout à ne pas laisser ta réponse sur ta table) le dernier extrait de compte courant reçu du Crédit Industriel ainsi que le dernier relevé de tes titres en dépôt chez celui-ci, que tu as dû recevoir probablement au commencement de lʼannée. Ceci je te prie de m lʼenvoyer immédiatement. Puis tu mʼindiqueras exactement quelles sont toutes les valeurs que tu as réalisées depuis le 1er décembre dernier et quelle est ta situation vis-à-vis des différents coulissiers. As-tu li-


 


 

quidé tes différentes positions chez eux ou reste-t-il encore quelque chose en suspens ? Dans ce cas prière de mʼadresser le dernier compte reçu de ces Messieurs.

Les renseignements concernant les ventes effectuées ainsi que les comptes des coulissiers peuvent mʼêtre adressés par toi ultérieurement si tu nʼas pas sous la main tous les renseignements nécessaires de façon à pouvoir les comprendre dans ta première lettre.

Tu comprendras que la seule difficulté que présente le transfert est de trouver dans ton portefeuille suffisamment de titres de premier ordre pour gager lʼavance que devra consentir le nouvel établissement . Il faudra donc lui offrir un gage composé exclusivement de titres comme la Rente française , la Rente égyptienne , les Parts civiles de Suez, et quelques autres valeurs de ce genre, faute de quoi il ne sera pas possible de rembourser la totalité de lʼavance.

En ce qui concerne tes Doubawaia Balka, il paraît que de temps en temps il se fait une transaction en Bourse de 25 ou 50 titres, mais comme le cours est très variable suivant que les titres sont offerts ou demandés, les prix pratiqués peuvent fluctuer entre 170 et 190. Je te prie donc de me dire si tu mʼautorises à vendre la totalité de ces titres, auquel cas je te prie de me fixer une limite raisonnable. Bien entendu je ne forcerai pas le marché mais comme ces actions ne rapportent pas dʼintérêts il serait pratique, en principe, de les liquider car cela ferait rentrer une centaine de mille francs qui diminueraient ta dette dʼautant.

Si cependant cela te fait trop de peine de


 


 

vendre ces actions au cours actuel et que tu croies quʼelles vont monter par la suite (ce qui est vraisemblable sans que lʼon puisse prévoir à quel moment se produira la hausse) jʼexa>minerai, dès que jʼaurai tous tes renseignements si le revenu de ton portefeuille actuel, après déduction des intérêts réduits sur lʼavance nouvelle, est suffisant pour te permettre de te maintenir à flot, auquel cas, rien ne sʼopposera à ce que tu attendes les événements. Dans le cas contraire, je nʼhésiterais pas à chercher à réaliser lesdites actions car cela diminuerait td es charges dʼintérêts de 5 500 francs par an.

Jʼajouterai, pour ta gouverne, que le fait de prêter au Trésor français td es Égyptiens et td es Suez ne tʼempêchera pas de les vendre si tu tʼy décides plus tard car le Trésor en échange des titres prêtés délivre des certificats qui seront cotés en Bourse. Il sera même possible de donner ces certificats en gage dʼavances au lieu des titres eux-mêmes. Tu auras donc tous les avantages puisque tu ne mobilises pas ton argent et tu augmentes tes revenus de 25 %.

Jʼattends donc ta réponse par retour du courrier et si tu approuves mes conclusions (et que je trouve dans ton portefeuille un gage suffisant pour le nouvel Établissement) je te remettrai à la signature une lettre adressée au Crédit Industriel pour lʼinviter à me remettre tous les titres quʼil détient sous ton dossier contre remboursement du solde de ton compte.

Bien affectueusement à toi.


 
Note n°1
Dans sa lettre du samedi 13 mai 1916, Proust avait qualifié Hauser de « natif dʼun pays allié (Portugal) » (CP 03097 ; Kolb, XV, n° 33). [FP]
Note n°2
Voir la lettre de Hauser du 12 mai 1916 : « notre Ministre des Finances vient de sʼadresser aux porteurs de valeurs des pays neutres, les invitant à lui prêter certaines de ces valeurs pour lui permettre de se procurer du change. » (CP 03096 ; Kolb, XV, nº 32). [Kolb]
Note n°3
Dans sa lettre du 13 mai, Proust répondait à Hauser, lequel lui avait suggéré de prêter ces valeurs au Trésor, quʼil les avait, « sur [s]on conseil, vendu il y a q. q. mois » : sur ces transactions opérées en novembre et décembre 1915, voir la note 3 de cette précédente lettre (CP 03097) . [PK, FP]
Note n°4
Sur lʼavance de 218 000 francs que Proust avait obtenue en 1912 du Crédit industriel et commercial, il devait encore 184 000 francs à la fin février 1916, malgré la vente dʼun grand nombre de valeurs pour tenter de rembourser cette dette. Les intérêts annuels sur ses soldes débiteurs sʼélevaient à 8% (Gian Balsamo, Proust and his Banker: In Search of Time Squandered, Columbia, South Carolina, The University of South Carolina Press, 2017, p. 38). Dans sa lettre du 13 mai 1916, Proust se plaignait de devoir payer en outre « des "agios" assez obscurs » et demandait à Hauser de sʼentremettre pour tenter de ramener ses intérêts au taux de 6%, qui était, semble-t-il, le taux officiel du crédit depuis 1915 (voir CP 03097, note 5). Dʼaprès la présente lettre de Hauser, le Crédit industriel et commercial ajoutait en effet aux intérêts des « frais de commission ». Voir ci-dessous, note 7, au sujet du montant des frais bancaires imputés chaque mois à Proust. [FP, FL]
Note n°5
Il sʼagit de lʼagence parisienne de la London County & Westminster Bank. Hauser tait pour lʼinstant le nom de cette banque ; il ne le révélera quʼune fois la transaction conclue (CP 03123 ; Kolb, XV, nº 59). [FP]
Note n°6
Voir la réponse de Proust dans sa lettre du mercredi 17 mai 1916 (CP 03100 ; Kolb, XV, nº 36). [FP]
Note n°7
Entendons : si Proust ne peut déposer à la London County & Westminster Bank des valeurs de tout premier ordre en gage, cet établissement ne pourra pas rembourser au Crédit industriel et commercial la totalité de ce que Proust lui doit encore. Dans sa lettre du 25 mai 1916 (CP 03115  ; Kolb, XV, n° 51), Hauser établira un calcul précis de la dette de Proust auprès du Crédit industriel et du montant des valeurs boursières quʼil doit donner en gage au nouvel établissement pour obtenir le prêt qui servira à solder cette dette : fin février 1916, sur son avance initiale de 218 000 francs, il devait encore 184 000 francs ; grossi de 1300 francs par mois dʼintérêts et de frais de commissions, son solde débiteur allait atteindre environ 190 000 francs fin mai. De plus, Proust a également au Crédit industriel et commercial une position de Bourse débitrice dʼenviron 9300 francs (les engagements « à terme » augmentés des intérêts moratoires, quʼil nʼa pas encore fini de rembourser). Cʼest donc 200 000 francs quʼil doit emprunter auprès du nouvel établissement, fin mai 1916, pour se libérer définitivement du Crédit industriel et commercial. Mais pour obtenir ce transfert, il doit offrir en gage des valeurs sûres pour environ 270 000 francs, une marge de sécurité dʼau moins 20% étant nécessaire. [FL]


Mots-clefs :guerre
Date de mise en ligne : October 17, 2022 14:38
Date de la dernière mise à jour : November 22, 2022 15:10
Surlignage

Paris, le 17 Mai 1916

Mon Cher Marcel,

Jʼai bien reçu ta lettre du 13 Crt., et celle
du 15 (?).

Je mʼempresse de te dire, en réponse à la pre-
mière, que je nʼai jamais été de nationalité portugaise. Je
suis sujet britannique et étant né sur le sol britannique (lisez
Gibraltar).

Ce premier point important une fois établi pas-
sons à la question du prêt de tes titres au Trésor français .

Pour ce qui concerne les 310 parts Sté Civile de
Suez
que tu as rue Laffitte, je suppose que tu possèdes un récé-
pissé comme pour les autres valeurs que nous avons retirées de
chez ces Messieurs, auquel cas je te prie de me lʼenvoyer de
suite, dûment acquitté par toi.

Je te fais mes excuses en ce qui concerne ton
Hollandais, tes Saragosse et tes Nord de lʼEspagne . Si ces va-
leurs ont été comprises sur la liste que je tʼai adressée cʼest
parce que leur vente nʼayant pas été réalisée par ma maison ,
leur départ nʼavait pas été constaté.

Comme suite à ton invitation, je me suis mis en
rapports avec le Crédit Industriel et lui ayant exposé lʼinté-
rêt que je te portais depuis ma plus tendre enfance, jʼai cher-
ché à obtenir la suppression de la commission sur lʼavance quʼ-
il tʼa consentie.



2.-

Tout en se réservant de me répondre définiti-
vement après examen attentif de ton dossier, ledit Etablisse-
ment
mʼa laissé entendre quʼétant données les circonstances
actuelles iu l aimerait tout autant revoir son argent que rédui-
re les conditions qui régissent ton compte. Je nʼai donc pas
cru devoir attendre la réponse officielle dudit Etablissement
et me suis immédiatement rendu chez un de mes Banquiers , le-
quel, eu égard à ma recommandation, se déclara disposé en
principe, à se substituer au Crédit Industriel, à condition
toutefois que les titres constituant la garantie de lʼavance,
fussent à sa convenance.

Je suis heureux dʼajouter que Etablissement
en question
se contentera de 5 1/2 % dʼintérêts par an, sans
aucune commission. Si, donc le transfert de ton avance à cet
Etablissemenent est faisable ( ce qui dépendra du gage que nous
pourrons lui offrir) tu auras réellement fait une bonne af-
faire.

Afin de me permettre dʼétablir à nouveau ta
situation financière, et notamment en ce qui concerne le
Crédit Industriel, je te prie de me fournir immédiatement, (en
veillant surtout à ne pas laisser ta réponse sur ta table )le
dernier extrait de compte courant reçu du Crédit Industriel
ainsi que le dernier relevé de tes titres en dépôt chez celui-
ci
, que tu as dû recevoir probablement au commencement de lʼan-
née. Ceci je te prie de meʼ lʼenvoyer immédiatement. Puis
tu mʼindiqueras exactement quelles sont toutes les valeurs que
tu as réalisées depuis le 1er Décembre dernier et quelle est
ta situation vis-à-vis des différents coulissiers. As-tu li-



3.-

quidé tes différentes positions chez eux ou reste-t-il encore
quelque chose en suspens ? Dans ce cas prière de mʼadresser
le dernier compte reçu de ces Messieurs.

Les renseignements concernant les ventes ef-
fectuées ainsi que les comptes des coulissiers peuvent mʼêtre
adressés par toi ultérieurement si tu nʼas pas sous la main
tous les renseignements nécessaires de façon à pouvoir les com-
prendre dans ta première lettre.

Tu comprendras que la seule difficulté que pré-
sente le transfert est de trouver dans ton portefeuille suffi-
samment de titres de premier ordre pour gager lʼavance que de-
vra consentir le nouvel etablissement . Il faudra donc lui of-
frir un gage composé exclusivement de titres comme la Rente
Française
, la Rente Egyptienne , les Parts civiles de Suez, et
quelques autres valeurs de ce genre, faute de quoi il ne sera
pas possible de rembourser la totalité de lʼavance.

En ce qui concerne tes Doubawaia Balka, il pa-
rait
que de temps en temps il se fait une transaction en Bour-
se
de 25 ou 50 titres, mais comme le cours est très variable
suivant que les titres sont offerts ou demandés, les prix pra-
tiqués peuvent fluctuer entre 170 et 190. Je te prie donc de
me dire si tu mʼautorises à vendre la totalité de ces titres,
auquel cas je te prie de me fixer une limite raisonnable. Bien
entendu je ne forcerai pas le marché mais comme ces actions ne
rapportent pas dʼintérêts il serait pratique, en principe, de
les liquider car cela ferait rentrer une centaine de mille
francs qui diminueraient ta dette dʼautant.

Si cependant cela te fait trop de peine de



4.-

vendre ces actions au cours actuel et que tu croies quʼelles
vont monter par la suite ( ce qui est vraisemblable sans que
lʼon puisse prévoir à quel moment se produira la hausse) jʼexa-
>minerai, dès que jʼaurai tous tes renseignements si le revenu
de ton portefeuille actuel , après déduction des intérêts ré-
duits sur lʼavance nouvelle, est suffisant pour te permettre
de te maintenir à flot, auquel cas, rien ne sʼopposera à ce
que tu attendes les événements. Dans le cas contraire, je
nʼhésiterais pas à chercher à réaliser les dites actions car
cela diminuerait td es charges dʼintérêts de 5.500 frs par an.

Jʼajouterai, pour ta gouverne, que le fait de
prêter au Trésor Français td esʼ Egyptiens et td es Suez ne tʼempê-
chera pas de les vendre si tu tʼy décides plus tard car le Tré-
sor en échange des titres prêtés délivre des certificats qui
seront cotés en Bourse. Il sera même possible de donner ces
certificats en gage dʼavances au lieu des titres eux-mêmes.
Tu auras donc tous les avantages puisque tu ne mobilises pas
ton argent et tu augmentes tes revenus de 25 %.

Jʼattends donc ta réponse par retour du cour-
rier et si tu approuves mes conclusions ( et que je trouve
dans ton portefeuille un gage suffisant pour le nouvel Etablis-
sement
) je te remettrai à la signature une lettre adressée au
Crédit Industriel pour lʼinviter à me remettre tous les titres
quʼil détient sous ton dossier contre remboursement du solde
de ton compte.

Bien affectueusement à toi.


Surlignage
 

Paris, le 17 mai 1916

Mon cher Marcel,

Jʼai bien reçu ta lettre du 13 courant, et celle du 15 (?).

Je mʼempresse de te dire, en réponse à la première, que je nʼai jamais été de nationalité portugaise. Je suis sujet britannique étant né sur le sol britannique (lisez Gibraltar).

Ce premier point important une fois établi passons à la question du prêt de tes titres au Trésor français .

Pour ce qui concerne les 310 parts Société Civile de Suez que tu as rue Laffitte, je suppose que tu possèdes un récépissé comme pour les autres valeurs que nous avons retirées de chez ces Messieurs, auquel cas je te prie de me lʼenvoyer de suite, dûment acquitté par toi.

Je te fais mes excuses en ce qui concerne ton Hollandais, tes Saragosse et tes Nord de lʼEspagne . Si ces valeurs ont été comprises sur la liste que je tʼai adressée cʼest parce que, leur vente nʼayant pas été réalisée par ma Maison , leur départ nʼavait pas été constaté.

Comme suite à ton invitation, je me suis mis en rapports avec le Crédit Industriel et lui ayant exposé lʼintérêt que je te portais depuis ma plus tendre enfance, jʼai cherché à obtenir la suppression de la commission sur lʼavance quʼil tʼa consentie.


 


 

Tout en se réservant de me répondre définitivement après examen attentif de ton dossier, ledit Établissement mʼa laissé entendre quʼétant donné les circonstances actuelles iu l aimerait tout autant revoir son argent que réduire les conditions qui régissent ton compte. Je nʼai donc pas cru devoir attendre la réponse officielle dudit Établissement et me suis immédiatement rendu chez un de mes banquiers , lequel, eu égard à ma recommandation, se déclara disposé en principe, à se substituer au Crédit Industriel, à condition toutefois que les titres constituant la garantie de lʼavance fussent à sa convenance.

Je suis heureux dʼajouter que Établissement en question se contentera de 5 ½ % dʼintérêts par an, sans aucune commission. Si donc le transfert de ton avance à cet Établissement est faisable (ce qui dépendra du gage que nous pourrons lui offrir) tu auras réellement fait une bonne affaire.

Afin de me permettre dʼétablir à nouveau ta situation financière, et notamment en ce qui concerne le Crédit Industriel, je te prie de me fournir immédiatement, (en veillant surtout à ne pas laisser ta réponse sur ta table) le dernier extrait de compte courant reçu du Crédit Industriel ainsi que le dernier relevé de tes titres en dépôt chez celui-ci, que tu as dû recevoir probablement au commencement de lʼannée. Ceci je te prie de m lʼenvoyer immédiatement. Puis tu mʼindiqueras exactement quelles sont toutes les valeurs que tu as réalisées depuis le 1er décembre dernier et quelle est ta situation vis-à-vis des différents coulissiers. As-tu li-


 


 

quidé tes différentes positions chez eux ou reste-t-il encore quelque chose en suspens ? Dans ce cas prière de mʼadresser le dernier compte reçu de ces Messieurs.

Les renseignements concernant les ventes effectuées ainsi que les comptes des coulissiers peuvent mʼêtre adressés par toi ultérieurement si tu nʼas pas sous la main tous les renseignements nécessaires de façon à pouvoir les comprendre dans ta première lettre.

Tu comprendras que la seule difficulté que présente le transfert est de trouver dans ton portefeuille suffisamment de titres de premier ordre pour gager lʼavance que devra consentir le nouvel établissement . Il faudra donc lui offrir un gage composé exclusivement de titres comme la Rente française , la Rente égyptienne , les Parts civiles de Suez, et quelques autres valeurs de ce genre, faute de quoi il ne sera pas possible de rembourser la totalité de lʼavance.

En ce qui concerne tes Doubawaia Balka, il paraît que de temps en temps il se fait une transaction en Bourse de 25 ou 50 titres, mais comme le cours est très variable suivant que les titres sont offerts ou demandés, les prix pratiqués peuvent fluctuer entre 170 et 190. Je te prie donc de me dire si tu mʼautorises à vendre la totalité de ces titres, auquel cas je te prie de me fixer une limite raisonnable. Bien entendu je ne forcerai pas le marché mais comme ces actions ne rapportent pas dʼintérêts il serait pratique, en principe, de les liquider car cela ferait rentrer une centaine de mille francs qui diminueraient ta dette dʼautant.

Si cependant cela te fait trop de peine de


 


 

vendre ces actions au cours actuel et que tu croies quʼelles vont monter par la suite (ce qui est vraisemblable sans que lʼon puisse prévoir à quel moment se produira la hausse) jʼexa>minerai, dès que jʼaurai tous tes renseignements si le revenu de ton portefeuille actuel, après déduction des intérêts réduits sur lʼavance nouvelle, est suffisant pour te permettre de te maintenir à flot, auquel cas, rien ne sʼopposera à ce que tu attendes les événements. Dans le cas contraire, je nʼhésiterais pas à chercher à réaliser lesdites actions car cela diminuerait td es charges dʼintérêts de 5 500 francs par an.

Jʼajouterai, pour ta gouverne, que le fait de prêter au Trésor français td es Égyptiens et td es Suez ne tʼempêchera pas de les vendre si tu tʼy décides plus tard car le Trésor en échange des titres prêtés délivre des certificats qui seront cotés en Bourse. Il sera même possible de donner ces certificats en gage dʼavances au lieu des titres eux-mêmes. Tu auras donc tous les avantages puisque tu ne mobilises pas ton argent et tu augmentes tes revenus de 25 %.

Jʼattends donc ta réponse par retour du courrier et si tu approuves mes conclusions (et que je trouve dans ton portefeuille un gage suffisant pour le nouvel Établissement) je te remettrai à la signature une lettre adressée au Crédit Industriel pour lʼinviter à me remettre tous les titres quʼil détient sous ton dossier contre remboursement du solde de ton compte.

Bien affectueusement à toi.


 
Note n°1
Dans sa lettre du samedi 13 mai 1916, Proust avait qualifié Hauser de « natif dʼun pays allié (Portugal) » (CP 03097 ; Kolb, XV, n° 33). [FP]
Note n°2
Voir la lettre de Hauser du 12 mai 1916 : « notre Ministre des Finances vient de sʼadresser aux porteurs de valeurs des pays neutres, les invitant à lui prêter certaines de ces valeurs pour lui permettre de se procurer du change. » (CP 03096 ; Kolb, XV, nº 32). [Kolb]
Note n°3
Dans sa lettre du 13 mai, Proust répondait à Hauser, lequel lui avait suggéré de prêter ces valeurs au Trésor, quʼil les avait, « sur [s]on conseil, vendu il y a q. q. mois » : sur ces transactions opérées en novembre et décembre 1915, voir la note 3 de cette précédente lettre (CP 03097) . [PK, FP]
Note n°4
Sur lʼavance de 218 000 francs que Proust avait obtenue en 1912 du Crédit industriel et commercial, il devait encore 184 000 francs à la fin février 1916, malgré la vente dʼun grand nombre de valeurs pour tenter de rembourser cette dette. Les intérêts annuels sur ses soldes débiteurs sʼélevaient à 8% (Gian Balsamo, Proust and his Banker: In Search of Time Squandered, Columbia, South Carolina, The University of South Carolina Press, 2017, p. 38). Dans sa lettre du 13 mai 1916, Proust se plaignait de devoir payer en outre « des "agios" assez obscurs » et demandait à Hauser de sʼentremettre pour tenter de ramener ses intérêts au taux de 6%, qui était, semble-t-il, le taux officiel du crédit depuis 1915 (voir CP 03097, note 5). Dʼaprès la présente lettre de Hauser, le Crédit industriel et commercial ajoutait en effet aux intérêts des « frais de commission ». Voir ci-dessous, note 7, au sujet du montant des frais bancaires imputés chaque mois à Proust. [FP, FL]
Note n°5
Il sʼagit de lʼagence parisienne de la London County & Westminster Bank. Hauser tait pour lʼinstant le nom de cette banque ; il ne le révélera quʼune fois la transaction conclue (CP 03123 ; Kolb, XV, nº 59). [FP]
Note n°6
Voir la réponse de Proust dans sa lettre du mercredi 17 mai 1916 (CP 03100 ; Kolb, XV, nº 36). [FP]
Note n°7
Entendons : si Proust ne peut déposer à la London County & Westminster Bank des valeurs de tout premier ordre en gage, cet établissement ne pourra pas rembourser au Crédit industriel et commercial la totalité de ce que Proust lui doit encore. Dans sa lettre du 25 mai 1916 (CP 03115  ; Kolb, XV, n° 51), Hauser établira un calcul précis de la dette de Proust auprès du Crédit industriel et du montant des valeurs boursières quʼil doit donner en gage au nouvel établissement pour obtenir le prêt qui servira à solder cette dette : fin février 1916, sur son avance initiale de 218 000 francs, il devait encore 184 000 francs ; grossi de 1300 francs par mois dʼintérêts et de frais de commissions, son solde débiteur allait atteindre environ 190 000 francs fin mai. De plus, Proust a également au Crédit industriel et commercial une position de Bourse débitrice dʼenviron 9300 francs (les engagements « à terme » augmentés des intérêts moratoires, quʼil nʼa pas encore fini de rembourser). Cʼest donc 200 000 francs quʼil doit emprunter auprès du nouvel établissement, fin mai 1916, pour se libérer définitivement du Crédit industriel et commercial. Mais pour obtenir ce transfert, il doit offrir en gage des valeurs sûres pour environ 270 000 francs, une marge de sécurité dʼau moins 20% étant nécessaire. [FL]


Mots-clefs :guerre
Date de mise en ligne : October 17, 2022 14:38
Date de la dernière mise à jour : November 22, 2022 15:10
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