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CP 02993 Lionel Hauser à Marcel Proust le 28 août 1915

Surlignage

, le 28 Août 1915

Mon Cher Marcel,

Je viens de recevoir ta longue lettre que
jʼai de nouveau lue avec grand intérêt bien que cela te chif-
fonne.

Je suis vraiment désolé dʼapprendre les démar-
ches et contre-démarches faites par ton personnel domestique
dans le seul but de me démontrer ta gratitude avant que je
nʼaie le temps dʼen douter.

En ce qui concerne le messager zélé à qui tu as
confié le soin dʼapprendre ma nouvelle adresse, jʼignore à
qui il lʼa demandée, mais sʼil est venu rue de la Victoire il
nʼest sûrement pas monté jusquʼà mon bureau car personne chez
nous ne lʼa aperçu depuis fort lontemps.

Ceci tʼexplique ton allusion à mes absences du
bureau alors que depuis le mois dʼ Avril je nʼy ai pas manqué
un seul jour.

Si ton messager sʼest adressé à la concierge,
il nʼa que ce quʼil mérite, jʼespère en tout cas quʼil ne re-
commencera plus.

Ma nouvelle adresse est 18 Avenue de lʼObser-
vatoire où je souhaite avoir un jour ou lʼautre le plaisir
de te recevoir malgré nos cinq étages et lʼabsence dʼascen-
ceur.



Ceci dit, je tʼaccorde à lʼavenir un délai
minimum de 48 heures pour mʼexprimer ta reconnaissance de
façon à ce que tu nʼes aies pas besoin de te bousculer, mais entre
nous soit dit, je ne trouve pas que le fait de te répondre
immédiatement quand je nʼai rien dʼautre à faire, et avec
toute la sincérité dûe à notre bonne et ancienne amitié, me
confère un nouveau titre à ta reconnaissance donnant lieu à
une nouvelle manifestation de gratitude.

Passant maintenant à la phrase de ma lettre qui
a failli te faire douter de la pureté de mes sentiments à ton
égard, tu comprendras quʼil soit très difficile pour moi de
me rendre un compte exact de ton état physique. Cʼest pour-
quoi lorsquʼaprès tʼavoir examiné, un major de lʼarmée fran-
çaise te déclare bon pour le service armé, je suis tenu jus-
quʼà preuve du contraire, de mʼincliner devant son diagnostic.
Jʼai donc espéré que ce fut lui qui eût raison et toi qui
eusses tort mais ta nouvelle communication mʼenlève tout es-
poir à cet égard. Il ne me reste donc quʼà espérer que suivant
lʼexemple de ton ex-confrère, Voltaire, tu réussisses malgré
ta santé chancelante, à enterrer toute ta génération.

En réponse au P.S. de ta susdite, je mʼempresse
de tʼinformer que je ne possède pas ton livre: Les plaisirs
et les soins Jours
, et que si tu es heureux de me lʼenvoyer, je
serai encore plus heureux de le recevoir. Je ne me bornerai
dʼailleurs pas à en regarder les images mais je prendrai
même la peine de le lire bien que ta modestie naturelle tʼem-
pêche de mʼen recommander la lecture.

Je tʼen remercie dʼavance bien sincèrement et te prie de me croire, Mon Cher Marcel, ton bien dévoué


Surlignage
 

le 28 août 1915

Mon cher Marcel,

Je viens de recevoir ta longue lettre que jʼai de nouveau lue avec grand intérêt bien que cela te chiffonne.

Je suis vraiment désolé dʼapprendre les démarches et contre-démarches faites par ton personnel domestique dans le seul but de me démontrer ta gratitude avant que je nʼaie le temps dʼen douter.

En ce qui concerne le messager zélé à qui tu as confié le soin dʼapprendre ma nouvelle adresse, jʼignore à qui il lʼa demandée, mais sʼil est venu rue de la Victoire il nʼest sûrement pas monté jusquʼà mon bureau car personne chez nous ne lʼa aperçu depuis fort lontemps.

Ceci tʼexplique ton allusion à mes absences du bureau alors que depuis le mois dʼavril je nʼy ai pas manqué un seul jour.

Si ton messager sʼest adressé à la concierge, il nʼa que ce quʼil mérite, jʼespère en tout cas quʼil ne recommencera plus.

Ma nouvelle adresse est 18 Avenue de lʼObservatoire où je souhaite avoir un jour ou lʼautre le plaisir de te recevoir malgré nos cinq étages et lʼabsence dʼascenseur.


 


 

Ceci dit, je tʼaccorde à lʼavenir un délai minimum de 48 heures pour mʼexprimer ta reconnaissance de façon à ce que tu nʼ aies pas besoin de te bousculer, mais entre nous soit dit, je ne trouve pas que le fait de te répondre immédiatement quand je nʼai rien dʼautre à faire, et avec toute la sincérité dûe à notre bonne et ancienne amitié, me confère un nouveau titre à ta reconnaissance donnant lieu à une nouvelle manifestation de gratitude.

Passant maintenant à la phrase de ma lettre qui a failli te faire douter de la pureté de mes sentiments à ton égard, tu comprendras quʼil soit très difficile pour moi de me rendre un compte exact de ton état physique. Cʼest pourquoi lorsquʼaprès tʼavoir examiné, un major de lʼarmée française te déclare bon pour le service armé, je suis tenu jusquʼà preuve du contraire, de mʼincliner devant son diagnostic. Jʼai donc espéré que ce fut lui qui eût raison et toi qui eusses tort mais ta nouvelle communication mʼenlève tout espoir à cet égard. Il ne me reste donc quʼà espérer que suivant lʼexemple de ton ex-confrère, Voltaire, tu réussisses malgré ta santé chancelante, à enterrer toute ta génération.

En réponse au P.S. de ta susdite, je mʼempresse de tʼinformer que je ne possède pas ton livre : Les Plaisirs et les Jours , et que si tu es heureux de me lʼenvoyer, je serai encore plus heureux de le recevoir. Je ne me bornerai dʼailleurs pas à en regarder les images mais je prendrai même la peine de le lire bien que ta modestie naturelle tʼempêche de mʼen recommander la lecture.

Je tʼen remercie dʼavance bien sincèrement et te prie de me croire, Mon Cher Marcel, ton bien dévoué


 
Note n°1
Kolb suppose quʼil sʼagit de Céleste Albaret, Proust nʼayant pas dʼautre domestique connu à cette époque. [PK, FP]
Note n°2
Dans sa lettre du 24 août 1915 (CP 02991 ; Kolb, XIV, nº 103), Hauser plaisantait sur la nouvelle quʼun major avait trouvé Proust « bon pour le Service armé », avec ajournement de six mois (ce que lui avait appris Proust dans sa lettre du 23 août, CP 02990 ; Kolb, XIV, nº 102). Proust annonce la même nouvelle à Lucien Daudet dans sa lettre du [8 août 1915] (CP 02989  ; Kolb, XIV, nº 101). [FP]
Note
Marcel Proust 1896 Les Plaisirs et les Jours


Mots-clefs :
Date de mise en ligne : October 17, 2022 13:21
Date de la dernière mise à jour : November 22, 2022 14:39
Surlignage

, le 28 Août 1915

Mon Cher Marcel,

Je viens de recevoir ta longue lettre que
jʼai de nouveau lue avec grand intérêt bien que cela te chif-
fonne.

Je suis vraiment désolé dʼapprendre les démar-
ches et contre-démarches faites par ton personnel domestique
dans le seul but de me démontrer ta gratitude avant que je
nʼaie le temps dʼen douter.

En ce qui concerne le messager zélé à qui tu as
confié le soin dʼapprendre ma nouvelle adresse, jʼignore à
qui il lʼa demandée, mais sʼil est venu rue de la Victoire il
nʼest sûrement pas monté jusquʼà mon bureau car personne chez
nous ne lʼa aperçu depuis fort lontemps.

Ceci tʼexplique ton allusion à mes absences du
bureau alors que depuis le mois dʼ Avril je nʼy ai pas manqué
un seul jour.

Si ton messager sʼest adressé à la concierge,
il nʼa que ce quʼil mérite, jʼespère en tout cas quʼil ne re-
commencera plus.

Ma nouvelle adresse est 18 Avenue de lʼObser-
vatoire où je souhaite avoir un jour ou lʼautre le plaisir
de te recevoir malgré nos cinq étages et lʼabsence dʼascen-
ceur.



Ceci dit, je tʼaccorde à lʼavenir un délai
minimum de 48 heures pour mʼexprimer ta reconnaissance de
façon à ce que tu nʼes aies pas besoin de te bousculer, mais entre
nous soit dit, je ne trouve pas que le fait de te répondre
immédiatement quand je nʼai rien dʼautre à faire, et avec
toute la sincérité dûe à notre bonne et ancienne amitié, me
confère un nouveau titre à ta reconnaissance donnant lieu à
une nouvelle manifestation de gratitude.

Passant maintenant à la phrase de ma lettre qui
a failli te faire douter de la pureté de mes sentiments à ton
égard, tu comprendras quʼil soit très difficile pour moi de
me rendre un compte exact de ton état physique. Cʼest pour-
quoi lorsquʼaprès tʼavoir examiné, un major de lʼarmée fran-
çaise te déclare bon pour le service armé, je suis tenu jus-
quʼà preuve du contraire, de mʼincliner devant son diagnostic.
Jʼai donc espéré que ce fut lui qui eût raison et toi qui
eusses tort mais ta nouvelle communication mʼenlève tout es-
poir à cet égard. Il ne me reste donc quʼà espérer que suivant
lʼexemple de ton ex-confrère, Voltaire, tu réussisses malgré
ta santé chancelante, à enterrer toute ta génération.

En réponse au P.S. de ta susdite, je mʼempresse
de tʼinformer que je ne possède pas ton livre: Les plaisirs
et les soins Jours
, et que si tu es heureux de me lʼenvoyer, je
serai encore plus heureux de le recevoir. Je ne me bornerai
dʼailleurs pas à en regarder les images mais je prendrai
même la peine de le lire bien que ta modestie naturelle tʼem-
pêche de mʼen recommander la lecture.

Je tʼen remercie dʼavance bien sincèrement et te prie de me croire, Mon Cher Marcel, ton bien dévoué


Surlignage
 

le 28 août 1915

Mon cher Marcel,

Je viens de recevoir ta longue lettre que jʼai de nouveau lue avec grand intérêt bien que cela te chiffonne.

Je suis vraiment désolé dʼapprendre les démarches et contre-démarches faites par ton personnel domestique dans le seul but de me démontrer ta gratitude avant que je nʼaie le temps dʼen douter.

En ce qui concerne le messager zélé à qui tu as confié le soin dʼapprendre ma nouvelle adresse, jʼignore à qui il lʼa demandée, mais sʼil est venu rue de la Victoire il nʼest sûrement pas monté jusquʼà mon bureau car personne chez nous ne lʼa aperçu depuis fort lontemps.

Ceci tʼexplique ton allusion à mes absences du bureau alors que depuis le mois dʼavril je nʼy ai pas manqué un seul jour.

Si ton messager sʼest adressé à la concierge, il nʼa que ce quʼil mérite, jʼespère en tout cas quʼil ne recommencera plus.

Ma nouvelle adresse est 18 Avenue de lʼObservatoire où je souhaite avoir un jour ou lʼautre le plaisir de te recevoir malgré nos cinq étages et lʼabsence dʼascenseur.


 


 

Ceci dit, je tʼaccorde à lʼavenir un délai minimum de 48 heures pour mʼexprimer ta reconnaissance de façon à ce que tu nʼ aies pas besoin de te bousculer, mais entre nous soit dit, je ne trouve pas que le fait de te répondre immédiatement quand je nʼai rien dʼautre à faire, et avec toute la sincérité dûe à notre bonne et ancienne amitié, me confère un nouveau titre à ta reconnaissance donnant lieu à une nouvelle manifestation de gratitude.

Passant maintenant à la phrase de ma lettre qui a failli te faire douter de la pureté de mes sentiments à ton égard, tu comprendras quʼil soit très difficile pour moi de me rendre un compte exact de ton état physique. Cʼest pourquoi lorsquʼaprès tʼavoir examiné, un major de lʼarmée française te déclare bon pour le service armé, je suis tenu jusquʼà preuve du contraire, de mʼincliner devant son diagnostic. Jʼai donc espéré que ce fut lui qui eût raison et toi qui eusses tort mais ta nouvelle communication mʼenlève tout espoir à cet égard. Il ne me reste donc quʼà espérer que suivant lʼexemple de ton ex-confrère, Voltaire, tu réussisses malgré ta santé chancelante, à enterrer toute ta génération.

En réponse au P.S. de ta susdite, je mʼempresse de tʼinformer que je ne possède pas ton livre : Les Plaisirs et les Jours , et que si tu es heureux de me lʼenvoyer, je serai encore plus heureux de le recevoir. Je ne me bornerai dʼailleurs pas à en regarder les images mais je prendrai même la peine de le lire bien que ta modestie naturelle tʼempêche de mʼen recommander la lecture.

Je tʼen remercie dʼavance bien sincèrement et te prie de me croire, Mon Cher Marcel, ton bien dévoué


 
Note n°1
Kolb suppose quʼil sʼagit de Céleste Albaret, Proust nʼayant pas dʼautre domestique connu à cette époque. [PK, FP]
Note n°2
Dans sa lettre du 24 août 1915 (CP 02991 ; Kolb, XIV, nº 103), Hauser plaisantait sur la nouvelle quʼun major avait trouvé Proust « bon pour le Service armé », avec ajournement de six mois (ce que lui avait appris Proust dans sa lettre du 23 août, CP 02990 ; Kolb, XIV, nº 102). Proust annonce la même nouvelle à Lucien Daudet dans sa lettre du [8 août 1915] (CP 02989  ; Kolb, XIV, nº 101). [FP]
Note
Marcel Proust 1896 Les Plaisirs et les Jours


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Date de mise en ligne : October 17, 2022 13:21
Date de la dernière mise à jour : November 22, 2022 14:39
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