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CP 02924 Marcel Proust à Eugénie Lémel [premiers jours de mars 1915]

Surlignage

Ma chère Eugénie

Je vous remercie mille fois
de votre lettre et des sentiments
si délicats que vous mʼexprimez.
Les pénibles conséquences de mes
ennuis sont trop compliquées pour
que je puisse vous en parler dans
une lettre. Jʼai de bonnes nouvelles
de Monsieur Robert , de M. Hahn ,
de Nicolas . Mais naturellement on
ne sait jamais ce que le lendemain


Est-ce que
je confonds ? Est-ce
que vous nʼavez pas été autrefois
chez une Madame Thierry Mieg .
Car jʼai vu quʼun fils Thierry Mieg
avait été tué, je ne sais pas si
cʼest de celle-là. Dʼautre part
un neveu de Me Raimbert
le Bon Lejeune a été
tué. Il venait dʼ-
épouser la fille de la
Pcesse Murat  belle
sœur
de mon
meilleur ami
le Mis
dʼ-
Albufera

réserve. Le filsAntoine est parti
mais pas encore au feu. Beaucoup
de mes amis ont été tués mais
je ne sais si vous les connaissiez.
Parmi les personnes qui venaient à
la maison de votre temps, le
petit Bénac a été tué, le
petit Tirman et le petit Catusse
blessés, le fils de Madame Berge
(la fille de Félix Faure) est

prisonnier en Allemagne  (jʼapprends en dernière heure quʼil est tué à ce quʼon croit. , le petit
Derbanne
et M. de Fénelon tués.
Je ne puis vous dire quelle tristesse


les morts dʼêtres jeunes et pleins de valeur me
causent. M. de Fénelon était à la Légation de France
en Norvège , le gouvernement lui avait demandé dʼy
rester, il a absolument voulu sʼengager et aller dans
les tranchées. Sa sœur, la Mise de Montebello  avait eu
il y a 3 ans son jeune mari tué par la foudre. Toute
cette immense fortune va à aller à personne. Mais
la fortune nʼest rien. Ce qui était admirable chez le
Cte de Fénelon, cʼétait le cœur, lʼintelligence
merveilleuse. Vous devez vous rappeler que nous étions
allés ensemble en Hollande .

Croyez ma chère Eugénie à
mes sincères amitiés

Marcel Proust

Surlignage
 

Ma chère Eugénie

Je vous remercie mille fois de votre lettre et des sentiments si délicats que vous mʼexprimez. Les pénibles conséquences de mes ennuis sont trop compliquées pour que je puisse vous en parler dans une lettre. Jʼai de bonnes nouvelles de Monsieur Robert , de M. Hahn , de Nicolas . Mais naturellement on ne sait jamais ce que le lendemain


 

réserve. Le filsAntoine est parti mais pas encore au feu. Beaucoup de mes amis ont été tués mais je ne sais si vous les connaissiez. Parmi les personnes qui venaient à la maison de votre temps, le petit Bénac a été tué, le petit Tirman et le petit Catusse blessés, le fils de Madame Berge (la fille de Félix Faure) est prisonnier en Allemagne  (jʼapprends en dernière heure quʼil est tué à ce quʼon croit) , le petit Derbanne et M. de Fénelon tués. Je ne puis vous dire quelle tristesse


 

les morts dʼêtres jeunes et pleins de valeur me causent. M. de Fénelon était à la Légation de France en Norvège , le gouvernement lui avait demandé dʼy rester, il a absolument voulu sʼengager et aller dans les tranchées. Sa sœur, la marquise de Montebello , avait eu il y a trois ans son jeune mari tué par la foudre. Toute cette immense fortune va aller à personne. Mais la fortune nʼest rien. Ce qui était admirable chez le comte de Fénelon, cʼétait le cœur, lʼintelligence merveilleuse. Vous devez vous rappeler que nous étions allés ensemble en Hollande .

Croyez ma chère Eugénie à mes sincères amitiés

Marcel Proust

Note n°1
Lettre qui se situe après le 27 février 1915 (mention de la mort dʼun fils Thierry-Mieg lue dans le journal : voir la note 8 ci-après) et plusieurs jours avant la lettre à Georges de Lauris écrite [vers le 10 mars 1915] (CP 02925 ; Kolb, XIV, nº 36 : voir les notes 16 et 18 ci-après). Elle doit donc dater des premiers jours de mars 1915. [PK, PW, FL]
Note n°2
Eugénie Lémel fut femme de chambre chez Mme Proust à partir dʼau moins 1890 (voir la lettre du [28 avril 1890] : CP 00023 ; Kolb, I, n° 23) et peut-être jusquʼen 1901 (voir la lettre du [30 août 1901] : CP 00585 ; Kolb, II, nº 279). Nous avons très peu dʼinformations la concernant, sinon quʼelle est décédée peu avant le 4 août 1915 (lettre de Proust à une inconnue, datée du 4 août 1915 : CP 02986 ; Kolb, XIV, nº 98). Dans Jean Santeuil, Proust a donné le prénom dʼEugénie à une femme de chambre (JS, p. 357 — voir le manuscrit, NAF 16615, f. 349 v  : « Oh ! les serviettes mises par Eugénie dans sa chambre […] »). [PK, FL]
Note n°3
Aucune lettre dʼEugénie Lémel nʼa été retrouvée. Proust fait plusieurs fois lʼéloge de ses dons épistolaires. Dans la seule autre lettre de Proust à cette correspondante connue à ce jour, datant probablement de janvier 1915, il employait déjà cette même formule : « votre lettre de vœux (dont je vous remercie) réveille mon remords de ne vous avoir pas remerciée encore des sentiments si délicats que vous mʼavez exprimés dans la précédente. » (CP 05416 ; Cher ami..., p. 105 et p. 350, BPRS 59). Lorsquʼelle était encore au service des Proust, quelques lettres de Marcel à sa mère révèlent quʼil avait plaisir à correspondre avec cette femme de chambre : « Remercie bien Eugénie de sa charmante lettre. Je vais lui répondre » (lettre du [24 septembre 1899] : CP 00522 ; Kolb, II, nº 216) ; ou encore : « lettre remarquable […] dʼEugénie » (lettre du [30 août 1901] : CP 00585 ; Kolb, II, nº 279). [PW]
Note n°4
Eugénie appelait le frère de Marcel Proust « Monsieur Robert », selon lʼusage des domestiques de lʼépoque (voir P. Guiral et G. Thuillier, La Vie quotidienne des domestiques en France au XIXe , Paris, Hachette, 1978, p. 213). Robert Proust était parti pour Verdun comme médecin-major dès la mobilisation et y opérait avec bravoure dans des conditions dangereuses : voir la lettre de Proust à Louis de Robert du 3 janvier 1915 (CP 02890 ; Kolb, XIV, n° 1) ou encore celle à Robert de Billy [entre le 8 et 11 avril 1915] (CP 02915 et sa note 8 ; Kolb, XIV, n° 26). [PK, PW, FL]
Note n°5
Reynaldo Hahn était alors en Argonne : voir la carte-lettre de Hahn à Proust [peu avant le 5 mars ? 1915] (CP 02913 ; Kolb, XIV, n° 24) ou la lettre de Proust à Robert de Billy [entre le 8 et le 11 avril 1915], p. 6 (CP 02915 ; Kolb, XIV, n° 26). [PW, FL]
Note n°6
Nicolas Cottin, valet de chambre de Proust, a été mobilisé à la mi-août 1914. Proust avait déjà donné de ses nouvelles à Eugénie Lémel dans une lettre précédente : « Nicolas est dans lʼest, je ne sais au juste où. » (CP 05416 ; Cher ami..., p. 350, BPRS 59 — voir la note 3 ci-dessus). Il mourra à lʼhôpital Saint-Antoine à Paris, le 4 juillet 1916, dʼune pleurésie contractée à la guerre (voir sa fiche dans le corristre des matricules de recrutement militaire, ainsi que sa fiche dans la base « Mémoire des hommes », dans la catégorie « Non mort pour la France »). [PK, PW]
Note n°7
Les Thierry-Mieg étaient une famille dʼindustriels alsaciens du textile. Parmi les nombreuses branches, plusieurs étaient restées à Mulhouse, berceau de la famille, contribuant au développement des sociétés familiales. Parmi celles qui se sont installées à Paris ou à proximité et chez qui Eugénie Lemel aurait pu servir, on peut mentionner Charles Thierry-Mieg (1833-1901) et son épouse née Jenny Louise Emma Paccard (1842-1923) (voir à la page « Notices biographiques des correspondants » du site Corr-Proust la fiche relative à cette famille) ; ou encore Jean-Jacques Thierry-Mieg (1820-1904), médecin, et son épouse née Amélie Koechlin (1825-1903). — Une lettre de Jeanne Proust à Marcel de 1890 (CP 00031  ; Kolb, I, nº 31) indique quʼEugénie Lémel était allée se faire soigner les dents chez le dentiste de Mme Thierry-Mieg. Il semblerait ainsi quʼelle ait servi dans cette famille avant dʼêtre employée chez les Proust, donc avant 1890. [PK, PW, FL]
Note n°8
Le jeune Thierry-Mieg dont Proust a appris le décès par la presse ne peut être que Jean Thierry-Mieg, né le 10 septembre 1890, fils de M. et Mme Auguste Thierry-Mieg, donc neveu (et non fils) de la famille quʼEugénie Lémel avait servie. Sergent au 15e bataillon de chasseurs, il avait été tué le 4 février 1915 à la bataille dʼUffholtz, en Alsace, selon sa fiche dans la base « Mémoire des hommes ». Sa mort est annoncée dans Le Temps du 2 mars 1915, p. 4, rubrique « Nécrologie », et dans Le Journal du 3 mars 1915, p. 4, rubrique « Morts au champ dʼhonneur ». Une annonce nécrologique plus détaillée avait paru dans le Journal de Genève du 27 février 1915, p. 4 ; Proust lisait aussi régulièrement ce quotidien durant la guerre. [PK, PW, FL]
Note n°9
Il sʼagit de Mme Louis Jules Raimbert, née Henriette Delon (née le 3 mai 1824 à Paris et décédée le 8 janvier 1903 dans son château de Bois-Bertrand, Eure). Lors de son décès, lʼannonce nécrologique parue dans Le Figaro du 12 janvier 1903 précisait quʼelle était « la tante du baron Lejeune » ; ce lien de parenté était également précisé dans la Nécrologie du Journal des Débats du 13 janvier 1903, p. 3. [PW]
Note n°10
Le baron Jules Marie Edgard Lejeune, ancien élève de Saint-Cyr, était capitaine au 5e régiment de cuirassiers, détaché à la 1e division de cavalerie anglaise. Il était mort des suites de blessures de guerre, le 23 novembre 1914, à lʼhôpital militaire de Bailleul (Nord) (voir sa fiche militaire dans la base « Mémoire des hommes »). Proust avait pu apprendre son décès par Le Figaro du 26 novembre 1914, p. 3, rubrique « Le Monde & la Ville — Deuil », ou par la notice nécrologique plus détaillée parue dans Le Figaro du 5 décembre 1914, p. 4, même rubrique. [PK, PW]
Note n°11
Marguerite Malcy Caroline Alexandrine Murat (1886-1956) était la fille du prince Joachim Murat (1856-1932) et Cécile Marie Michaëla Ney dʼElchingen (1867-1960). Le baron Edgard Lejeune lʼavait épousée le 1er juillet 1912 (voir Le Figaro, 2 juillet 1912, p. 3, rubrique « Le Monde & la Ville — Mariages »). [PK, PW]
Note n°12
Marguerite Furtado-Heine (1847-1903) eut des enfants de son premier mariage (en 1866) avec Michel Ney dʼElchingen (1835-1881), dont Cécile Ney dʼElchingen, qui épousa le prince Joachim Murat. De son second mariage, en 1882, avec François Victor, duc de Massena dʼEssling et de Rivoli (1836-1910), elle eut aussi plusieurs enfants, dont Anne Massena dʼEssling et de Rivoli, qui épousa le marquis Louis dʼAlbufera. La marquise Louis dʼAlbufera et la princesse Joachim Murat étaient donc demi-sœurs (et non belles-sœurs) ; Marguerite Murat, épouse du baron Lejeune (voir la note 11 ci-dessus), fille de la princesse Joachim Murat, était la nièce de la marquise et du marquis Louis dʼAlbufera. [PK, FL]
Note n°13
Quelques mois plus tôt, Proust donnait déjà à Eugénie Lemel des nouvelles de ce jeune homme : « Le fils dʼAntoine part ces jours-ci. » (CP 05416 ; Cher ami..., p. 350, BPRS 59). Il sʼagit dʼAndré Yves (ou Yvon) Bertholom, né le 26 octobre 1895 à Rosporden (Finistère), fils dʼAntoine et Louise Berthelom, le couple de concierges du 102, boulevard Haussmann (voir leur notice biographique sur le site Corr-Proust). Selon son dossier dans le corristre des matricules militaires, il avait été incorporé le 27 décembre 1914 au 42e Régiment dʼinfanterie, puis il passa le 3 juin 1915 au 146e Régiment dʼinfanterie ; blessé à la cheville par éclat dʼobus le 4 juillet 1915, il devait, après plusieurs mois dʼhôpital et de convalescence, changer dʼarme pour lʼartillerie puis les chars dʼassaut. Une lettre de Proust de décembre 1914 (CP 02854 ; Kolb, XIII, n° 203) nous apprend que le fils dʼAntoine était alors au « camp dʼAvor » : nʼayant encore que 19 ans, il y effectuait probablement sa période dʼinstruction militaire. André Bertholom a survécu à la Grande Guerre (voir sa notice biographique sur le site Corr-Proust). [PK, PW, FL]
Note n°14
Jean Bénac, jeune avocat, était le fils dʼAndré et Edmée Bénac, de vieux amis de la famille Proust. Il fut tué par un obus le 15 décembre 1914, à Thann, en Alsace (voir sa fiche militaire dans la base « Mémoire des hommes »). Jean Bénac a peut-être servi de modèle au personnage de Robert de Saint-Loup pendant la guerre (voir Pyra Wise, « Jean Bénac dans lʼEnfer de la Grande Guerre : une source de Robert de Saint-Loup au front », Quaderni Proustiani, nº 12, 2018, 113-140). [PK, PW, FL]
Note n°15
Il sʼagit de Jacques Tirman et de Charles Catusse, dont Proust donnait aussi des nouvelles dans sa lettre de janvier 1915 à Eugénie Lémel : « Les jeunes Catusse et Tirman que vous connaissiez tous deux ont été blessés grièvement mais sont guéris et repartis se battre. » (CP 05416 ; Cher ami, p. 350, BPRS 59). Pour le fils de Mme Catusse, voir sa notice biographique sur le site Corr-Proust. Quant à Jacques Tirman, il doit sʼagir de Jacques Comolet-Tirman (1884-1955), le fils de Louise Tirman, qui était la seule fille du préfet et ancien gouverneur général dʼAlgérie Louis Tirman (voir Vincent Wright, Les Préfets de Gambetta, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2007, p. 400). [PK, PW]
Note n°16
Antoinette Faure, la fille du président Félix Faure, amie dʼenfance de Marcel Proust, épouse de René Berge, avait eu trois enfants, dont Jacques Berge, tué à lʼennemi le 22 août 1914 (voir sa fiche dans le corristre des matricules militaires, et dans la base « Mémoire des hommes »). Dans une lettre à Georges de Lauris [vers le 10 mars 1915] (voir CP 02925 ; Kolb, XIV, n° 36), Proust mentionne le cas de son amie Mme Berge qui, « il y a huit jours apprenait officiellement par un ami du Ministère [que son fils] était prisonnier », nouvelle officielle qui sʼétait peu après révélée fausse : « Par suite dʼune erreur stupide trois cent familles sont ainsi passées du deuil à la joie et de la joie au deuil cette semaine-là ». Lʼindication de « cette semaine- » suggère que la lettre à Lauris a été écrite la semaine suivante. Lʼajout interlinéaire inséré ici dans la lettre à Eugénie Lémel marque le moment où la fausse bonne nouvelle a été démentie : cette lettre doit donc précéder de plusieurs jours celle à Lauris. [PK, PW, FL]
Note n°17
Il ne peut sʼagir que de Joseph Noël Derbanne, né le 25 décembre 1880, lieutenant au 28e régiment dʼinfanterie, tué à lʼennemi le 29 août 1914 à Macquigny (Aisne). Il était le fils de M. Gustave Derbanne, courtier, et de son épouse, née Léonie Rosalie Lévy. Nous ne trouvons dans la base Mémoire des hommes aucun autre Derbanne tué à lʼennemi en 1914 ou 1915. Son frère Jacques, né le 7 août 1876, clerc dʼavoué, avait été réformé en 1897 pour « myopie supérieure à 6 dioptries » et nʼavait pas été mobilisé (voir sa fiche dans le corristre des matricules militaires) ; il fut déclaré bon pour le service armé par le Conseil de révision de la Seine en date du 10 mars 1915 (soit après cette lettre à Eugénie Lémel) mais obtint un sursis jusquʼau 12 juin 1915. Il ne rejoignit son régiment que le 29 novembre 1915 et, par suite dʼune phlébite, fut reclassé dans les services auxiliaires le 6 juin 1916 en tant que secrétaire dʼÉtat-Major, et survécut à la guerre. [FL]
Note n°18
Bertrand de Salignac-Fénelon, tombé à Mametz le 17 décembre 1914 (voir le corristre de matricule militaire, DR1 976, et sa fiche dans le corristre des « Morts pour la France 14-18 »), fut longtemps porté disparu sans quʼon sût sʼil était mort, gravement blessé, ou prisonnier en Allemagne. En janvier 1915, Proust confiait à Maria de Madrazo : « Bertrand de Fénelon a peut-être été tué. On ne sait rien. Cette idée me rend fou » (CP 02895 ; Kolb, XIV, nº 6). Par une lettre du 17 février 1915, la marquise de Montebello, sœur de Fénelon, apprenait à Proust quʼun témoin disait lʼavoir vu tomber, mortellement blessé (CP 02908 ; Kolb, XIV, n° 19), mais Proust continuait à espérer quʼil ne fût que blessé. Antoine Bibesco, de passage à Paris fin février ou début mars 1915, apprit à Proust lors dʼune visite qui semble se situer le 27 février que Fénelon était désormais tenu pour mort (voir la lettre de Proust à Louis de Robert du [début mars 1915] : CP 02921 ; Kolb, XIV, n° 32). Mais après quelques jours dʼaffliction, Proust se reprendra à espérer que Fénelon ne fût que (gravement) blessé, estimant quʼil nʼy avait toujours aucune preuve de sa mort (voir sa lettre à Lauris [vers le 10 mars 1915] : CP 02925 ; Kolb, XIV, n° 36). Cʼest par lʼannonce nécrologique parue dans Le Figaro du 13 mars 1915, p. 3, rubrique « Le Monde & la Ville — Deuil », quʼil apprendra que la mort de Fénelon était désormais confirmée. La présente lettre à Eugénie Lémel se situe donc entre la visite dʼAntoine Bibesco du [27 février 1915 ?] qui donnait Fénelon pour mort, et le moment où Proust reprend espoir début mars (avant de devoir admettre le 13 mars quʼaucun espoir nʼest plus possible). [PK, PW, FL]
Note n°19
Bertrand de Salignac-Fénelon fut dʼabord nommé attaché dʼambassade à Constantinople en 1902, Saint-Pétersbourg, Berlin, puis secrétaire dʼambassade à Pékin, Washington, Rio de Janeiro et La Havane. Au moment de la mobilisation, il était secrétaire dʼambassade de deuxième classe à Christiana, au Danemark, depuis le 16 avril 1914 (voir toutes ses affectations dans sa fiche du corristre des matricules militaires et dans lʼAnnuaire Diplomatique de la République française, 1914, p. 291). [PK, PW]
Note n°20
Le marquis Louis Lannes de Montebello fut en effet frappé par la foudre en 1912, en rentrant à pied, lors dʼun orage, de la gare de Mériel (Val dʼOise) à son domicile, « Le Moulin de Stors », à côté du château familial. Proust avait probablement appris ce décès accidentel en lisant lʼarticle intitulé « Le marquis de Montebello tué par la foudre » en première page du Figaro du 26 juillet 1912. Il avait dû lire ensuite le compte rendu détaillé des obsèques dans Le Figaro du 30 juillet 1912, p. 3, rubrique « Le Monde & la Ville — Deuil ». Il écrivit à Bertrand de Fénelon au sujet de ce décès en juillet 1912 (CP 02356 ; Kolb, XI, nº 92). [PK, PW]
Note n°21
Proust et Fénelon avaient fait un voyage en Hollande et en Belgique en octobre 1902. [PK]


Mots-clefs :guerre
Date de mise en ligne : November 2, 2022 11:17
Date de la dernière mise à jour : November 22, 2022 14:41
Surlignage

Ma chère Eugénie

Je vous remercie mille fois
de votre lettre et des sentiments
si délicats que vous mʼexprimez.
Les pénibles conséquences de mes
ennuis sont trop compliquées pour
que je puisse vous en parler dans
une lettre. Jʼai de bonnes nouvelles
de Monsieur Robert , de M. Hahn ,
de Nicolas . Mais naturellement on
ne sait jamais ce que le lendemain


Est-ce que
je confonds ? Est-ce
que vous nʼavez pas été autrefois
chez une Madame Thierry Mieg .
Car jʼai vu quʼun fils Thierry Mieg
avait été tué, je ne sais pas si
cʼest de celle-là. Dʼautre part
un neveu de Me Raimbert
le Bon Lejeune a été
tué. Il venait dʼ-
épouser la fille de la
Pcesse Murat  belle
sœur
de mon
meilleur ami
le Mis
dʼ-
Albufera

réserve. Le filsAntoine est parti
mais pas encore au feu. Beaucoup
de mes amis ont été tués mais
je ne sais si vous les connaissiez.
Parmi les personnes qui venaient à
la maison de votre temps, le
petit Bénac a été tué, le
petit Tirman et le petit Catusse
blessés, le fils de Madame Berge
(la fille de Félix Faure) est

prisonnier en Allemagne  (jʼapprends en dernière heure quʼil est tué à ce quʼon croit. , le petit
Derbanne
et M. de Fénelon tués.
Je ne puis vous dire quelle tristesse


les morts dʼêtres jeunes et pleins de valeur me
causent. M. de Fénelon était à la Légation de France
en Norvège , le gouvernement lui avait demandé dʼy
rester, il a absolument voulu sʼengager et aller dans
les tranchées. Sa sœur, la Mise de Montebello  avait eu
il y a 3 ans son jeune mari tué par la foudre. Toute
cette immense fortune va à aller à personne. Mais
la fortune nʼest rien. Ce qui était admirable chez le
Cte de Fénelon, cʼétait le cœur, lʼintelligence
merveilleuse. Vous devez vous rappeler que nous étions
allés ensemble en Hollande .

Croyez ma chère Eugénie à
mes sincères amitiés

Marcel Proust

Surlignage
 

Ma chère Eugénie

Je vous remercie mille fois de votre lettre et des sentiments si délicats que vous mʼexprimez. Les pénibles conséquences de mes ennuis sont trop compliquées pour que je puisse vous en parler dans une lettre. Jʼai de bonnes nouvelles de Monsieur Robert , de M. Hahn , de Nicolas . Mais naturellement on ne sait jamais ce que le lendemain


 

réserve. Le filsAntoine est parti mais pas encore au feu. Beaucoup de mes amis ont été tués mais je ne sais si vous les connaissiez. Parmi les personnes qui venaient à la maison de votre temps, le petit Bénac a été tué, le petit Tirman et le petit Catusse blessés, le fils de Madame Berge (la fille de Félix Faure) est prisonnier en Allemagne  (jʼapprends en dernière heure quʼil est tué à ce quʼon croit) , le petit Derbanne et M. de Fénelon tués. Je ne puis vous dire quelle tristesse


 

les morts dʼêtres jeunes et pleins de valeur me causent. M. de Fénelon était à la Légation de France en Norvège , le gouvernement lui avait demandé dʼy rester, il a absolument voulu sʼengager et aller dans les tranchées. Sa sœur, la marquise de Montebello , avait eu il y a trois ans son jeune mari tué par la foudre. Toute cette immense fortune va aller à personne. Mais la fortune nʼest rien. Ce qui était admirable chez le comte de Fénelon, cʼétait le cœur, lʼintelligence merveilleuse. Vous devez vous rappeler que nous étions allés ensemble en Hollande .

Croyez ma chère Eugénie à mes sincères amitiés

Marcel Proust

Note n°1
Lettre qui se situe après le 27 février 1915 (mention de la mort dʼun fils Thierry-Mieg lue dans le journal : voir la note 8 ci-après) et plusieurs jours avant la lettre à Georges de Lauris écrite [vers le 10 mars 1915] (CP 02925 ; Kolb, XIV, nº 36 : voir les notes 16 et 18 ci-après). Elle doit donc dater des premiers jours de mars 1915. [PK, PW, FL]
Note n°2
Eugénie Lémel fut femme de chambre chez Mme Proust à partir dʼau moins 1890 (voir la lettre du [28 avril 1890] : CP 00023 ; Kolb, I, n° 23) et peut-être jusquʼen 1901 (voir la lettre du [30 août 1901] : CP 00585 ; Kolb, II, nº 279). Nous avons très peu dʼinformations la concernant, sinon quʼelle est décédée peu avant le 4 août 1915 (lettre de Proust à une inconnue, datée du 4 août 1915 : CP 02986 ; Kolb, XIV, nº 98). Dans Jean Santeuil, Proust a donné le prénom dʼEugénie à une femme de chambre (JS, p. 357 — voir le manuscrit, NAF 16615, f. 349 v  : « Oh ! les serviettes mises par Eugénie dans sa chambre […] »). [PK, FL]
Note n°3
Aucune lettre dʼEugénie Lémel nʼa été retrouvée. Proust fait plusieurs fois lʼéloge de ses dons épistolaires. Dans la seule autre lettre de Proust à cette correspondante connue à ce jour, datant probablement de janvier 1915, il employait déjà cette même formule : « votre lettre de vœux (dont je vous remercie) réveille mon remords de ne vous avoir pas remerciée encore des sentiments si délicats que vous mʼavez exprimés dans la précédente. » (CP 05416 ; Cher ami..., p. 105 et p. 350, BPRS 59). Lorsquʼelle était encore au service des Proust, quelques lettres de Marcel à sa mère révèlent quʼil avait plaisir à correspondre avec cette femme de chambre : « Remercie bien Eugénie de sa charmante lettre. Je vais lui répondre » (lettre du [24 septembre 1899] : CP 00522 ; Kolb, II, nº 216) ; ou encore : « lettre remarquable […] dʼEugénie » (lettre du [30 août 1901] : CP 00585 ; Kolb, II, nº 279). [PW]
Note n°4
Eugénie appelait le frère de Marcel Proust « Monsieur Robert », selon lʼusage des domestiques de lʼépoque (voir P. Guiral et G. Thuillier, La Vie quotidienne des domestiques en France au XIXe , Paris, Hachette, 1978, p. 213). Robert Proust était parti pour Verdun comme médecin-major dès la mobilisation et y opérait avec bravoure dans des conditions dangereuses : voir la lettre de Proust à Louis de Robert du 3 janvier 1915 (CP 02890 ; Kolb, XIV, n° 1) ou encore celle à Robert de Billy [entre le 8 et 11 avril 1915] (CP 02915 et sa note 8 ; Kolb, XIV, n° 26). [PK, PW, FL]
Note n°5
Reynaldo Hahn était alors en Argonne : voir la carte-lettre de Hahn à Proust [peu avant le 5 mars ? 1915] (CP 02913 ; Kolb, XIV, n° 24) ou la lettre de Proust à Robert de Billy [entre le 8 et le 11 avril 1915], p. 6 (CP 02915 ; Kolb, XIV, n° 26). [PW, FL]
Note n°6
Nicolas Cottin, valet de chambre de Proust, a été mobilisé à la mi-août 1914. Proust avait déjà donné de ses nouvelles à Eugénie Lémel dans une lettre précédente : « Nicolas est dans lʼest, je ne sais au juste où. » (CP 05416 ; Cher ami..., p. 350, BPRS 59 — voir la note 3 ci-dessus). Il mourra à lʼhôpital Saint-Antoine à Paris, le 4 juillet 1916, dʼune pleurésie contractée à la guerre (voir sa fiche dans le corristre des matricules de recrutement militaire, ainsi que sa fiche dans la base « Mémoire des hommes », dans la catégorie « Non mort pour la France »). [PK, PW]
Note n°7
Les Thierry-Mieg étaient une famille dʼindustriels alsaciens du textile. Parmi les nombreuses branches, plusieurs étaient restées à Mulhouse, berceau de la famille, contribuant au développement des sociétés familiales. Parmi celles qui se sont installées à Paris ou à proximité et chez qui Eugénie Lemel aurait pu servir, on peut mentionner Charles Thierry-Mieg (1833-1901) et son épouse née Jenny Louise Emma Paccard (1842-1923) (voir à la page « Notices biographiques des correspondants » du site Corr-Proust la fiche relative à cette famille) ; ou encore Jean-Jacques Thierry-Mieg (1820-1904), médecin, et son épouse née Amélie Koechlin (1825-1903). — Une lettre de Jeanne Proust à Marcel de 1890 (CP 00031  ; Kolb, I, nº 31) indique quʼEugénie Lémel était allée se faire soigner les dents chez le dentiste de Mme Thierry-Mieg. Il semblerait ainsi quʼelle ait servi dans cette famille avant dʼêtre employée chez les Proust, donc avant 1890. [PK, PW, FL]
Note n°8
Le jeune Thierry-Mieg dont Proust a appris le décès par la presse ne peut être que Jean Thierry-Mieg, né le 10 septembre 1890, fils de M. et Mme Auguste Thierry-Mieg, donc neveu (et non fils) de la famille quʼEugénie Lémel avait servie. Sergent au 15e bataillon de chasseurs, il avait été tué le 4 février 1915 à la bataille dʼUffholtz, en Alsace, selon sa fiche dans la base « Mémoire des hommes ». Sa mort est annoncée dans Le Temps du 2 mars 1915, p. 4, rubrique « Nécrologie », et dans Le Journal du 3 mars 1915, p. 4, rubrique « Morts au champ dʼhonneur ». Une annonce nécrologique plus détaillée avait paru dans le Journal de Genève du 27 février 1915, p. 4 ; Proust lisait aussi régulièrement ce quotidien durant la guerre. [PK, PW, FL]
Note n°9
Il sʼagit de Mme Louis Jules Raimbert, née Henriette Delon (née le 3 mai 1824 à Paris et décédée le 8 janvier 1903 dans son château de Bois-Bertrand, Eure). Lors de son décès, lʼannonce nécrologique parue dans Le Figaro du 12 janvier 1903 précisait quʼelle était « la tante du baron Lejeune » ; ce lien de parenté était également précisé dans la Nécrologie du Journal des Débats du 13 janvier 1903, p. 3. [PW]
Note n°10
Le baron Jules Marie Edgard Lejeune, ancien élève de Saint-Cyr, était capitaine au 5e régiment de cuirassiers, détaché à la 1e division de cavalerie anglaise. Il était mort des suites de blessures de guerre, le 23 novembre 1914, à lʼhôpital militaire de Bailleul (Nord) (voir sa fiche militaire dans la base « Mémoire des hommes »). Proust avait pu apprendre son décès par Le Figaro du 26 novembre 1914, p. 3, rubrique « Le Monde & la Ville — Deuil », ou par la notice nécrologique plus détaillée parue dans Le Figaro du 5 décembre 1914, p. 4, même rubrique. [PK, PW]
Note n°11
Marguerite Malcy Caroline Alexandrine Murat (1886-1956) était la fille du prince Joachim Murat (1856-1932) et Cécile Marie Michaëla Ney dʼElchingen (1867-1960). Le baron Edgard Lejeune lʼavait épousée le 1er juillet 1912 (voir Le Figaro, 2 juillet 1912, p. 3, rubrique « Le Monde & la Ville — Mariages »). [PK, PW]
Note n°12
Marguerite Furtado-Heine (1847-1903) eut des enfants de son premier mariage (en 1866) avec Michel Ney dʼElchingen (1835-1881), dont Cécile Ney dʼElchingen, qui épousa le prince Joachim Murat. De son second mariage, en 1882, avec François Victor, duc de Massena dʼEssling et de Rivoli (1836-1910), elle eut aussi plusieurs enfants, dont Anne Massena dʼEssling et de Rivoli, qui épousa le marquis Louis dʼAlbufera. La marquise Louis dʼAlbufera et la princesse Joachim Murat étaient donc demi-sœurs (et non belles-sœurs) ; Marguerite Murat, épouse du baron Lejeune (voir la note 11 ci-dessus), fille de la princesse Joachim Murat, était la nièce de la marquise et du marquis Louis dʼAlbufera. [PK, FL]
Note n°13
Quelques mois plus tôt, Proust donnait déjà à Eugénie Lemel des nouvelles de ce jeune homme : « Le fils dʼAntoine part ces jours-ci. » (CP 05416 ; Cher ami..., p. 350, BPRS 59). Il sʼagit dʼAndré Yves (ou Yvon) Bertholom, né le 26 octobre 1895 à Rosporden (Finistère), fils dʼAntoine et Louise Berthelom, le couple de concierges du 102, boulevard Haussmann (voir leur notice biographique sur le site Corr-Proust). Selon son dossier dans le corristre des matricules militaires, il avait été incorporé le 27 décembre 1914 au 42e Régiment dʼinfanterie, puis il passa le 3 juin 1915 au 146e Régiment dʼinfanterie ; blessé à la cheville par éclat dʼobus le 4 juillet 1915, il devait, après plusieurs mois dʼhôpital et de convalescence, changer dʼarme pour lʼartillerie puis les chars dʼassaut. Une lettre de Proust de décembre 1914 (CP 02854 ; Kolb, XIII, n° 203) nous apprend que le fils dʼAntoine était alors au « camp dʼAvor » : nʼayant encore que 19 ans, il y effectuait probablement sa période dʼinstruction militaire. André Bertholom a survécu à la Grande Guerre (voir sa notice biographique sur le site Corr-Proust). [PK, PW, FL]
Note n°14
Jean Bénac, jeune avocat, était le fils dʼAndré et Edmée Bénac, de vieux amis de la famille Proust. Il fut tué par un obus le 15 décembre 1914, à Thann, en Alsace (voir sa fiche militaire dans la base « Mémoire des hommes »). Jean Bénac a peut-être servi de modèle au personnage de Robert de Saint-Loup pendant la guerre (voir Pyra Wise, « Jean Bénac dans lʼEnfer de la Grande Guerre : une source de Robert de Saint-Loup au front », Quaderni Proustiani, nº 12, 2018, 113-140). [PK, PW, FL]
Note n°15
Il sʼagit de Jacques Tirman et de Charles Catusse, dont Proust donnait aussi des nouvelles dans sa lettre de janvier 1915 à Eugénie Lémel : « Les jeunes Catusse et Tirman que vous connaissiez tous deux ont été blessés grièvement mais sont guéris et repartis se battre. » (CP 05416 ; Cher ami, p. 350, BPRS 59). Pour le fils de Mme Catusse, voir sa notice biographique sur le site Corr-Proust. Quant à Jacques Tirman, il doit sʼagir de Jacques Comolet-Tirman (1884-1955), le fils de Louise Tirman, qui était la seule fille du préfet et ancien gouverneur général dʼAlgérie Louis Tirman (voir Vincent Wright, Les Préfets de Gambetta, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2007, p. 400). [PK, PW]
Note n°16
Antoinette Faure, la fille du président Félix Faure, amie dʼenfance de Marcel Proust, épouse de René Berge, avait eu trois enfants, dont Jacques Berge, tué à lʼennemi le 22 août 1914 (voir sa fiche dans le corristre des matricules militaires, et dans la base « Mémoire des hommes »). Dans une lettre à Georges de Lauris [vers le 10 mars 1915] (voir CP 02925 ; Kolb, XIV, n° 36), Proust mentionne le cas de son amie Mme Berge qui, « il y a huit jours apprenait officiellement par un ami du Ministère [que son fils] était prisonnier », nouvelle officielle qui sʼétait peu après révélée fausse : « Par suite dʼune erreur stupide trois cent familles sont ainsi passées du deuil à la joie et de la joie au deuil cette semaine-là ». Lʼindication de « cette semaine- » suggère que la lettre à Lauris a été écrite la semaine suivante. Lʼajout interlinéaire inséré ici dans la lettre à Eugénie Lémel marque le moment où la fausse bonne nouvelle a été démentie : cette lettre doit donc précéder de plusieurs jours celle à Lauris. [PK, PW, FL]
Note n°17
Il ne peut sʼagir que de Joseph Noël Derbanne, né le 25 décembre 1880, lieutenant au 28e régiment dʼinfanterie, tué à lʼennemi le 29 août 1914 à Macquigny (Aisne). Il était le fils de M. Gustave Derbanne, courtier, et de son épouse, née Léonie Rosalie Lévy. Nous ne trouvons dans la base Mémoire des hommes aucun autre Derbanne tué à lʼennemi en 1914 ou 1915. Son frère Jacques, né le 7 août 1876, clerc dʼavoué, avait été réformé en 1897 pour « myopie supérieure à 6 dioptries » et nʼavait pas été mobilisé (voir sa fiche dans le corristre des matricules militaires) ; il fut déclaré bon pour le service armé par le Conseil de révision de la Seine en date du 10 mars 1915 (soit après cette lettre à Eugénie Lémel) mais obtint un sursis jusquʼau 12 juin 1915. Il ne rejoignit son régiment que le 29 novembre 1915 et, par suite dʼune phlébite, fut reclassé dans les services auxiliaires le 6 juin 1916 en tant que secrétaire dʼÉtat-Major, et survécut à la guerre. [FL]
Note n°18
Bertrand de Salignac-Fénelon, tombé à Mametz le 17 décembre 1914 (voir le corristre de matricule militaire, DR1 976, et sa fiche dans le corristre des « Morts pour la France 14-18 »), fut longtemps porté disparu sans quʼon sût sʼil était mort, gravement blessé, ou prisonnier en Allemagne. En janvier 1915, Proust confiait à Maria de Madrazo : « Bertrand de Fénelon a peut-être été tué. On ne sait rien. Cette idée me rend fou » (CP 02895 ; Kolb, XIV, nº 6). Par une lettre du 17 février 1915, la marquise de Montebello, sœur de Fénelon, apprenait à Proust quʼun témoin disait lʼavoir vu tomber, mortellement blessé (CP 02908 ; Kolb, XIV, n° 19), mais Proust continuait à espérer quʼil ne fût que blessé. Antoine Bibesco, de passage à Paris fin février ou début mars 1915, apprit à Proust lors dʼune visite qui semble se situer le 27 février que Fénelon était désormais tenu pour mort (voir la lettre de Proust à Louis de Robert du [début mars 1915] : CP 02921 ; Kolb, XIV, n° 32). Mais après quelques jours dʼaffliction, Proust se reprendra à espérer que Fénelon ne fût que (gravement) blessé, estimant quʼil nʼy avait toujours aucune preuve de sa mort (voir sa lettre à Lauris [vers le 10 mars 1915] : CP 02925 ; Kolb, XIV, n° 36). Cʼest par lʼannonce nécrologique parue dans Le Figaro du 13 mars 1915, p. 3, rubrique « Le Monde & la Ville — Deuil », quʼil apprendra que la mort de Fénelon était désormais confirmée. La présente lettre à Eugénie Lémel se situe donc entre la visite dʼAntoine Bibesco du [27 février 1915 ?] qui donnait Fénelon pour mort, et le moment où Proust reprend espoir début mars (avant de devoir admettre le 13 mars quʼaucun espoir nʼest plus possible). [PK, PW, FL]
Note n°19
Bertrand de Salignac-Fénelon fut dʼabord nommé attaché dʼambassade à Constantinople en 1902, Saint-Pétersbourg, Berlin, puis secrétaire dʼambassade à Pékin, Washington, Rio de Janeiro et La Havane. Au moment de la mobilisation, il était secrétaire dʼambassade de deuxième classe à Christiana, au Danemark, depuis le 16 avril 1914 (voir toutes ses affectations dans sa fiche du corristre des matricules militaires et dans lʼAnnuaire Diplomatique de la République française, 1914, p. 291). [PK, PW]
Note n°20
Le marquis Louis Lannes de Montebello fut en effet frappé par la foudre en 1912, en rentrant à pied, lors dʼun orage, de la gare de Mériel (Val dʼOise) à son domicile, « Le Moulin de Stors », à côté du château familial. Proust avait probablement appris ce décès accidentel en lisant lʼarticle intitulé « Le marquis de Montebello tué par la foudre » en première page du Figaro du 26 juillet 1912. Il avait dû lire ensuite le compte rendu détaillé des obsèques dans Le Figaro du 30 juillet 1912, p. 3, rubrique « Le Monde & la Ville — Deuil ». Il écrivit à Bertrand de Fénelon au sujet de ce décès en juillet 1912 (CP 02356 ; Kolb, XI, nº 92). [PK, PW]
Note n°21
Proust et Fénelon avaient fait un voyage en Hollande et en Belgique en octobre 1902. [PK]


Mots-clefs :guerre
Date de mise en ligne : November 2, 2022 11:17
Date de la dernière mise à jour : November 22, 2022 14:41
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