CP 02892 Marcel Proust à Marie Scheikévitch le 9 janvier 1915
9 janvier 19151
Madame,
Je ne savais rien ! Je ne me doutais de rien. Je pensais, comme toujours, bien souvent à vous, jʼy avais pensé dans les grands chagrins qui ont accablé pour moi lʼété dernier2, qui furent vraiment mon « Avant-guerre »3, puis depuis la guerre où le cœur angoissé rassemble, ramène à soi les êtres préférés.
Et puis, avant-hier, dans un journal, jʼai vu une liste des membres du barreau... Et ce nom4 ! Jʼai eu une affreuse terreur mais jʼespérais que cʼétait un même nom. Et maintenant je sais. Je sais que vous, lʼêtre entre tous que je voudrais épanoui dans la plus noble joie, que cet être-là a le cœur brisé, ma pensée ne se détache pas de cette idée, en souffre, voudrait sʼen détacher et y revient encore comme on fait, quand on souffre, cent fois le mouvement qui fait le plus de mal. Cʼest sans doute ce jeune homme que jʼavais entrevu chez Larue 5 ? Que jʼaimerais vous voir, je suis tellement triste de votre douleur que ma compagnie ne serait une contrainte ni pour vous ni pour moi.
Moi aussi jʼai un frère sur la ligne de feu, les obus allemands ont traversé toute une journée son hôpital pendant quʼil opérait, tombant sur sa salle dʼopérations6. Il est maintenant en Argonne. Moi jʼai le conseil de contre-réforme à passer et je ne sais si je serai pris ou non. Je mets tout mon espoir en votre fils pour mettre la douceur de sa tendresse et de son charme comme le seul apaisement sur votre détresse.
Croyez que je ne cesserai plus de penser à vous avec une tristesse, une affection, un respect infinis.
Marcel Proust
9 janvier 19151
Madame,
Je ne savais rien ! Je ne me doutais de rien. Je pensais, comme toujours, bien souvent à vous, jʼy avais pensé dans les grands chagrins qui ont accablé pour moi lʼété dernier2, qui furent vraiment mon « Avant-guerre »3, puis depuis la guerre où le cœur angoissé rassemble, ramène à soi les êtres préférés.
Et puis, avant-hier, dans un journal, jʼai vu une liste des membres du Barreau... Et ce nom4 ! Jʼai eu une affreuse terreur mais jʼespérais que cʼétait un même nom. Et maintenant je sais. Je sais que vous, lʼêtre entre tous que je voudrais épanoui dans la plus noble joie, que cet être-là a le cœur brisé, ma pensée ne se détache pas de cette idée, en souffre, voudrait sʼen détacher et y revient encore comme on fait, quand on souffre, cent fois le mouvement qui fait le plus de mal. Cʼest sans doute ce jeune homme que jʼavais entrevu chez Larue 5 ? Que jʼaimerais vous voir, je suis tellement triste de votre douleur que ma compagnie ne serait une contrainte ni pour vous ni pour moi.
Moi aussi jʼai un frère sur la ligne de feu, les obus allemands ont traversé toute une journée son hôpital pendant quʼil opérait, tombant sur sa salle dʼopérations6. Il est maintenant en Argonne. Moi jʼai le conseil de contre-réforme à passer et je ne sais si je serai pris ou non. Je mets tout mon espoir en votre fils pour mettre la douceur de sa tendresse et de son charme comme le seul apaisement sur votre détresse.
Croyez que je ne cesserai plus de penser à vous avec une tristesse, une affection, un respect infinis.
Marcel Proust
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03
9 janvier 19151
Madame,
Je ne savais rien ! Je ne me doutais de rien. Je pensais, comme toujours, bien souvent à vous, jʼy avais pensé dans les grands chagrins qui ont accablé pour moi lʼété dernier2, qui furent vraiment mon « Avant-guerre »3, puis depuis la guerre où le cœur angoissé rassemble, ramène à soi les êtres préférés.
Et puis, avant-hier, dans un journal, jʼai vu une liste des membres du barreau... Et ce nom4 ! Jʼai eu une affreuse terreur mais jʼespérais que cʼétait un même nom. Et maintenant je sais. Je sais que vous, lʼêtre entre tous que je voudrais épanoui dans la plus noble joie, que cet être-là a le cœur brisé, ma pensée ne se détache pas de cette idée, en souffre, voudrait sʼen détacher et y revient encore comme on fait, quand on souffre, cent fois le mouvement qui fait le plus de mal. Cʼest sans doute ce jeune homme que jʼavais entrevu chez Larue 5 ? Que jʼaimerais vous voir, je suis tellement triste de votre douleur que ma compagnie ne serait une contrainte ni pour vous ni pour moi.
Moi aussi jʼai un frère sur la ligne de feu, les obus allemands ont traversé toute une journée son hôpital pendant quʼil opérait, tombant sur sa salle dʼopérations6. Il est maintenant en Argonne. Moi jʼai le conseil de contre-réforme à passer et je ne sais si je serai pris ou non. Je mets tout mon espoir en votre fils pour mettre la douceur de sa tendresse et de son charme comme le seul apaisement sur votre détresse.
Croyez que je ne cesserai plus de penser à vous avec une tristesse, une affection, un respect infinis.
Marcel Proust
9 janvier 19151
Madame,
Je ne savais rien ! Je ne me doutais de rien. Je pensais, comme toujours, bien souvent à vous, jʼy avais pensé dans les grands chagrins qui ont accablé pour moi lʼété dernier2, qui furent vraiment mon « Avant-guerre »3, puis depuis la guerre où le cœur angoissé rassemble, ramène à soi les êtres préférés.
Et puis, avant-hier, dans un journal, jʼai vu une liste des membres du Barreau... Et ce nom4 ! Jʼai eu une affreuse terreur mais jʼespérais que cʼétait un même nom. Et maintenant je sais. Je sais que vous, lʼêtre entre tous que je voudrais épanoui dans la plus noble joie, que cet être-là a le cœur brisé, ma pensée ne se détache pas de cette idée, en souffre, voudrait sʼen détacher et y revient encore comme on fait, quand on souffre, cent fois le mouvement qui fait le plus de mal. Cʼest sans doute ce jeune homme que jʼavais entrevu chez Larue 5 ? Que jʼaimerais vous voir, je suis tellement triste de votre douleur que ma compagnie ne serait une contrainte ni pour vous ni pour moi.
Moi aussi jʼai un frère sur la ligne de feu, les obus allemands ont traversé toute une journée son hôpital pendant quʼil opérait, tombant sur sa salle dʼopérations6. Il est maintenant en Argonne. Moi jʼai le conseil de contre-réforme à passer et je ne sais si je serai pris ou non. Je mets tout mon espoir en votre fils pour mettre la douceur de sa tendresse et de son charme comme le seul apaisement sur votre détresse.
Croyez que je ne cesserai plus de penser à vous avec une tristesse, une affection, un respect infinis.
Marcel Proust
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03