language

CP 01777 Marcel Proust à Louis d'Albufera [le jeudi soir 26 mars 1908]

Surlignage


Mon cher Louis, je tʼ
écris pour te dire adieu puisque
je nʼai pu réussir à passer
chez toi et que lʼépoque que
tu me disais devoir être celle
de ton départ est à peu près
arrivée. Vas-tu par hasard
Samedi chez les Saussine ? Il
est possible, si je ne suis pas mal,
que jʼy aille. Mais je viens de
passer par des jours et des nuits
de crises si affreuses que je nʼose
faire de projets. Notre pauvre


Rio Tinto n’est guère brillant. Jʼai bien envie de le bazarder quand il sera revenu au cours où je lʼai acheté (1750). Quʼen penses-tu, grand financier ? As-tu vu que dans mes pastiches du Figaro, jʼai parlé de ma déconfiture avec la De Beers ? Jʼai presque envie dʼacheter de ces manchons Hella de Rochette ! Mais cʼest trop embêtant d’écrire pour donner des ordres de bourse. Est-ce que je rêve ou est-ce que tu ne m’envoyais pas porter des lettres autrefois par un jeune télégraphiste qui était apparenté à l’un quelconque de tes serviteurs ? Dans ce cas tu pourrais m’être utile car pour quelque chose que jʼécris jʼaurais besoin de connaître un télégraphiste. Tu me diras que je nʼaurais qu’à parler à ceux qui mʼapportent des dépêches, mais dʼabord personne ne m’écrit plus, et ensuite dans mon quartier ce sont tous des enfants en bas âge incapables de donner lʼombre d’un renseignement. Mais les renseignements (dʼailleurs peu nombreux) ne me suffisent pas ; cʼest surtout de voir un télégraphiste dans l’exercice
de ses fonctions, dʼavoir « lʼimpression » de sa vie. Peutʼêtre
le tien ne lʼest plus. Dans ce cas il ne servirait à rien
mais peut’être a-t-il des amis. Enfin je me recommande
à toi et à lui, si je ne confonds pas. — . As-tu
toujours de bonnes nouvelles de ton oncle ou cousin, le
Duc de Trévise, qui avait été blessé et qui tʼavait
inquiété. Je nʼai plus jamais su si tes soucis de ce côté
étaient apaisés. Ce nʼest dʼailleurs pas le seul côté dont jʼ
aimerais être informé, mais dʼun autre aussi dʼoù il m’est
revenu, il y a quelques mois, des paroles fort peu gentilles pour
moi. Cela nʼempêche pas que moi je reste toujours fidèle et
affectueux. — . Je ne sais pas si tes
amis sont aussi nomades que les
miens, mais j’en ai en Chine, aux
Indes, en Egypte, en Tunisie,
au Japon, partout Dieu merci excepté
à Paris ! Toi seul mon cher Louis
serais le bienvenu si nous pouvions
nous joindre, mais hélas une fatalité
nous sépare. Je te souhaite un moins
triste séjour à Nice que l’année der-
nière
. Ne crois-tu pas que tu ferais bien
dʼy prendre certaines précautions, et,
dans le cas où il y a des moustiques (ce
que j’ignore) de prendre dès ton
arrivée vingt-cinq centigr de bromohydrate
de quinine tous les jours ? Il m’
est impossible d’y aller en cette
saison de fleurs et de parfums. — .
avais peur de voir ton nom dans les
journaux, car ne sachant pas si
le maréchal Suchet n’est pas
au Panthéon, je craignais que tu
imites lʼinitiative du duc de
Montebello
. Certes je trouve lʼ
envoi de Zola au Panthéon
stupide. Mais je ne trouve pas
malgré cela la pensée de M. de
Montebello très heureuse. Il est
vrai que n’ayant aucun des
miens au Panthéon je ne peux
pas être juge. Adieu mon cher
Louis, présente mes respectueux hommages
à Madame d’Albufera et crois
à mon amitié bien profonde et toujours reconnaissante

Marcel Proust

On m’a dit tʼavoir aperçu lʼautre soir
au Divorce de Bourget. Mais je ne sais
pas avec qui. — . A propos de divorce ta
charmante amie Madame de Peyronnet a-t-elle
obtenu le sien ?


Surlignage

Mon cher Louis, je tʼécris pour te dire adieu puisque je nʼai pu réussir à passer chez toi et que lʼépoque que tu me disais devoir être celle de ton départ est à peu près arrivée. Vas-tu par hasard samedi chez les Saussine ? Il est possible, si je ne suis pas mal, que jʼy aille. Mais je viens de passer par des jours et des nuits de crises si affreuses que je nʼose faire de projets. Notre pauvreRio Tinto n’est guère brillant. Jʼai bien envie de le bazarder quand il sera revenu au cours où je lʼai acheté (1750). Quʼen penses-tu, grand financier ? As-tu vu que dans mes pastiches du Figaro, jʼai parlé de ma déconfiture avec la De Beers ? Jʼai presque envie dʼacheter de ces manchons Hella de Rochette ! Mais cʼest trop embêtant d’écrire pour donner des ordres de bourse. Est-ce que je rêve ou est-ce que tu ne m’envoyais pas porter des lettres autrefois par un jeune télégraphiste qui était apparenté à l’un quelconque de tes serviteurs ? Dans ce cas tu pourrais m’être utile car pour quelque chose que jʼécris jʼaurais besoin de connaître un télégraphiste. Tu me diras que je nʼaurais qu’à parler à ceux qui mʼapportent des dépêches, mais dʼabord personne ne m’écrit plus, et ensuite dans mon quartier ce sont tous des enfants en bas âge incapables de donner lʼombre d’un renseignement. Mais les renseignements (dʼailleurs peu nombreux) ne me suffisent pas ; cʼest surtout de voir un télégraphiste dans l’exercicede ses fonctions, dʼavoir « lʼimpression » de sa vie. Peut-être le tien ne lʼest plus. Dans ce cas il ne servirait à rien mais peut-être a-t-il des amis. Enfin je me recommande à toi et à lui, si je ne confonds pas. 

As-tu toujours de bonnes nouvelles de ton oncle ou cousin, le duc de Trévise, qui avait été blessé et qui tʼavait inquiété ? Je nʼai plus jamais su si tes soucis de ce côté étaient apaisés. Ce nʼest dʼailleurs pas le seul côté dont jʼaimerais être informé, mais dʼun autre aussi dʼoù il m’est revenu, il y a quelques mois, des paroles fort peu gentilles pour moi. Cela nʼempêche pas que moi je reste toujours fidèle etaffectueux. 

Je ne sais pas si tes amis sont aussi nomades que les miens, mais j’en ai en Chine, aux Indes, en Égypte, en Tunisie, au Japon, partout Dieu merci excepté à Paris ! Toi seul mon cher Louis serais le bienvenu si nous pouvions nous joindre, mais hélas une fatalité nous sépare. Je te souhaite un moins triste séjour à Nice que l’année dernière. Ne crois-tu pas que tu ferais bien dʼy prendre certaines précautions, et, dans le cas où il y a des moustiques (ce que j’ignore) de prendre dès ton arrivée vingt-cinq centigrammes de bromhydrate de quinine tous les jours ? Il m’est impossible d’y aller en cettesaison de fleurs et de parfums. 

Jʼavais peur de voir ton nom dans les journaux, car ne sachant pas si le maréchal Suchet n’est pas au Panthéon, je craignais que tu imites lʼinitiative du duc de Montebello. Certes je trouve lʼ envoi de Zola au Panthéon stupide. Mais je ne trouve pas malgré cela la pensée de M. de Montebello très heureuse. Il est vrai que n’ayant aucun des miens au Panthéon je ne peux pas être juge. Adieu mon cher Louis, présente mes respectueux hommages à Madame d’Albufera et croisà mon amitié bien profonde et toujours reconnaissante.

Marcel Proust

On m’a dit tʼavoir aperçu lʼautre soir au Divorce de Bourget. Mais je ne sais pas avec qui. 

À propos de divorce ta charmante amie Madame de Peyronnet a-t-elle obtenu le sien ?

Note n°1
D’après Ph. Kolb, la présente lettre aurait été reçue par le destinataire le « 27 mars 1908 », comme l’indique le cachet sur la première page. Il est donc vraisemblable que Proust lʼa rédigée la veille, à savoir le jeudi soir 26 mars 1908. Cf. les allusions à la soirée de « samedi chez les Saussine » (note 3 ci-après), à lʼaffaire Rochette (note 6), à la protestation Montebello (note 10). [PK]
Note n°2
Louis d’Albufera avait l’habitude de passer quelques mois à Nice au printemps. Le Figaro du jeudi 9 avril 1908 annonce : « M. le marquis dʼAlbufera, à Nice » (« Avis mondains », p. 6). [PK]
Note n°3
Le Figaro du 23 mars 1908 note : « Les soirées musicales du samedi chez la comtesse du Pont de Gault-Saussine sont très courues » (« Le Monde et la Ville », p. 2). Proust fait allusion ici à la soirée du samedi 28, soirée sous la direction de Vincent dʼIndy, dont le compte rendu est donné le 30 mars dans le même journal (« Le Monde et la Ville », Le Figaro, p. 2). On y signale la présence de Mlle de Goyon. [PK]
Note n°4
Le Figaro du 8 mars 1908 indique, sous la rubrique « Actions industrielles », pour Rio-Tinto, la cote de 1498. À la date du 26 mars, Rio-Tinto est remonté à 1624. D’après les Débats du 9 mars, Rio Tinto est en baisse de près de 45 % depuis lʼannée précédente à pareille époque, où elle était à 2 700. [PK]
Note n°5
Allusion au pastiche de Michelet, paru dans le Supplément littéraire du Figaro du 22 février 1908, où on lit  : « LʼAllemand fort déductivement devant son pot de bière, voyant chaque jour les cours de la De Beers baisser, reprenait courage (révision du procès Harden, loi polonaise, refus de répondre au Reichstag) » (PM, p. 27 ; Essais, p. 440). [PK]
Note n°6
Plaisante allusion à lʼaffaire Rochette, qui vient dʼéclater. Le Figaro du 24 mars 1908, p. 1-2, sous la manchette « Arrestation du Financier Rochette », nomme parmi les sociétés fondées par lʼescroc : « la Société du Manchon Hella ». On conclut : « On ne sait encore à quel chiffre on peut évaluer la perte qu’auront à subir les clients des diverses sociétés constituées par Rochette car plusieurs de ces valeurs, prônées par le journal Le Financier avaient bénéficié dʼune hausse importante. Le manchon Mella [Hella] était monté de 100 francs à 500 francs ; le Buisson Hella, de 12 fr. 50 à 50 francs ». Cf. la lettre de Proust à Mme Catusse [dʼentre le 25 et le 28 mars 1908] (CP 01778 ; Kolb, VIII, n° 34, note 4). [PK]
Note n°7
Voir à ce propos la lettre de Proust à Albufera du mardi [21 avril 1908] (CP 01790 ; Kolb, VIII, n° 46). [ChC]
Note n°8
Frédéric « Coco » de Madrazo était peut-être encore en Chine (voir CP 01738 ; Kolb, VII, n° 185, note 5). Le New York Herald du 10 mars 1908 annonce que Mme et Mlle Léon Fould sont attendues à Paris, « venant du Caire » (« Déplacements », p. 5). Le 27 mars, le même journal annonce le départ de la comtesse René de Béarn « pour le grand voyage qu’elle entreprend aux Indes et au Japon. Elle ne compte être de retour qu’au mois dʼaoût et doit se rencontrer au Japon avec la princesse Lucien Murat, qui lʼy rejoindra par le Transsibérien  ». [PK]
Note n°9
Allusion, semble-t-il, à la fièvre typhoïde dont le destinataire avait souffert au mois de mars de lʼannée précédente (voir la lettre du même au même du CP 01602 ; Kolb, VII, n° 49). [PK]
Note n°10
Allusion au Figaro du mardi 24 mars 1908, p. 3, « Une protestation », où on lit que le duc de Montebello a adressé une lettre à M. Clemenceau en demandant le transfert du corps de son aïeul, le maréchal Lannes, au cimetière de Montmartre. [PK]
Note n°11
La première représentation de la comédie Un Divorce de Paul Bourget, dont on donne 126 représentations, avait eu lieu au théâtre du Vaudeville le 28 janvier 1908, et depuis, son succès « fait courir tout Paris […] chaque soir » au Vaudeville (« Courrier des théâtres », Le Figaro, 20 mars 1908, p. 6). Voir aussi la lettre à Robert Dreyfus (CP 01769 ; Kolb, VIII, n° 25) où Proust fait allusion à lʼactualité des « couplets relatifs au divorce  ». [PK, ChC]
Note n°12
La vicomtesse de Peyronnet épouse le comte Gaston dʼHumières le 18 juillet 1908 (Le Figaro, 20 juillet 1908, p. 2). [PK]
Note
Marcel Proust Le Figaro. Supplément littéraire Pastiches 22 février, 14 et 21 mars 1908
Note
Le Figaro
Note
Paul Bourget et André Cury Un Divorce 1908


Mots-clefs :argentarts de la scènemondanitéspastichepressesantésortiesvie littéraire
Date de mise en ligne : August 30, 2024 15:07
Date de la dernière mise à jour : August 30, 2024 15:07
Surlignage


Mon cher Louis, je tʼ
écris pour te dire adieu puisque
je nʼai pu réussir à passer
chez toi et que lʼépoque que
tu me disais devoir être celle
de ton départ est à peu près
arrivée. Vas-tu par hasard
Samedi chez les Saussine ? Il
est possible, si je ne suis pas mal,
que jʼy aille. Mais je viens de
passer par des jours et des nuits
de crises si affreuses que je nʼose
faire de projets. Notre pauvre


Rio Tinto n’est guère brillant. Jʼai bien envie de le bazarder quand il sera revenu au cours où je lʼai acheté (1750). Quʼen penses-tu, grand financier ? As-tu vu que dans mes pastiches du Figaro, jʼai parlé de ma déconfiture avec la De Beers ? Jʼai presque envie dʼacheter de ces manchons Hella de Rochette ! Mais cʼest trop embêtant d’écrire pour donner des ordres de bourse. Est-ce que je rêve ou est-ce que tu ne m’envoyais pas porter des lettres autrefois par un jeune télégraphiste qui était apparenté à l’un quelconque de tes serviteurs ? Dans ce cas tu pourrais m’être utile car pour quelque chose que jʼécris jʼaurais besoin de connaître un télégraphiste. Tu me diras que je nʼaurais qu’à parler à ceux qui mʼapportent des dépêches, mais dʼabord personne ne m’écrit plus, et ensuite dans mon quartier ce sont tous des enfants en bas âge incapables de donner lʼombre d’un renseignement. Mais les renseignements (dʼailleurs peu nombreux) ne me suffisent pas ; cʼest surtout de voir un télégraphiste dans l’exercice
de ses fonctions, dʼavoir « lʼimpression » de sa vie. Peutʼêtre
le tien ne lʼest plus. Dans ce cas il ne servirait à rien
mais peut’être a-t-il des amis. Enfin je me recommande
à toi et à lui, si je ne confonds pas. — . As-tu
toujours de bonnes nouvelles de ton oncle ou cousin, le
Duc de Trévise, qui avait été blessé et qui tʼavait
inquiété. Je nʼai plus jamais su si tes soucis de ce côté
étaient apaisés. Ce nʼest dʼailleurs pas le seul côté dont jʼ
aimerais être informé, mais dʼun autre aussi dʼoù il m’est
revenu, il y a quelques mois, des paroles fort peu gentilles pour
moi. Cela nʼempêche pas que moi je reste toujours fidèle et
affectueux. — . Je ne sais pas si tes
amis sont aussi nomades que les
miens, mais j’en ai en Chine, aux
Indes, en Egypte, en Tunisie,
au Japon, partout Dieu merci excepté
à Paris ! Toi seul mon cher Louis
serais le bienvenu si nous pouvions
nous joindre, mais hélas une fatalité
nous sépare. Je te souhaite un moins
triste séjour à Nice que l’année der-
nière
. Ne crois-tu pas que tu ferais bien
dʼy prendre certaines précautions, et,
dans le cas où il y a des moustiques (ce
que j’ignore) de prendre dès ton
arrivée vingt-cinq centigr de bromohydrate
de quinine tous les jours ? Il m’
est impossible d’y aller en cette
saison de fleurs et de parfums. — .
avais peur de voir ton nom dans les
journaux, car ne sachant pas si
le maréchal Suchet n’est pas
au Panthéon, je craignais que tu
imites lʼinitiative du duc de
Montebello
. Certes je trouve lʼ
envoi de Zola au Panthéon
stupide. Mais je ne trouve pas
malgré cela la pensée de M. de
Montebello très heureuse. Il est
vrai que n’ayant aucun des
miens au Panthéon je ne peux
pas être juge. Adieu mon cher
Louis, présente mes respectueux hommages
à Madame d’Albufera et crois
à mon amitié bien profonde et toujours reconnaissante

Marcel Proust

On m’a dit tʼavoir aperçu lʼautre soir
au Divorce de Bourget. Mais je ne sais
pas avec qui. — . A propos de divorce ta
charmante amie Madame de Peyronnet a-t-elle
obtenu le sien ?


Surlignage

Mon cher Louis, je tʼécris pour te dire adieu puisque je nʼai pu réussir à passer chez toi et que lʼépoque que tu me disais devoir être celle de ton départ est à peu près arrivée. Vas-tu par hasard samedi chez les Saussine ? Il est possible, si je ne suis pas mal, que jʼy aille. Mais je viens de passer par des jours et des nuits de crises si affreuses que je nʼose faire de projets. Notre pauvreRio Tinto n’est guère brillant. Jʼai bien envie de le bazarder quand il sera revenu au cours où je lʼai acheté (1750). Quʼen penses-tu, grand financier ? As-tu vu que dans mes pastiches du Figaro, jʼai parlé de ma déconfiture avec la De Beers ? Jʼai presque envie dʼacheter de ces manchons Hella de Rochette ! Mais cʼest trop embêtant d’écrire pour donner des ordres de bourse. Est-ce que je rêve ou est-ce que tu ne m’envoyais pas porter des lettres autrefois par un jeune télégraphiste qui était apparenté à l’un quelconque de tes serviteurs ? Dans ce cas tu pourrais m’être utile car pour quelque chose que jʼécris jʼaurais besoin de connaître un télégraphiste. Tu me diras que je nʼaurais qu’à parler à ceux qui mʼapportent des dépêches, mais dʼabord personne ne m’écrit plus, et ensuite dans mon quartier ce sont tous des enfants en bas âge incapables de donner lʼombre d’un renseignement. Mais les renseignements (dʼailleurs peu nombreux) ne me suffisent pas ; cʼest surtout de voir un télégraphiste dans l’exercicede ses fonctions, dʼavoir « lʼimpression » de sa vie. Peut-être le tien ne lʼest plus. Dans ce cas il ne servirait à rien mais peut-être a-t-il des amis. Enfin je me recommande à toi et à lui, si je ne confonds pas. 

As-tu toujours de bonnes nouvelles de ton oncle ou cousin, le duc de Trévise, qui avait été blessé et qui tʼavait inquiété ? Je nʼai plus jamais su si tes soucis de ce côté étaient apaisés. Ce nʼest dʼailleurs pas le seul côté dont jʼaimerais être informé, mais dʼun autre aussi dʼoù il m’est revenu, il y a quelques mois, des paroles fort peu gentilles pour moi. Cela nʼempêche pas que moi je reste toujours fidèle etaffectueux. 

Je ne sais pas si tes amis sont aussi nomades que les miens, mais j’en ai en Chine, aux Indes, en Égypte, en Tunisie, au Japon, partout Dieu merci excepté à Paris ! Toi seul mon cher Louis serais le bienvenu si nous pouvions nous joindre, mais hélas une fatalité nous sépare. Je te souhaite un moins triste séjour à Nice que l’année dernière. Ne crois-tu pas que tu ferais bien dʼy prendre certaines précautions, et, dans le cas où il y a des moustiques (ce que j’ignore) de prendre dès ton arrivée vingt-cinq centigrammes de bromhydrate de quinine tous les jours ? Il m’est impossible d’y aller en cettesaison de fleurs et de parfums. 

Jʼavais peur de voir ton nom dans les journaux, car ne sachant pas si le maréchal Suchet n’est pas au Panthéon, je craignais que tu imites lʼinitiative du duc de Montebello. Certes je trouve lʼ envoi de Zola au Panthéon stupide. Mais je ne trouve pas malgré cela la pensée de M. de Montebello très heureuse. Il est vrai que n’ayant aucun des miens au Panthéon je ne peux pas être juge. Adieu mon cher Louis, présente mes respectueux hommages à Madame d’Albufera et croisà mon amitié bien profonde et toujours reconnaissante.

Marcel Proust

On m’a dit tʼavoir aperçu lʼautre soir au Divorce de Bourget. Mais je ne sais pas avec qui. 

À propos de divorce ta charmante amie Madame de Peyronnet a-t-elle obtenu le sien ?

Note n°1
D’après Ph. Kolb, la présente lettre aurait été reçue par le destinataire le « 27 mars 1908 », comme l’indique le cachet sur la première page. Il est donc vraisemblable que Proust lʼa rédigée la veille, à savoir le jeudi soir 26 mars 1908. Cf. les allusions à la soirée de « samedi chez les Saussine » (note 3 ci-après), à lʼaffaire Rochette (note 6), à la protestation Montebello (note 10). [PK]
Note n°2
Louis d’Albufera avait l’habitude de passer quelques mois à Nice au printemps. Le Figaro du jeudi 9 avril 1908 annonce : « M. le marquis dʼAlbufera, à Nice » (« Avis mondains », p. 6). [PK]
Note n°3
Le Figaro du 23 mars 1908 note : « Les soirées musicales du samedi chez la comtesse du Pont de Gault-Saussine sont très courues » (« Le Monde et la Ville », p. 2). Proust fait allusion ici à la soirée du samedi 28, soirée sous la direction de Vincent dʼIndy, dont le compte rendu est donné le 30 mars dans le même journal (« Le Monde et la Ville », Le Figaro, p. 2). On y signale la présence de Mlle de Goyon. [PK]
Note n°4
Le Figaro du 8 mars 1908 indique, sous la rubrique « Actions industrielles », pour Rio-Tinto, la cote de 1498. À la date du 26 mars, Rio-Tinto est remonté à 1624. D’après les Débats du 9 mars, Rio Tinto est en baisse de près de 45 % depuis lʼannée précédente à pareille époque, où elle était à 2 700. [PK]
Note n°5
Allusion au pastiche de Michelet, paru dans le Supplément littéraire du Figaro du 22 février 1908, où on lit  : « LʼAllemand fort déductivement devant son pot de bière, voyant chaque jour les cours de la De Beers baisser, reprenait courage (révision du procès Harden, loi polonaise, refus de répondre au Reichstag) » (PM, p. 27 ; Essais, p. 440). [PK]
Note n°6
Plaisante allusion à lʼaffaire Rochette, qui vient dʼéclater. Le Figaro du 24 mars 1908, p. 1-2, sous la manchette « Arrestation du Financier Rochette », nomme parmi les sociétés fondées par lʼescroc : « la Société du Manchon Hella ». On conclut : « On ne sait encore à quel chiffre on peut évaluer la perte qu’auront à subir les clients des diverses sociétés constituées par Rochette car plusieurs de ces valeurs, prônées par le journal Le Financier avaient bénéficié dʼune hausse importante. Le manchon Mella [Hella] était monté de 100 francs à 500 francs ; le Buisson Hella, de 12 fr. 50 à 50 francs ». Cf. la lettre de Proust à Mme Catusse [dʼentre le 25 et le 28 mars 1908] (CP 01778 ; Kolb, VIII, n° 34, note 4). [PK]
Note n°7
Voir à ce propos la lettre de Proust à Albufera du mardi [21 avril 1908] (CP 01790 ; Kolb, VIII, n° 46). [ChC]
Note n°8
Frédéric « Coco » de Madrazo était peut-être encore en Chine (voir CP 01738 ; Kolb, VII, n° 185, note 5). Le New York Herald du 10 mars 1908 annonce que Mme et Mlle Léon Fould sont attendues à Paris, « venant du Caire » (« Déplacements », p. 5). Le 27 mars, le même journal annonce le départ de la comtesse René de Béarn « pour le grand voyage qu’elle entreprend aux Indes et au Japon. Elle ne compte être de retour qu’au mois dʼaoût et doit se rencontrer au Japon avec la princesse Lucien Murat, qui lʼy rejoindra par le Transsibérien  ». [PK]
Note n°9
Allusion, semble-t-il, à la fièvre typhoïde dont le destinataire avait souffert au mois de mars de lʼannée précédente (voir la lettre du même au même du CP 01602 ; Kolb, VII, n° 49). [PK]
Note n°10
Allusion au Figaro du mardi 24 mars 1908, p. 3, « Une protestation », où on lit que le duc de Montebello a adressé une lettre à M. Clemenceau en demandant le transfert du corps de son aïeul, le maréchal Lannes, au cimetière de Montmartre. [PK]
Note n°11
La première représentation de la comédie Un Divorce de Paul Bourget, dont on donne 126 représentations, avait eu lieu au théâtre du Vaudeville le 28 janvier 1908, et depuis, son succès « fait courir tout Paris […] chaque soir » au Vaudeville (« Courrier des théâtres », Le Figaro, 20 mars 1908, p. 6). Voir aussi la lettre à Robert Dreyfus (CP 01769 ; Kolb, VIII, n° 25) où Proust fait allusion à lʼactualité des « couplets relatifs au divorce  ». [PK, ChC]
Note n°12
La vicomtesse de Peyronnet épouse le comte Gaston dʼHumières le 18 juillet 1908 (Le Figaro, 20 juillet 1908, p. 2). [PK]
Note
Marcel Proust Le Figaro. Supplément littéraire Pastiches 22 février, 14 et 21 mars 1908
Note
Le Figaro
Note
Paul Bourget et André Cury Un Divorce 1908


Mots-clefs :argentarts de la scènemondanitéspastichepressesantésortiesvie littéraire
Date de mise en ligne : August 30, 2024 15:07
Date de la dernière mise à jour : August 30, 2024 15:07
expand_less