CP 01790 Marcel Proust à Louis d'Albufera mardi [le 21 avril 1908]






Mardi1
Mon cher Louis
Je te remercie de tout cœur
de ta lettre. Par quel hasard
as-tu du papier
marqué St
Marcel. En tous cas cela m’a
bien amusé à constater. Je
suis
ennuyé de ce que tu me
dis de Monte Carlo2 . Si tu me
lʼavais
dit à temps, j’aurais
pu savoir bien des choses et aurais
repris le rôle qui
était mon ancien
rôle, ma raison dʼêtre et pour
lequel tu sais que tu me
trouveras
2
toujours3. En tous cas je te dirai devive voix puisque tu reviens bientôt
et manifeste lʼintention de me
voir, certains conseils que je crois
que tu ferais bien de suivre.
Quant à te revoir si jʼy étais hostile,
ce nʼest pas, comme tu parais le
croire, par manque d’affection
pour toi. Je quitte définitivement
Paris au mois de Juillet et n’y
reprendrai plus d’habitation. J’aurai
déjà assez de tristesse de rompre
en partant des liens dʼamitié forts.
Puisque, m’épargnant en cela un
peu de souffrance pour ce moment
de la séparation définitive, les
nôtres sʼétaient un peu relâchés,
je trouvais inutile de te revoir et
3
de me rendre ainsi toute la force de mes regrets. Maispuisque tu en décides autrement, tu sais que tant qu’il sʼagira
de te voir et d’être ton ami, mon cœur, toujours plein des
souvenirs de notre amitié d’autrefois, ne demandera quʼà se
laisser faire violence ! — . Merci de tes nombreux renseigne-
ments, tu es si précis que même sur Saussine tu me
réponds, (un mois après quand cela n’a plus d’objet)4. J’aime
cette précision et tʼen remercie. J’écrirai d’un jour à l’
autre à Louis Maheux5. Ta plaisanterie sur le genre de rapports
que tu n’as pas eus avec lui était inutile et cette idée ne
me serait pas venue. Hélas je voudrais être aussi sur que
tu n’as pas à cet égard de telles idées sur moi. En tout cas
4
ce serait plus explicable puisque tant de gens lʼont dit de moi.Cependant je pense que quel que soit le fond de ta pensée sur
moi à ce sujet (et je souhaite de tout mon cœur qu’elle
soit conforme à la vérité, cʼest à dire excellente), ce n’est pas
relativement à Louis Maheux que cette pensée te viendrait. Je ne
suis pas assez stupide, si jʼétais de ce genre de canailles, pour
aller prendre toutes les précautions pour que ce garçon sache
mon nom, puisse me faire coffrer, t’avertisse de tout etc.
Je réponds à ta plaisanterie un peu longuement peut’être. Mais
cʼest qu’hélas elle était suivie dʼun : « mais » (« mais si cʼ
est pour avoir lʼimpression de sa vie ») que tu as écrit involontairement,
d’autant plus sincèrement, et qui mʼa donné fort à penser. Je te dis
adieu, je vais commencer un travail très important. Avais-tu lu
mes pastiches dans les Suppléments du Figaro6 ?
De cœur à toi
Marcel Proust
Mardi1
Mon cher Louis
Je te remercie de tout cœur de ta lettre. Par quel hasard as-tu du papier marqué Saint Marcel. En tous cas cela m’a bien amusé à constater. Je suis ennuyé de ce que tu me dis de Monte-Carlo2 . Si tu me lʼavais dit à temps, j’aurais pu savoir bien des choses et aurais repris le rôle qui était mon ancien rôle, ma raison dʼêtre et pour lequel tu sais que tu me trouveras toujours3. En tous cas je te dirai de vive voix puisque tu reviens bientôt et manifestes lʼintention de me voir, certains conseils que je crois que tu ferais bien de suivre. Quant à te revoir si jʼy étais hostile, ce nʼest pas, comme tu parais le croire, par manque d’affection pour toi. Je quitte définitivement Paris au mois de juillet et n’y reprendrai plus d’habitation. J’aurai déjà assez de tristesse de rompre en partant des liens dʼamitié forts. Puisque, m’épargnant en cela un peu de souffrance pour ce moment de la séparation définitive, les nôtres sʼétaient un peu relâchés, je trouvais inutile de te revoir et de me rendre ainsi toute la force de mes regrets. Mais puisque tu en décides autrement, tu sais que tant qu’il sʼagira de te voir et d’être ton ami, mon cœur, toujours plein des souvenirs de notre amitié d’autrefois, ne demandera quʼà se laisser faire violence !
Merci de tes nombreux renseignements, tu es si précis que même sur Saussine tu me réponds (un mois après quand cela n’a plus d’objet)4. J’aime cette précision et tʼen remercie. J’écrirai d’un jour à l’autre à Louis Maheux5. Ta plaisanterie sur le genre de rapports que tu n’as pas eus avec lui était inutile et cette idée ne me serait pas venue. Hélas je voudrais être aussi sûr que tu n’as pas à cet égard de telles idées sur moi. En tout cas ce serait plus explicable puisque tant de gens lʼont dit de moi. Cependant je pense que quel que soit le fond de ta pensée sur moi à ce sujet (et je souhaite de tout mon cœur qu’elle soit conforme à la vérité, c’est-à-dire excellente), ce n’est pas relativement à Louis Maheux que cette pensée te viendrait. Je ne suis pas assez stupide, si jʼétais de ce genre de canailles, pour aller prendre toutes les précautions pour que ce garçon sache mon nom, puisse me faire coffrer, t’avertisse de tout etc. Je réponds à ta plaisanterie un peu longuement peut-être. Mais cʼest qu’hélas elle était suivie dʼun : « mais » (« mais si cʼest pour avoir lʼimpression de sa vie ») que tu as écrit involontairement, d’autant plus sincèrement, et qui mʼa donné fort à penser. Je te dis adieu, je vais commencer un travail très important. Avais-tu lu mes pastiches dans les Suppléments du Figaro6 ?
De cœur à toi
Marcel Proust
Date de la dernière mise à jour : September 10, 2024 09:12






Mardi1
Mon cher Louis
Je te remercie de tout cœur
de ta lettre. Par quel hasard
as-tu du papier
marqué St
Marcel. En tous cas cela m’a
bien amusé à constater. Je
suis
ennuyé de ce que tu me
dis de Monte Carlo2 . Si tu me
lʼavais
dit à temps, j’aurais
pu savoir bien des choses et aurais
repris le rôle qui
était mon ancien
rôle, ma raison dʼêtre et pour
lequel tu sais que tu me
trouveras
2
toujours3. En tous cas je te dirai devive voix puisque tu reviens bientôt
et manifeste lʼintention de me
voir, certains conseils que je crois
que tu ferais bien de suivre.
Quant à te revoir si jʼy étais hostile,
ce nʼest pas, comme tu parais le
croire, par manque d’affection
pour toi. Je quitte définitivement
Paris au mois de Juillet et n’y
reprendrai plus d’habitation. J’aurai
déjà assez de tristesse de rompre
en partant des liens dʼamitié forts.
Puisque, m’épargnant en cela un
peu de souffrance pour ce moment
de la séparation définitive, les
nôtres sʼétaient un peu relâchés,
je trouvais inutile de te revoir et
3
de me rendre ainsi toute la force de mes regrets. Maispuisque tu en décides autrement, tu sais que tant qu’il sʼagira
de te voir et d’être ton ami, mon cœur, toujours plein des
souvenirs de notre amitié d’autrefois, ne demandera quʼà se
laisser faire violence ! — . Merci de tes nombreux renseigne-
ments, tu es si précis que même sur Saussine tu me
réponds, (un mois après quand cela n’a plus d’objet)4. J’aime
cette précision et tʼen remercie. J’écrirai d’un jour à l’
autre à Louis Maheux5. Ta plaisanterie sur le genre de rapports
que tu n’as pas eus avec lui était inutile et cette idée ne
me serait pas venue. Hélas je voudrais être aussi sur que
tu n’as pas à cet égard de telles idées sur moi. En tout cas
4
ce serait plus explicable puisque tant de gens lʼont dit de moi.Cependant je pense que quel que soit le fond de ta pensée sur
moi à ce sujet (et je souhaite de tout mon cœur qu’elle
soit conforme à la vérité, cʼest à dire excellente), ce n’est pas
relativement à Louis Maheux que cette pensée te viendrait. Je ne
suis pas assez stupide, si jʼétais de ce genre de canailles, pour
aller prendre toutes les précautions pour que ce garçon sache
mon nom, puisse me faire coffrer, t’avertisse de tout etc.
Je réponds à ta plaisanterie un peu longuement peut’être. Mais
cʼest qu’hélas elle était suivie dʼun : « mais » (« mais si cʼ
est pour avoir lʼimpression de sa vie ») que tu as écrit involontairement,
d’autant plus sincèrement, et qui mʼa donné fort à penser. Je te dis
adieu, je vais commencer un travail très important. Avais-tu lu
mes pastiches dans les Suppléments du Figaro6 ?
De cœur à toi
Marcel Proust
Mardi1
Mon cher Louis
Je te remercie de tout cœur de ta lettre. Par quel hasard as-tu du papier marqué Saint Marcel. En tous cas cela m’a bien amusé à constater. Je suis ennuyé de ce que tu me dis de Monte-Carlo2 . Si tu me lʼavais dit à temps, j’aurais pu savoir bien des choses et aurais repris le rôle qui était mon ancien rôle, ma raison dʼêtre et pour lequel tu sais que tu me trouveras toujours3. En tous cas je te dirai de vive voix puisque tu reviens bientôt et manifestes lʼintention de me voir, certains conseils que je crois que tu ferais bien de suivre. Quant à te revoir si jʼy étais hostile, ce nʼest pas, comme tu parais le croire, par manque d’affection pour toi. Je quitte définitivement Paris au mois de juillet et n’y reprendrai plus d’habitation. J’aurai déjà assez de tristesse de rompre en partant des liens dʼamitié forts. Puisque, m’épargnant en cela un peu de souffrance pour ce moment de la séparation définitive, les nôtres sʼétaient un peu relâchés, je trouvais inutile de te revoir et de me rendre ainsi toute la force de mes regrets. Mais puisque tu en décides autrement, tu sais que tant qu’il sʼagira de te voir et d’être ton ami, mon cœur, toujours plein des souvenirs de notre amitié d’autrefois, ne demandera quʼà se laisser faire violence !
Merci de tes nombreux renseignements, tu es si précis que même sur Saussine tu me réponds (un mois après quand cela n’a plus d’objet)4. J’aime cette précision et tʼen remercie. J’écrirai d’un jour à l’autre à Louis Maheux5. Ta plaisanterie sur le genre de rapports que tu n’as pas eus avec lui était inutile et cette idée ne me serait pas venue. Hélas je voudrais être aussi sûr que tu n’as pas à cet égard de telles idées sur moi. En tout cas ce serait plus explicable puisque tant de gens lʼont dit de moi. Cependant je pense que quel que soit le fond de ta pensée sur moi à ce sujet (et je souhaite de tout mon cœur qu’elle soit conforme à la vérité, c’est-à-dire excellente), ce n’est pas relativement à Louis Maheux que cette pensée te viendrait. Je ne suis pas assez stupide, si jʼétais de ce genre de canailles, pour aller prendre toutes les précautions pour que ce garçon sache mon nom, puisse me faire coffrer, t’avertisse de tout etc. Je réponds à ta plaisanterie un peu longuement peut-être. Mais cʼest qu’hélas elle était suivie dʼun : « mais » (« mais si cʼest pour avoir lʼimpression de sa vie ») que tu as écrit involontairement, d’autant plus sincèrement, et qui mʼa donné fort à penser. Je te dis adieu, je vais commencer un travail très important. Avais-tu lu mes pastiches dans les Suppléments du Figaro6 ?
De cœur à toi
Marcel Proust
Date de la dernière mise à jour : September 10, 2024 09:12