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CP 05635 Marcel Proust à Berthe Lemarié [le 20 ou 21 avril 1918]

Surlignage

Chère Madame

Pour éviter des pertes de temps je
vous envoie les 244 premières pages en
épreuves (sans distinction de placards, 2es ,
3es ) de « À l’ombre des jeunes filles en fleurs  ».
Les pages 245 et suivantes (qui forment je crois
l’épisode de M. de Charlus), je ne les ai pas,
j’attends que l’éditeur me les renvoie, dès
que je les aurai ainsi que la fin du « Cahier
violet » (lequel est tout simplement la fin de À
l’ombre des jeunes filles en fleurs
) je vous enverrai, éga-
lement sans distinction de placards etc, tout ce qui
va de la page 244 à la fin du volume.

Permettez-moi si je ne vous ennuie pas trop de
vous dire quelles choses inouïes se pro-


2

duisent dans cette édition :

D’abord il y a toute une grande page
des feuillets manuscrits si remarquablement recons-
titués par votre dactylographe, qui a
été entièrement sautée, c’est à dire
n’a jamais été imprimée ! Pour ne
pas en demander d’épreuves à part,
je vous l’enverrai en manuscrit à sa
place au milieu des épreuves du
cahier violet. Mais enfin cela
fait au moins 10 pages d’épreuves de
sautées ! Nous n’en sommes plus aux
phrases et aux mots sautés !

Malheureusement nous en sommes aussi
aux phrases et aux mots sautés, etc.
Au point de vue de la fatigue de mes


3

yeux je ne peux vous dire quel surcroît de travail
cela me donne de ne pas pouvoir me fier un
instant à l’épreuve. Je le fais cependant d’où
des erreurs. Mais voici qui est plus curieux et
que je vous dis tout à fait en confidence. J’-
avais cru jusqu’ici que les typographes chargés
de ce travail étaient assez ignorants et péchaient
constamment par là (je pourrais citer cent exem-
ples) quel n’a pas été mon étonnement dans les
dernières épreuves de voir que le mot « gluant» avait
été remplacé par le mot « visqueux ». Je trouve


4

que c’est stupéfiant à la fois comme sans gêne et
comme culture. C’est par un pur hasard que, relisant
une phrase qui allait assez couramment pour n’avoir
pas besoin de me reporter au manuscrit de votre
dactylographe, j’ai été surpris du mot « visqueux » que
je ne croyais pas avoir mis. Comme c’est assez ancien, puis-
que ce sont des placards (donc d’un manuscrit que je
n’avais pas relu depuis longtemps) j’ai voulu confronter
le placard imprimé avec mon manuscrit reconstitué
par votre dactylographe, celui-ci portait non « visqueux »,
mais « gluant ». Ces riens vous donnent-ils une idée du
tracas que me donne cette édition ? Hélas on a honte
de parler de soi, de ses livres, de leur impression quand
tant de gens souffrent. Puisque malgré votre apparence
de jeune fille, vous avez un grand fils, je serais bien
heureux de savoir si vous avez de bonnes nouvelles de lui, s’il


5

n’est pas dans un point dangereux. Nous trem-
blons tous pour les nôtres, et je pense de
tout mon cœur à vous.−. Gaston Galli-
mard
revient-il. On me dit que mon
ami Guiche est revenu. Peut’être ont-ils
pris le même bateau. N’ayant pas été assez
bien pour voir Guiche, je n’ai pu le
savoir

Veuillez agréer chère Madame
mes hommages de plus respectueux atta-
chement

Marcel Proust


 
 
Surlignage
 

Chère Madame

Pour éviter des pertes de temps je vous envoie les 244 premières pages en épreuves (sans distinction de placards, deuxièmes, troisièmes) de « À l’ombre des jeunes filles en fleurs  ». Les pages 245 et suivantes (qui forment je crois l’épisode de M. de Charlus), je ne les ai pas, j’attends que l’éditeur me les renvoie, dès que je les aurai ainsi que la fin du « Cahier violet » (lequel est tout simplement la fin de À l’ombre des jeunes filles en fleurs ) je vous enverrai, également sans distinction de placards etc., tout ce qui va de la page 244 à la fin du volume.

Permettez-moi si je ne vous ennuie pas trop de vous dire quelles choses inouïes se pro-


 

duisent dans cette édition :

D’abord il y a toute une grande page des feuillets manuscrits si remarquablement reconstitués par votre dactylographe, qui a été entièrement sautée, c’est-à-dire n’a jamais été imprimée ! Pour ne pas en demander d’épreuves à part, je vous l’enverrai en manuscrit à sa place au milieu des épreuves du cahier violet. Mais enfin cela fait au moins dix pages d’épreuves de sautées ! Nous n’en sommes plus aux phrases et aux mots sautés !

Malheureusement nous en sommes aussi aux phrases et aux mots sautés, etc. Au point de vue de la fatigue de mes


 

yeux je ne peux vous dire quel surcroît de travail cela me donne de ne pas pouvoir me fier un instant à l’épreuve. Je le fais cependant d’où des erreurs. Mais voici qui est plus curieux et que je vous dis tout à fait en confidence. J’avais cru jusqu’ici que les typographes chargés de ce travail étaient assez ignorants et péchaient constamment par là (je pourrais citer cent exemples) ; quel n’a pas été mon étonnement dans les dernières épreuves de voir que le mot « gluant» avait été remplacé par le mot « visqueux ». Je trouve


 

que c’est stupéfiant à la fois comme sans-gêne et comme culture. C’est par un pur hasard que, relisant une phrase qui allait assez couramment pour n’avoir pas besoin de me reporter au manuscrit de votre dactylographe, j’ai été surpris du mot « visqueux » que je ne croyais pas avoir mis. Comme c’est assez ancien, puisque ce sont des placards (donc d’un manuscrit que je n’avais pas relu depuis longtemps) j’ai voulu confronter le placard imprimé avec mon manuscrit reconstitué par votre dactylographe, celui-ci portait non « visqueux », mais « gluant ». Ces riens vous donnent-ils une idée du tracas que me donne cette édition ? Hélas on a honte de parler de soi, de ses livres, de leur impression quand tant de gens souffrent. Puisque malgré votre apparence de jeune fille, vous avez un grand fils, je serais bien heureux de savoir si vous avez de bonnes nouvelles de lui, s’il


 

n’est pas dans un point dangereux. Nous tremblons tous pour les nôtres, et je pense de tout mon cœur à vous.

Gaston Gallimard revient-il ? On me dit que mon ami Guiche est revenu. Peut-être ont-ils pris le même bateau ? N’ayant pas été assez bien pour voir Guiche, je n’ai pu le savoir .

Veuillez agréer chère Madame mes hommages de plus respectueux attachement

Marcel Proust


  
  
 
Note n°1
Cette lettre précède immédiatement la lettre fragmentaire de [peu avant le 22 avril 1918] (CP 03517 ; Kolb, XVII, nº 77 ; MP-GG, nº 56) où Proust redemande des nouvelles de Gaston Gallimard et du fils de Mme Lemarié. Comme Mme Lemarié envoie sa réponse le lundi 22 avril (CP 04460 ; MP-GG, nº 57), cette lettre doit dater du [samedi 20 ou dimanche 21 avril 1918]. [CSz]
Note n°2
Dans une lettre à la même de [peu avant le 8 avril 1918] (CP 03524 ; Kolb, XVII, nº 84 ; MP-GG, nº 54) Proust écrit déjà quʼil nʼa reçu ni lʼépisode de M. de Charlus, ni la fin du texte, laquelle nʼa pas encore été mise en placards. (Philip Kolb avait dʼabord daté la lettre en question dʼ[avant la fin dʼavril 1918]. Après la parution du volume MP-GG, où Pascal Fouché propose pour cette même lettre la date de [début avril 1918], Kolb a corrigé la date de cette lettre en [peu avant le 8 avril 1918] dans son exemplaire personnel. Nous suivons sa redatation.) — Ces « 244 premières pages » correspondent à la 3e série qui contient les 3e épreuves de « Mme Swann » et les 2e épreuves de « Balbec 1 ». Lʼexplication de la différence de 26 pages entre le nombre annoncé ici par Proust et la réception par Mme Lemarié de « 270 pages » (CP 04460 ; MP-GG, nº 57) se trouve peut-être dans le début manquant de la lettre suivante (CP 03517 ; Kolb, XVII, nº 77, MP-GG, nº 56). Voir Francine Goujon, « Les épreuves de "À l’ombre des jeunes filles en fleurs" : deux lettres à redater », BMP, nº 48, 1998, p. 42-48, et notamment le tableau récapitulatif des diverses séries dʼépreuves, p. 47. [CSz]
Note n°3
Cʼest-à-dire lʼimprimeur. Il sʼagit alors de lʼentreprise La Semeuse, à Étampes, selon la réponse de Mme Lemarié : « [...] je peux bien vous dire que cʼest encore la Semeuse qui travaille avec le plus dʼintelligence. » (CP 04460 ; MP-GG, nº 57) [CSz]
Note n°4
Gallimard accusera réception de ces pages le 14 juin 1918 (CP 05453 ; MP-GG, nº 62). [CSz]
Note n°5
Voir la réponse de Mme Lemarié à Proust du 22 avril 1918 (CP 04460 ; MP-GG, nº 57) : « Rien ne mʼétonne au sujet des erreurs de lʼimprimeur ; mais croyez-moi, cher Monsieur, je pense quʼil sont tous les mêmes. » [CSz]
Note n°6
Les « épreuves du cahier violet » que Proust avaient reçues en janvier 1918 (CP 04457 ; MP-GG, nº 51), sauf pour les toutes dernières pages (CP 03524 ; Kolb, XVII, nº 84 ; MP-GG, nº 54) commencent à la page « 289 » des épreuves conservées à la BnF (Réserve des livres rares, RESM-Y2-824). Le passage qui nʼavait pas été composé est certainement celui qui figure aujourdʼhui sous la forme dʼun intercalage dactylographié aux pages « 378 » à « 388 ». — Dans un post-scriptum à la présente lettre qui ne nous est pas parvenu, Proust devait se rendre compte quʼil valait mieux joindre sous forme dactylographiée la « grande page » oubliée par les typographes, puisque dans sa réponse Mme Lemarié lʼassure aussitôt sʼêtre « mise en quête de trouver une dactylographe » (CP 04460 ; MP-GG, nº 57). Cet intercalage correspond au contenu dʼune partie des planches « cahier violet » nº 23 et nº 24, ce que confirme aussi lʼallusion, dans la présente lettre, aux « feuillets manuscrits reconstitués » par « la dactylographe » (voir Yasué Kato, « Les goûters sur la falaise. Montage de lʼhistoire des jeunes filles pendant les années 1914-1918 », BIP, nº 45, 2015, p. 61-74). [CSz]
Note n°7
Voir RTP, II, 278 : « les merveilleuses ombres abritées et furtives, agiles et silencieuses, prêtes, au premier remous de lumière, […] à revenir auprès de la roche ou de l’algue dont, sous le soleil émietteur des falaises et de l’océan décoloré, elles semblent veiller l’assoupissement, gardiennes immobiles et légères, laissant paraître à fleur d’eau leur corps gluant […] » ; mais la variante a (p. 1472 de cette même édition), soit la transcription de l’épreuve Gallimard (BnF, Réserve des livres rares, RESM-Y2-824, p. « 410  »), donne bien « leurs corps visqueux ». — Le passage devait figurer sur la planche « n° 27 » du « cahier violet », non retrouvée à ce jour : voir Pyra Wise, « À l’ombre des jeunes filles en fleurs, le manuscrit dispersé de lʼédition de luxe. État des lieux dʼun centenaire », BIP, nº 50, 2020, p. 43-56. Le tableau qui recense les planches du « cahier violet » (p. 48-49) indique que la planche « nº 28 » contient un passage correspondant à RTP, II, 278-280, mais ce passage commence plus bas, au paragraphe « Pendant tout ce retour, l’image d’Albertine […] », selon la transcription faite par P. Wise. [CSz]
Note n°8
Voir la réponse de Mme Lemarié (CP 04460 ; MP-GG, nº 57). Son fils est affecté à lʼinspection de l’aviation depuis sa blessure. Il se prénomme Jean et a plus de vingt ans à la fin de 1918, comme lʼécrit Proust à Gaston Gallimard le [7 novembre 1918] : « Mais les prodiges les moins croyables de la mythologie me semblent peu de choses à côté de ce fait quʼelle a un fils de plus de vingt ans, donc plus âgé quʼelle ne paraît  » (CP 03626 ; Kolb, XVII, nº 186 ; MP-GG, nº 83 ; Lettres, nº 479). [CSz]
Note n°9
Gallimard embarque à New York le 8 mai 1918 et arrive en France vers la mi-mai (CP 04458 et CP 04460 ; MP-GG, nº 52 et nº 57, note 2). Il n’a donc pas pris le même bateau que le duc de Guiche qui est en France depuis la fin dʼavril : voir la lettre de Proust au duc de Guiche du [samedi soir 27 avril 1918] (CP 03522 ; Kolb, XVII, nº 82). [CSz]
Note
Marcel Proust 1919 À lʼombre des jeunes filles en fleurs
Note
Marcel Proust 1919 À lʼombre des jeunes filles en fleurs


Mots-clefs :
Date de mise en ligne : October 28, 2022 11:53
Date de la dernière mise à jour : November 23, 2022 10:30
Surlignage

Chère Madame

Pour éviter des pertes de temps je
vous envoie les 244 premières pages en
épreuves (sans distinction de placards, 2es ,
3es ) de « À l’ombre des jeunes filles en fleurs  ».
Les pages 245 et suivantes (qui forment je crois
l’épisode de M. de Charlus), je ne les ai pas,
j’attends que l’éditeur me les renvoie, dès
que je les aurai ainsi que la fin du « Cahier
violet » (lequel est tout simplement la fin de À
l’ombre des jeunes filles en fleurs
) je vous enverrai, éga-
lement sans distinction de placards etc, tout ce qui
va de la page 244 à la fin du volume.

Permettez-moi si je ne vous ennuie pas trop de
vous dire quelles choses inouïes se pro-


2

duisent dans cette édition :

D’abord il y a toute une grande page
des feuillets manuscrits si remarquablement recons-
titués par votre dactylographe, qui a
été entièrement sautée, c’est à dire
n’a jamais été imprimée ! Pour ne
pas en demander d’épreuves à part,
je vous l’enverrai en manuscrit à sa
place au milieu des épreuves du
cahier violet. Mais enfin cela
fait au moins 10 pages d’épreuves de
sautées ! Nous n’en sommes plus aux
phrases et aux mots sautés !

Malheureusement nous en sommes aussi
aux phrases et aux mots sautés, etc.
Au point de vue de la fatigue de mes


3

yeux je ne peux vous dire quel surcroît de travail
cela me donne de ne pas pouvoir me fier un
instant à l’épreuve. Je le fais cependant d’où
des erreurs. Mais voici qui est plus curieux et
que je vous dis tout à fait en confidence. J’-
avais cru jusqu’ici que les typographes chargés
de ce travail étaient assez ignorants et péchaient
constamment par là (je pourrais citer cent exem-
ples) quel n’a pas été mon étonnement dans les
dernières épreuves de voir que le mot « gluant» avait
été remplacé par le mot « visqueux ». Je trouve


4

que c’est stupéfiant à la fois comme sans gêne et
comme culture. C’est par un pur hasard que, relisant
une phrase qui allait assez couramment pour n’avoir
pas besoin de me reporter au manuscrit de votre
dactylographe, j’ai été surpris du mot « visqueux » que
je ne croyais pas avoir mis. Comme c’est assez ancien, puis-
que ce sont des placards (donc d’un manuscrit que je
n’avais pas relu depuis longtemps) j’ai voulu confronter
le placard imprimé avec mon manuscrit reconstitué
par votre dactylographe, celui-ci portait non « visqueux »,
mais « gluant ». Ces riens vous donnent-ils une idée du
tracas que me donne cette édition ? Hélas on a honte
de parler de soi, de ses livres, de leur impression quand
tant de gens souffrent. Puisque malgré votre apparence
de jeune fille, vous avez un grand fils, je serais bien
heureux de savoir si vous avez de bonnes nouvelles de lui, s’il


5

n’est pas dans un point dangereux. Nous trem-
blons tous pour les nôtres, et je pense de
tout mon cœur à vous.−. Gaston Galli-
mard
revient-il. On me dit que mon
ami Guiche est revenu. Peut’être ont-ils
pris le même bateau. N’ayant pas été assez
bien pour voir Guiche, je n’ai pu le
savoir

Veuillez agréer chère Madame
mes hommages de plus respectueux atta-
chement

Marcel Proust


 
 
Surlignage
 

Chère Madame

Pour éviter des pertes de temps je vous envoie les 244 premières pages en épreuves (sans distinction de placards, deuxièmes, troisièmes) de « À l’ombre des jeunes filles en fleurs  ». Les pages 245 et suivantes (qui forment je crois l’épisode de M. de Charlus), je ne les ai pas, j’attends que l’éditeur me les renvoie, dès que je les aurai ainsi que la fin du « Cahier violet » (lequel est tout simplement la fin de À l’ombre des jeunes filles en fleurs ) je vous enverrai, également sans distinction de placards etc., tout ce qui va de la page 244 à la fin du volume.

Permettez-moi si je ne vous ennuie pas trop de vous dire quelles choses inouïes se pro-


 

duisent dans cette édition :

D’abord il y a toute une grande page des feuillets manuscrits si remarquablement reconstitués par votre dactylographe, qui a été entièrement sautée, c’est-à-dire n’a jamais été imprimée ! Pour ne pas en demander d’épreuves à part, je vous l’enverrai en manuscrit à sa place au milieu des épreuves du cahier violet. Mais enfin cela fait au moins dix pages d’épreuves de sautées ! Nous n’en sommes plus aux phrases et aux mots sautés !

Malheureusement nous en sommes aussi aux phrases et aux mots sautés, etc. Au point de vue de la fatigue de mes


 

yeux je ne peux vous dire quel surcroît de travail cela me donne de ne pas pouvoir me fier un instant à l’épreuve. Je le fais cependant d’où des erreurs. Mais voici qui est plus curieux et que je vous dis tout à fait en confidence. J’avais cru jusqu’ici que les typographes chargés de ce travail étaient assez ignorants et péchaient constamment par là (je pourrais citer cent exemples) ; quel n’a pas été mon étonnement dans les dernières épreuves de voir que le mot « gluant» avait été remplacé par le mot « visqueux ». Je trouve


 

que c’est stupéfiant à la fois comme sans-gêne et comme culture. C’est par un pur hasard que, relisant une phrase qui allait assez couramment pour n’avoir pas besoin de me reporter au manuscrit de votre dactylographe, j’ai été surpris du mot « visqueux » que je ne croyais pas avoir mis. Comme c’est assez ancien, puisque ce sont des placards (donc d’un manuscrit que je n’avais pas relu depuis longtemps) j’ai voulu confronter le placard imprimé avec mon manuscrit reconstitué par votre dactylographe, celui-ci portait non « visqueux », mais « gluant ». Ces riens vous donnent-ils une idée du tracas que me donne cette édition ? Hélas on a honte de parler de soi, de ses livres, de leur impression quand tant de gens souffrent. Puisque malgré votre apparence de jeune fille, vous avez un grand fils, je serais bien heureux de savoir si vous avez de bonnes nouvelles de lui, s’il


 

n’est pas dans un point dangereux. Nous tremblons tous pour les nôtres, et je pense de tout mon cœur à vous.

Gaston Gallimard revient-il ? On me dit que mon ami Guiche est revenu. Peut-être ont-ils pris le même bateau ? N’ayant pas été assez bien pour voir Guiche, je n’ai pu le savoir .

Veuillez agréer chère Madame mes hommages de plus respectueux attachement

Marcel Proust


  
  
 
Note n°1
Cette lettre précède immédiatement la lettre fragmentaire de [peu avant le 22 avril 1918] (CP 03517 ; Kolb, XVII, nº 77 ; MP-GG, nº 56) où Proust redemande des nouvelles de Gaston Gallimard et du fils de Mme Lemarié. Comme Mme Lemarié envoie sa réponse le lundi 22 avril (CP 04460 ; MP-GG, nº 57), cette lettre doit dater du [samedi 20 ou dimanche 21 avril 1918]. [CSz]
Note n°2
Dans une lettre à la même de [peu avant le 8 avril 1918] (CP 03524 ; Kolb, XVII, nº 84 ; MP-GG, nº 54) Proust écrit déjà quʼil nʼa reçu ni lʼépisode de M. de Charlus, ni la fin du texte, laquelle nʼa pas encore été mise en placards. (Philip Kolb avait dʼabord daté la lettre en question dʼ[avant la fin dʼavril 1918]. Après la parution du volume MP-GG, où Pascal Fouché propose pour cette même lettre la date de [début avril 1918], Kolb a corrigé la date de cette lettre en [peu avant le 8 avril 1918] dans son exemplaire personnel. Nous suivons sa redatation.) — Ces « 244 premières pages » correspondent à la 3e série qui contient les 3e épreuves de « Mme Swann » et les 2e épreuves de « Balbec 1 ». Lʼexplication de la différence de 26 pages entre le nombre annoncé ici par Proust et la réception par Mme Lemarié de « 270 pages » (CP 04460 ; MP-GG, nº 57) se trouve peut-être dans le début manquant de la lettre suivante (CP 03517 ; Kolb, XVII, nº 77, MP-GG, nº 56). Voir Francine Goujon, « Les épreuves de "À l’ombre des jeunes filles en fleurs" : deux lettres à redater », BMP, nº 48, 1998, p. 42-48, et notamment le tableau récapitulatif des diverses séries dʼépreuves, p. 47. [CSz]
Note n°3
Cʼest-à-dire lʼimprimeur. Il sʼagit alors de lʼentreprise La Semeuse, à Étampes, selon la réponse de Mme Lemarié : « [...] je peux bien vous dire que cʼest encore la Semeuse qui travaille avec le plus dʼintelligence. » (CP 04460 ; MP-GG, nº 57) [CSz]
Note n°4
Gallimard accusera réception de ces pages le 14 juin 1918 (CP 05453 ; MP-GG, nº 62). [CSz]
Note n°5
Voir la réponse de Mme Lemarié à Proust du 22 avril 1918 (CP 04460 ; MP-GG, nº 57) : « Rien ne mʼétonne au sujet des erreurs de lʼimprimeur ; mais croyez-moi, cher Monsieur, je pense quʼil sont tous les mêmes. » [CSz]
Note n°6
Les « épreuves du cahier violet » que Proust avaient reçues en janvier 1918 (CP 04457 ; MP-GG, nº 51), sauf pour les toutes dernières pages (CP 03524 ; Kolb, XVII, nº 84 ; MP-GG, nº 54) commencent à la page « 289 » des épreuves conservées à la BnF (Réserve des livres rares, RESM-Y2-824). Le passage qui nʼavait pas été composé est certainement celui qui figure aujourdʼhui sous la forme dʼun intercalage dactylographié aux pages « 378 » à « 388 ». — Dans un post-scriptum à la présente lettre qui ne nous est pas parvenu, Proust devait se rendre compte quʼil valait mieux joindre sous forme dactylographiée la « grande page » oubliée par les typographes, puisque dans sa réponse Mme Lemarié lʼassure aussitôt sʼêtre « mise en quête de trouver une dactylographe » (CP 04460 ; MP-GG, nº 57). Cet intercalage correspond au contenu dʼune partie des planches « cahier violet » nº 23 et nº 24, ce que confirme aussi lʼallusion, dans la présente lettre, aux « feuillets manuscrits reconstitués » par « la dactylographe » (voir Yasué Kato, « Les goûters sur la falaise. Montage de lʼhistoire des jeunes filles pendant les années 1914-1918 », BIP, nº 45, 2015, p. 61-74). [CSz]
Note n°7
Voir RTP, II, 278 : « les merveilleuses ombres abritées et furtives, agiles et silencieuses, prêtes, au premier remous de lumière, […] à revenir auprès de la roche ou de l’algue dont, sous le soleil émietteur des falaises et de l’océan décoloré, elles semblent veiller l’assoupissement, gardiennes immobiles et légères, laissant paraître à fleur d’eau leur corps gluant […] » ; mais la variante a (p. 1472 de cette même édition), soit la transcription de l’épreuve Gallimard (BnF, Réserve des livres rares, RESM-Y2-824, p. « 410  »), donne bien « leurs corps visqueux ». — Le passage devait figurer sur la planche « n° 27 » du « cahier violet », non retrouvée à ce jour : voir Pyra Wise, « À l’ombre des jeunes filles en fleurs, le manuscrit dispersé de lʼédition de luxe. État des lieux dʼun centenaire », BIP, nº 50, 2020, p. 43-56. Le tableau qui recense les planches du « cahier violet » (p. 48-49) indique que la planche « nº 28 » contient un passage correspondant à RTP, II, 278-280, mais ce passage commence plus bas, au paragraphe « Pendant tout ce retour, l’image d’Albertine […] », selon la transcription faite par P. Wise. [CSz]
Note n°8
Voir la réponse de Mme Lemarié (CP 04460 ; MP-GG, nº 57). Son fils est affecté à lʼinspection de l’aviation depuis sa blessure. Il se prénomme Jean et a plus de vingt ans à la fin de 1918, comme lʼécrit Proust à Gaston Gallimard le [7 novembre 1918] : « Mais les prodiges les moins croyables de la mythologie me semblent peu de choses à côté de ce fait quʼelle a un fils de plus de vingt ans, donc plus âgé quʼelle ne paraît  » (CP 03626 ; Kolb, XVII, nº 186 ; MP-GG, nº 83 ; Lettres, nº 479). [CSz]
Note n°9
Gallimard embarque à New York le 8 mai 1918 et arrive en France vers la mi-mai (CP 04458 et CP 04460 ; MP-GG, nº 52 et nº 57, note 2). Il n’a donc pas pris le même bateau que le duc de Guiche qui est en France depuis la fin dʼavril : voir la lettre de Proust au duc de Guiche du [samedi soir 27 avril 1918] (CP 03522 ; Kolb, XVII, nº 82). [CSz]
Note
Marcel Proust 1919 À lʼombre des jeunes filles en fleurs
Note
Marcel Proust 1919 À lʼombre des jeunes filles en fleurs


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Date de mise en ligne : October 28, 2022 11:53
Date de la dernière mise à jour : November 23, 2022 10:30
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