CP 03779 Bernard Grasset à Marcel Proust le 22 mai 1919




22 Mai 19 1
Monsieur Marcel PROUST
102 Bd Haussmann
Mon cher ami,
Je suis infinement touché de la lettre que je reçois
de vous
et de toute la peine que vous vous êtes donnée pour
mʼexposer vos possibilités
relativement à une collaboration
éventuelle à laquelle je tiens plus quʼà
tout2.
Jʼen suis tellement touché et heureux que je viens
vous
proposer relativement à la question en suspens entre nous3
et pour que nous nʼayons plus à en parler, la solution la
plus amicale qui
soit possible.
Comme vous le savez, les éléments de cette question
sont :
1° Des droits dʼauteur, qui vous sont dus sur le
second
tirage4 et qui sʼélèvent à frs. 440,50
;
2° Lʼindemnité qui mʼest due par vous, pour le
renoncement que
vous mʼavez demandé: 1° à un nouveau tirage
de «
DU DE CHEZ SWANN
» ; 2° à lʼédition du second volume de « A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU », qui mʼavait été concédée
par traité.5
Sur ce point, je ne veux pas faire état seulement du
manque à
gagner que ce double renoncement me cause, manque à
gagner évaluable à plusieurs
milliers de francs: mais aussi et
surtout de cette sorte de désaveu dont le public croira
faci-
lement que jʼai été lʼobjet, puisque je cesse brusquement dʼê-
tre votre éditeur.
Je vous propose comme solution la plus amicale : de
signer avec vous un accord dʼaprès lequel je renoncerais
à toute
indemnité contre le simple renoncement par vous, aux droits
infiniment moins élevés qui vous sont dus.
Ce serait, comme vous le voyez un accord très simple
qui
présenterait le grand avantage de mettre fin à une question
embrouillée, sans que
vous ayez à en peser les éléments comple-
xes, et sans que vous ayez à débourser la moindre somme. Je
vous demanderai
seulement, sans quʼil soit besoin que nous lʼin-
sérions dans un traité quelconque, et votre simple parole me
suffisant,
lʼengagement amical que tout ce quʼil vous sera
possible de me donner, dans
lʼeffort que jʼentreprends6, vous
voudrez bien me le donner.
Je ne crois pas pouvoir mieux vous fournir, mon cher
ami, la
preuve de la peine que jʼai ressentie de ne plus être
votre éditeur, et mon
ardent désir de raccrocher sur une base
possible une collaboration entre nous. Je
serais heureux que
vous y souscriviez dʼélan.
En ce qui concerne cette collaboration, je vous re-
mercie de tout coeur de ce que vous me dites. En somme, il y a
avec vous, deux choses possible :
1° Publier de vous des extraits de «
DU COTE DE GUER-
MANTES
». Sur ce point, auriez-vous la très grande gentillesse
de mʼenvoyer les
épreuves des parties inédites de cet ouvrage7,
afin que je me rende compte si des fragments sont
détachables
et que je me mette éventuellement en rapport avec vous pour
les
choisir.
2° Publier de vous des articles ou chroniques sur
les sujets
indiqués. — Sur ce point tout est possible. Sans
doute, nous nʼavons pas à
proprement parler de rubrique, cʼest-
à-dire que chaque question nʼest pas
traitée dans chacun des
numéros, et nous nʼavons pas un auteur pour chaque
question.
Nous nʼavons pas plus de rubrique quʼil nʼy en a dans la « Revue
de Paris ». Mais je serais très heureux de publier de vous
ce que vous voudrez, et par exemple, un ou des articles sur
la
MUSIQUE, ou un article sur la VIE INTERIEURE, ou un article sur
la SOLITUDE. — Je tiens seulement à ce que vous me
donniez des
choses qui vous soient très chères. Je vous promets de mon
côté
de les mettre en valeur et de leur assurer la grande dif-
fusion quʼelles méritent.
2
Vous savez, mon cher Proust,
quʼavec notre revue
,
nous voudrions atteindre le très grand public.
DUPUY
8 avait
dʼailleurs
songé à un premier tirage de deux cent mille. Nous
allons maintenant vers le
tirage dʼorigine à TROIS CENT MILLE.
Cʼest donc une grosse partie que nous
jouons. Nous voulons nous
rendre compte sʼil y a un public en France, pour les
lectures
de très haute qualité, qui ne tireraient pas leur attrait
de
lʼactualité immédiate.
Notre revue sera ainsi pour vous un magnifique ter-
rain dʼexpérience sur le grand public. Je serais vraiment heu-
reux quʼil vous tentât.
Votre idée de demander quelque chose à Lucien DAUDET
est excellente. Voulez-vous le prier de venir me voir le plus
tôt
possible9 ?
22 mai 1919 1
Monsieur Marcel PROUST102 boulevard Haussmann
Mon cher ami,
Je suis infinement touché de la lettre que je reçois de vous et de toute la peine que vous vous êtes donnée pour mʼexposer vos possibilités relativement à une collaboration éventuelle à laquelle je tiens plus quʼà tout2.
Jʼen suis tellement touché et heureux que je viens vous proposer relativement à la question en suspens entre nous3 et pour que nous nʼayons plus à en parler, la solution la plus amicale qui soit possible.
Comme vous le savez, les éléments de cette question sont :
1° Des droits dʼauteur, qui vous sont dus sur le second tirage4 et qui sʼélèvent à 440,50 francs ;
2° Lʼindemnité qui mʼest due par vous, pour le renoncement que vous mʼavez demandé : 1° à un nouveau tirage de « Du côté de chez Swann » ; 2° à lʼédition du second volume de « À la recherche du temps perdu », qui mʼavait été concédée
par traité.5
Sur ce point, je ne veux pas faire état seulement du manque à gagner que ce double renoncement me cause, manque à gagner évaluable à plusieurs milliers de francs : mais aussi et surtout de cette sorte de désaveu dont le public croira facilement que jʼai été lʼobjet, puisque je cesse brusquement dʼêtre votre éditeur.
Je vous propose comme solution la plus amicale : de signer avec vous un accord dʼaprès lequel je renoncerais à toute indemnité contre le simple renoncement par vous, aux droits infiniment moins élevés qui vous sont dus.
Ce serait, comme vous le voyez un accord très simple qui présenterait le grand avantage de mettre fin à une question embrouillée, sans que vous ayez à en peser les éléments complexes, et sans que vous ayez à débourser la moindre somme. Je vous demanderai seulement, sans quʼil soit besoin que nous lʼinsérions dans un traité quelconque, et votre simple parole me suffisant, lʼengagement amical que tout ce quʼil vous sera possible de me donner, dans lʼeffort que jʼentreprends6, vous voudrez bien me le donner.
Je ne crois pas pouvoir mieux vous fournir, mon cher ami, la preuve de la peine que jʼai ressentie de ne plus être votre éditeur, et mon ardent désir de raccrocher sur une base possible une collaboration entre nous. Je serais heureux que vous y souscriviez dʼélan.
En ce qui concerne cette collaboration, je vous remercie de tout cœur de ce que vous me dites. En somme, il y a avec vous, deux choses possibles :
1° Publier de vous des extraits de « Du côté de Guermantes ». Sur ce point, auriez-vous la très grande gentillesse de mʼenvoyer les épreuves des parties inédites de cet ouvrage7, afin que je me rende compte si des fragments sont détachables et que je me mette éventuellement en rapport avec vous pour les choisir.
2° Publier de vous des articles ou chroniques sur les sujets indiqués. — Sur ce point tout est possible. Sans doute, nous nʼavons pas à proprement parler de rubrique, cʼest- à-dire que chaque question nʼest pas traitée dans chacun des numéros, et nous nʼavons pas un auteur pour chaque question. Nous nʼavons pas plus de rubrique quʼil nʼy en a dans la « Revue de Paris ». Mais je serais très heureux de publier de vous ce que vous voudrez, et par exemple, un ou des articles sur la MUSIQUE, ou un article sur la VIE INTÉRIEURE, ou un article sur la SOLITUDE. — Je tiens seulement à ce que vous me donniez des choses qui vous soient très chères. Je vous promets de mon côté de les mettre en valeur et de leur assurer la grande diffusion quʼelles méritent.
Vous savez, mon cher Proust, quʼavec notre revue , nous voudrions atteindre le très grand public. Dupuy 8 avait dʼailleurs songé à un premier tirage de deux cent mille. Nous allons maintenant vers le tirage dʼorigine à TROIS CENT MILLE. Cʼest donc une grosse partie que nous jouons. Nous voulons nous rendre compte sʼil y a un public en France, pour les lectures de très haute qualité, qui ne tireraient pas leur attrait de lʼactualité immédiate.
Notre revue sera ainsi pour vous un magnifique terrain dʼexpérience sur le grand public. Je serais vraiment heureux quʼil vous tentât.
Votre idée de demander quelque chose à Lucien Daudet est excellente. Voulez-vous le prier de venir me voir le plus tôt possible9 ?
Date de la dernière mise à jour : November 22, 2022 16:11




22 Mai 19 1
Monsieur Marcel PROUST
102 Bd Haussmann
Mon cher ami,
Je suis infinement touché de la lettre que je reçois
de vous
et de toute la peine que vous vous êtes donnée pour
mʼexposer vos possibilités
relativement à une collaboration
éventuelle à laquelle je tiens plus quʼà
tout2.
Jʼen suis tellement touché et heureux que je viens
vous
proposer relativement à la question en suspens entre nous3
et pour que nous nʼayons plus à en parler, la solution la
plus amicale qui
soit possible.
Comme vous le savez, les éléments de cette question
sont :
1° Des droits dʼauteur, qui vous sont dus sur le
second
tirage4 et qui sʼélèvent à frs. 440,50
;
2° Lʼindemnité qui mʼest due par vous, pour le
renoncement que
vous mʼavez demandé: 1° à un nouveau tirage
de «
DU DE CHEZ SWANN
» ; 2° à lʼédition du second volume de « A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU », qui mʼavait été concédée
par traité.5
Sur ce point, je ne veux pas faire état seulement du
manque à
gagner que ce double renoncement me cause, manque à
gagner évaluable à plusieurs
milliers de francs: mais aussi et
surtout de cette sorte de désaveu dont le public croira
faci-
lement que jʼai été lʼobjet, puisque je cesse brusquement dʼê-
tre votre éditeur.
Je vous propose comme solution la plus amicale : de
signer avec vous un accord dʼaprès lequel je renoncerais
à toute
indemnité contre le simple renoncement par vous, aux droits
infiniment moins élevés qui vous sont dus.
Ce serait, comme vous le voyez un accord très simple
qui
présenterait le grand avantage de mettre fin à une question
embrouillée, sans que
vous ayez à en peser les éléments comple-
xes, et sans que vous ayez à débourser la moindre somme. Je
vous demanderai
seulement, sans quʼil soit besoin que nous lʼin-
sérions dans un traité quelconque, et votre simple parole me
suffisant,
lʼengagement amical que tout ce quʼil vous sera
possible de me donner, dans
lʼeffort que jʼentreprends6, vous
voudrez bien me le donner.
Je ne crois pas pouvoir mieux vous fournir, mon cher
ami, la
preuve de la peine que jʼai ressentie de ne plus être
votre éditeur, et mon
ardent désir de raccrocher sur une base
possible une collaboration entre nous. Je
serais heureux que
vous y souscriviez dʼélan.
En ce qui concerne cette collaboration, je vous re-
mercie de tout coeur de ce que vous me dites. En somme, il y a
avec vous, deux choses possible :
1° Publier de vous des extraits de «
DU COTE DE GUER-
MANTES
». Sur ce point, auriez-vous la très grande gentillesse
de mʼenvoyer les
épreuves des parties inédites de cet ouvrage7,
afin que je me rende compte si des fragments sont
détachables
et que je me mette éventuellement en rapport avec vous pour
les
choisir.
2° Publier de vous des articles ou chroniques sur
les sujets
indiqués. — Sur ce point tout est possible. Sans
doute, nous nʼavons pas à
proprement parler de rubrique, cʼest-
à-dire que chaque question nʼest pas
traitée dans chacun des
numéros, et nous nʼavons pas un auteur pour chaque
question.
Nous nʼavons pas plus de rubrique quʼil nʼy en a dans la « Revue
de Paris ». Mais je serais très heureux de publier de vous
ce que vous voudrez, et par exemple, un ou des articles sur
la
MUSIQUE, ou un article sur la VIE INTERIEURE, ou un article sur
la SOLITUDE. — Je tiens seulement à ce que vous me
donniez des
choses qui vous soient très chères. Je vous promets de mon
côté
de les mettre en valeur et de leur assurer la grande dif-
fusion quʼelles méritent.
2
Vous savez, mon cher Proust,
quʼavec notre revue
,
nous voudrions atteindre le très grand public.
DUPUY
8 avait
dʼailleurs
songé à un premier tirage de deux cent mille. Nous
allons maintenant vers le
tirage dʼorigine à TROIS CENT MILLE.
Cʼest donc une grosse partie que nous
jouons. Nous voulons nous
rendre compte sʼil y a un public en France, pour les
lectures
de très haute qualité, qui ne tireraient pas leur attrait
de
lʼactualité immédiate.
Notre revue sera ainsi pour vous un magnifique ter-
rain dʼexpérience sur le grand public. Je serais vraiment heu-
reux quʼil vous tentât.
Votre idée de demander quelque chose à Lucien DAUDET
est excellente. Voulez-vous le prier de venir me voir le plus
tôt
possible9 ?
22 mai 1919 1
Monsieur Marcel PROUST102 boulevard Haussmann
Mon cher ami,
Je suis infinement touché de la lettre que je reçois de vous et de toute la peine que vous vous êtes donnée pour mʼexposer vos possibilités relativement à une collaboration éventuelle à laquelle je tiens plus quʼà tout2.
Jʼen suis tellement touché et heureux que je viens vous proposer relativement à la question en suspens entre nous3 et pour que nous nʼayons plus à en parler, la solution la plus amicale qui soit possible.
Comme vous le savez, les éléments de cette question sont :
1° Des droits dʼauteur, qui vous sont dus sur le second tirage4 et qui sʼélèvent à 440,50 francs ;
2° Lʼindemnité qui mʼest due par vous, pour le renoncement que vous mʼavez demandé : 1° à un nouveau tirage de « Du côté de chez Swann » ; 2° à lʼédition du second volume de « À la recherche du temps perdu », qui mʼavait été concédée
par traité.5
Sur ce point, je ne veux pas faire état seulement du manque à gagner que ce double renoncement me cause, manque à gagner évaluable à plusieurs milliers de francs : mais aussi et surtout de cette sorte de désaveu dont le public croira facilement que jʼai été lʼobjet, puisque je cesse brusquement dʼêtre votre éditeur.
Je vous propose comme solution la plus amicale : de signer avec vous un accord dʼaprès lequel je renoncerais à toute indemnité contre le simple renoncement par vous, aux droits infiniment moins élevés qui vous sont dus.
Ce serait, comme vous le voyez un accord très simple qui présenterait le grand avantage de mettre fin à une question embrouillée, sans que vous ayez à en peser les éléments complexes, et sans que vous ayez à débourser la moindre somme. Je vous demanderai seulement, sans quʼil soit besoin que nous lʼinsérions dans un traité quelconque, et votre simple parole me suffisant, lʼengagement amical que tout ce quʼil vous sera possible de me donner, dans lʼeffort que jʼentreprends6, vous voudrez bien me le donner.
Je ne crois pas pouvoir mieux vous fournir, mon cher ami, la preuve de la peine que jʼai ressentie de ne plus être votre éditeur, et mon ardent désir de raccrocher sur une base possible une collaboration entre nous. Je serais heureux que vous y souscriviez dʼélan.
En ce qui concerne cette collaboration, je vous remercie de tout cœur de ce que vous me dites. En somme, il y a avec vous, deux choses possibles :
1° Publier de vous des extraits de « Du côté de Guermantes ». Sur ce point, auriez-vous la très grande gentillesse de mʼenvoyer les épreuves des parties inédites de cet ouvrage7, afin que je me rende compte si des fragments sont détachables et que je me mette éventuellement en rapport avec vous pour les choisir.
2° Publier de vous des articles ou chroniques sur les sujets indiqués. — Sur ce point tout est possible. Sans doute, nous nʼavons pas à proprement parler de rubrique, cʼest- à-dire que chaque question nʼest pas traitée dans chacun des numéros, et nous nʼavons pas un auteur pour chaque question. Nous nʼavons pas plus de rubrique quʼil nʼy en a dans la « Revue de Paris ». Mais je serais très heureux de publier de vous ce que vous voudrez, et par exemple, un ou des articles sur la MUSIQUE, ou un article sur la VIE INTÉRIEURE, ou un article sur la SOLITUDE. — Je tiens seulement à ce que vous me donniez des choses qui vous soient très chères. Je vous promets de mon côté de les mettre en valeur et de leur assurer la grande diffusion quʼelles méritent.
Vous savez, mon cher Proust, quʼavec notre revue , nous voudrions atteindre le très grand public. Dupuy 8 avait dʼailleurs songé à un premier tirage de deux cent mille. Nous allons maintenant vers le tirage dʼorigine à TROIS CENT MILLE. Cʼest donc une grosse partie que nous jouons. Nous voulons nous rendre compte sʼil y a un public en France, pour les lectures de très haute qualité, qui ne tireraient pas leur attrait de lʼactualité immédiate.
Notre revue sera ainsi pour vous un magnifique terrain dʼexpérience sur le grand public. Je serais vraiment heureux quʼil vous tentât.
Votre idée de demander quelque chose à Lucien Daudet est excellente. Voulez-vous le prier de venir me voir le plus tôt possible9 ?
Date de la dernière mise à jour : November 22, 2022 16:11
Lettre 03779
Informations
creation : October 4, 2022 15:07
mise à jour : November 22, 2022 16:11
publiée ? oui
filename : 03779_XVIII_98-637cf496ce3c8.xml
original filename : 03779_XVIII_98.xml