CP 03189 Marcel Proust à Lionel Hauser mardi soir [le 29 août 1916]












Mardi soir1
Mon cher Lionel
Je reçois à l’instant ta lettre
et comme j’ai très mal aux
yeux
je me borne provisoirement à
une réponse fort incomplète. Si
les 3 jeunes hommes (pas si jeunes
puisque je suis moi-même vieux
hélas
— et d’ailleurs sensiblement leur
aîné) sont ceux que je suppose, je
2
ne te cacherai pas que j’avais depuis
longtemps, fort avant mes
pertes
d’argent, donné à l’un d’eux
le conseil de mettre son argent
chez
toi2. Mais voici la difficulté
qui
ne rend pas ce projet
irréalisable mais très difficile.
Tu sais qu’Israël est
souvent
à la source des fortunes qui l’ont
le plus oublié. Or si d’Albufera
est destiné à hériter de ses parents
3
3
4une belle fortune, le plus clair de
celle qu’il
a actuellement vient de sa femme,
fille
de la
Pcesse
d’Essling
5, c’est à dire
petite
fille de
Me
Furtado Heine
6. Or
cette
fortune se trouve déposée à la Banque Heine
et je ne sais même pas si des dispositions
testamentaires ne rendent pas
très difficile de l’
en retirer ; je me rappelle confusément qu’un
obstacle
de ce genre s’était dressé quand d’Albufera
4
avait voulu mettre de l’argent à
Bruxelles chez M.
Lambert. — .
Gabriel de La Rochefoucauld semble
au 1er
abord n’avoir aucun rapport avec d’
Albufera. Mais sa fortune (au moins actuelle)
vient de ce
qu’il a épousé la fille de la
Pcesse
de Monaco
, fille elle-même d’autres Heine
7,
non
famille dʼÉlie Furtado, père de Cécile
Furtado-HeineFurtado, mais parents8 et extrêmement
riches mais banquiers. Enfin
Guiche doit sa
fortune à ce que sa mère
la Dsse
de Gramont
était née Rothschild (banque idem)9. Il est
vrai que sa
femme
Mlle
Greffulhe lui vaudra plus
5
un jour, mais actuellement le père et la
mère d’icelle
sont en parfaite santé10.
Ces explications peu
intéressantes pour
toi sont pour te montrer que ce n’est
pas manque de désir
d’une chose
à laquelle j’ai souvent pensé (et
je dois dire plus encore dans
l’
intérêt des déposants que dans le
tien)) (le mot déposants est inexact
mais tu me
comprends) si je n’y ai encore
jamais abouti. Mais le fait de n’
avoir pas vu
ces gens depuis tant d’
années y est aussi pour q.q. chose.
Or maintenant que je sais que l’idée
6
ne t’en déplaît pas, dès que je serai
en état de recevoir quelqu’un
je
convoquerai ceux qui ne sont pas
mobilisés et si je les convertis
je
crois que je leur aurai rendu un
très grand service. Mais leur
rendre
un très grand service, si
agréable que cela me puisse être,
ne me paraît pas
une façon très
desintéressée de te témoigner ma
7
gratitude. Aussi pour en revenir à mes
moutons, tu me ferais bien grand
plaisir
en élevant à des proportions satisfaisantes un
courtage dérisoire. Le
jour où j’aurai réussi
à fixer chez toi deux ou trois
multimillionnaires
implorant tes conseils, ce jour là je con-
sentirai à ce que tu ramènes ce que tu me
prends au chiffre actuel. Mais
d’ici là, je
8
te demande de tenir compte de ma prière et de croire à ma bien affectueuse reconnaissance
Marcel Proust
Pour le Crédit Industriel je croyais que tu m’-
avais dit il y a q.q. temps que je devais être
créditeur d’environ 2000 fr.
Comme je ne leur ai
demandé aucun argent (chèques) depuis 8 mois,
voyant que ces 2000 fr. étaient évanouis (je ne
parle pas de la baisse des Mexico
qui est postérieure)
j’avais supposé qu’ils avaient compté des intérêts
après le rembour-
sement. Puisque cela n’est pas je n’ai aucune réclamation à leur faire11.
Mardi soir1
Mon cher Lionel
Je reçois à l’instant ta lettre et comme j’ai très mal aux yeux je me borne provisoirement à une réponse fort incomplète. Si les trois jeunes hommes (pas si jeunes puisque je suis moi-même vieux hélas — et d’ailleurs sensiblement leur aîné) sont ceux que je suppose, je
ne te cacherai pas que j’avais depuis longtemps, fort avant mes pertes d’argent, donné à l’un d’eux le conseil de mettre son argent chez toi2. Mais voici la difficulté qui ne rend pas ce projet irréalisable mais très difficile. Tu sais qu’Israël est souvent à la source des fortunes qui l’ont le plus oublié. Or si d’Albufera est destiné à hériter de ses parents 3
4une belle fortune, le plus clair de celle qu’il a actuellement vient de sa femme, fille de la princesse d’Essling 5, c’est-à-dire petite-fille de Mme Furtado Heine 6. Or cette fortune se trouve déposée à la Banque Heine et je ne sais même pas si des dispositions testamentaires ne rendent pas très difficile de l’ en retirer ; je me rappelle confusément qu’un obstacle de ce genre s’était dressé quand d’Albufera
avait voulu mettre de l’argent à Bruxelles chez M. Lambert.
Gabriel de La Rochefoucauld semble au premier abord n’avoir aucun rapport avec d’ Albufera. Mais sa fortune (au moins actuelle) vient de ce qu’il a épousé la fille de la princesse de Monaco , fille elle-même d’autres Heine 7, non famille dʼÉlie Furtado, père de Cécile Furtado-HeineFurtado, mais parents8 et extrêmement riches mais banquiers. Enfin Guiche doit sa fortune à ce que sa mère la duchesse de Gramont était née Rothschild (banque idem)9. Il est vrai que sa femme Mlle Greffulhe lui vaudra plus
un jour, mais actuellement le père et la mère d’icelle sont en parfaite santé10. Ces explications peu intéressantes pour toi sont pour te montrer que ce n’est pas manque de désir d’une chose à laquelle j’ai souvent pensé (et je dois dire plus encore dans l’ intérêt des déposants que dans le tien) (le mot déposants est inexact mais tu me comprends) si je n’y ai encore jamais abouti. Mais le fait de n’ avoir pas vu ces gens depuis tant d’ années y est aussi pour quelque chose. Or maintenant que je sais que l’idée
ne t’en déplaît pas, dès que je serai en état de recevoir quelqu’un je convoquerai ceux qui ne sont pas mobilisés et si je les convertis je crois que je leur aurai rendu un très grand service. Mais leur rendre un très grand service, si agréable que cela me puisse être, ne me paraît pas une façon très désintéressée de te témoigner ma
gratitude. Aussi pour en revenir à mes moutons, tu me ferais bien grand plaisir en élevant à des proportions satisfaisantes un courtage dérisoire. Le jour où j’aurai réussi à fixer chez toi deux ou trois multimillionnaires implorant tes conseils, ce jour-là je consentirai à ce que tu ramènes ce que tu me prends au chiffre actuel. Mais d’ici là, je
te demande de tenir compte de ma prière et de croire à ma bien affectueuse reconnaissance
Marcel Proust
Pour le Crédit Industriel je croyais que tu m’avais dit il y a quelque temps que je devais être créditeur d’environ 2000 francs . Comme je ne leur ai demandé aucun argent (chèques) depuis huit mois, voyant que ces 2000 francs étaient évanouis (je ne parle pas de la baisse des Mexico qui est postérieure) j’avais supposé qu’ils avaient compté des intérêts après le remboursement. Puisque cela n’est pas je n’ai aucune réclamation à leur faire11.
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03












Mardi soir1
Mon cher Lionel
Je reçois à l’instant ta lettre
et comme j’ai très mal aux
yeux
je me borne provisoirement à
une réponse fort incomplète. Si
les 3 jeunes hommes (pas si jeunes
puisque je suis moi-même vieux
hélas
— et d’ailleurs sensiblement leur
aîné) sont ceux que je suppose, je
2
ne te cacherai pas que j’avais depuis
longtemps, fort avant mes
pertes
d’argent, donné à l’un d’eux
le conseil de mettre son argent
chez
toi2. Mais voici la difficulté
qui
ne rend pas ce projet
irréalisable mais très difficile.
Tu sais qu’Israël est
souvent
à la source des fortunes qui l’ont
le plus oublié. Or si d’Albufera
est destiné à hériter de ses parents
3
3
4une belle fortune, le plus clair de
celle qu’il
a actuellement vient de sa femme,
fille
de la
Pcesse
d’Essling
5, c’est à dire
petite
fille de
Me
Furtado Heine
6. Or
cette
fortune se trouve déposée à la Banque Heine
et je ne sais même pas si des dispositions
testamentaires ne rendent pas
très difficile de l’
en retirer ; je me rappelle confusément qu’un
obstacle
de ce genre s’était dressé quand d’Albufera
4
avait voulu mettre de l’argent à
Bruxelles chez M.
Lambert. — .
Gabriel de La Rochefoucauld semble
au 1er
abord n’avoir aucun rapport avec d’
Albufera. Mais sa fortune (au moins actuelle)
vient de ce
qu’il a épousé la fille de la
Pcesse
de Monaco
, fille elle-même d’autres Heine
7,
non
famille dʼÉlie Furtado, père de Cécile
Furtado-HeineFurtado, mais parents8 et extrêmement
riches mais banquiers. Enfin
Guiche doit sa
fortune à ce que sa mère
la Dsse
de Gramont
était née Rothschild (banque idem)9. Il est
vrai que sa
femme
Mlle
Greffulhe lui vaudra plus
5
un jour, mais actuellement le père et la
mère d’icelle
sont en parfaite santé10.
Ces explications peu
intéressantes pour
toi sont pour te montrer que ce n’est
pas manque de désir
d’une chose
à laquelle j’ai souvent pensé (et
je dois dire plus encore dans
l’
intérêt des déposants que dans le
tien)) (le mot déposants est inexact
mais tu me
comprends) si je n’y ai encore
jamais abouti. Mais le fait de n’
avoir pas vu
ces gens depuis tant d’
années y est aussi pour q.q. chose.
Or maintenant que je sais que l’idée
6
ne t’en déplaît pas, dès que je serai
en état de recevoir quelqu’un
je
convoquerai ceux qui ne sont pas
mobilisés et si je les convertis
je
crois que je leur aurai rendu un
très grand service. Mais leur
rendre
un très grand service, si
agréable que cela me puisse être,
ne me paraît pas
une façon très
desintéressée de te témoigner ma
7
gratitude. Aussi pour en revenir à mes
moutons, tu me ferais bien grand
plaisir
en élevant à des proportions satisfaisantes un
courtage dérisoire. Le
jour où j’aurai réussi
à fixer chez toi deux ou trois
multimillionnaires
implorant tes conseils, ce jour là je con-
sentirai à ce que tu ramènes ce que tu me
prends au chiffre actuel. Mais
d’ici là, je
8
te demande de tenir compte de ma prière et de croire à ma bien affectueuse reconnaissance
Marcel Proust
Pour le Crédit Industriel je croyais que tu m’-
avais dit il y a q.q. temps que je devais être
créditeur d’environ 2000 fr.
Comme je ne leur ai
demandé aucun argent (chèques) depuis 8 mois,
voyant que ces 2000 fr. étaient évanouis (je ne
parle pas de la baisse des Mexico
qui est postérieure)
j’avais supposé qu’ils avaient compté des intérêts
après le rembour-
sement. Puisque cela n’est pas je n’ai aucune réclamation à leur faire11.
Mardi soir1
Mon cher Lionel
Je reçois à l’instant ta lettre et comme j’ai très mal aux yeux je me borne provisoirement à une réponse fort incomplète. Si les trois jeunes hommes (pas si jeunes puisque je suis moi-même vieux hélas — et d’ailleurs sensiblement leur aîné) sont ceux que je suppose, je
ne te cacherai pas que j’avais depuis longtemps, fort avant mes pertes d’argent, donné à l’un d’eux le conseil de mettre son argent chez toi2. Mais voici la difficulté qui ne rend pas ce projet irréalisable mais très difficile. Tu sais qu’Israël est souvent à la source des fortunes qui l’ont le plus oublié. Or si d’Albufera est destiné à hériter de ses parents 3
4une belle fortune, le plus clair de celle qu’il a actuellement vient de sa femme, fille de la princesse d’Essling 5, c’est-à-dire petite-fille de Mme Furtado Heine 6. Or cette fortune se trouve déposée à la Banque Heine et je ne sais même pas si des dispositions testamentaires ne rendent pas très difficile de l’ en retirer ; je me rappelle confusément qu’un obstacle de ce genre s’était dressé quand d’Albufera
avait voulu mettre de l’argent à Bruxelles chez M. Lambert.
Gabriel de La Rochefoucauld semble au premier abord n’avoir aucun rapport avec d’ Albufera. Mais sa fortune (au moins actuelle) vient de ce qu’il a épousé la fille de la princesse de Monaco , fille elle-même d’autres Heine 7, non famille dʼÉlie Furtado, père de Cécile Furtado-HeineFurtado, mais parents8 et extrêmement riches mais banquiers. Enfin Guiche doit sa fortune à ce que sa mère la duchesse de Gramont était née Rothschild (banque idem)9. Il est vrai que sa femme Mlle Greffulhe lui vaudra plus
un jour, mais actuellement le père et la mère d’icelle sont en parfaite santé10. Ces explications peu intéressantes pour toi sont pour te montrer que ce n’est pas manque de désir d’une chose à laquelle j’ai souvent pensé (et je dois dire plus encore dans l’ intérêt des déposants que dans le tien) (le mot déposants est inexact mais tu me comprends) si je n’y ai encore jamais abouti. Mais le fait de n’ avoir pas vu ces gens depuis tant d’ années y est aussi pour quelque chose. Or maintenant que je sais que l’idée
ne t’en déplaît pas, dès que je serai en état de recevoir quelqu’un je convoquerai ceux qui ne sont pas mobilisés et si je les convertis je crois que je leur aurai rendu un très grand service. Mais leur rendre un très grand service, si agréable que cela me puisse être, ne me paraît pas une façon très désintéressée de te témoigner ma
gratitude. Aussi pour en revenir à mes moutons, tu me ferais bien grand plaisir en élevant à des proportions satisfaisantes un courtage dérisoire. Le jour où j’aurai réussi à fixer chez toi deux ou trois multimillionnaires implorant tes conseils, ce jour-là je consentirai à ce que tu ramènes ce que tu me prends au chiffre actuel. Mais d’ici là, je
te demande de tenir compte de ma prière et de croire à ma bien affectueuse reconnaissance
Marcel Proust
Pour le Crédit Industriel je croyais que tu m’avais dit il y a quelque temps que je devais être créditeur d’environ 2000 francs . Comme je ne leur ai demandé aucun argent (chèques) depuis huit mois, voyant que ces 2000 francs étaient évanouis (je ne parle pas de la baisse des Mexico qui est postérieure) j’avais supposé qu’ils avaient compté des intérêts après le remboursement. Puisque cela n’est pas je n’ai aucune réclamation à leur faire11.
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03