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CP 02843 Marcel Proust à Daniel Halévy [peu après le lundi soir 16 novembre 1914]

Surlignage

Cher ami

Ces quelques mots pour te dire
que cʼest en pleurant que jʼai
lu les Trois Croix . En ce temps
où il y a tant de sublime dans
les faits, et si peu dans les paroles
et les écrits, où chacun annonce
que la Guerre a transformé les esprits,
mais lʼannonce en un style qui montre
trop quʼelle nʼa rien transformé du
tout, où les mêmes sottises, les mêmes


banalités reviennent, soit pires
encore, soit semblant telles par
leur confrontation aux grandes
choses quʼelles sʼimaginent
exprimer, en ce temps où on ne
peut pas lire un journal sans dégoût,
et où peutʼetre pas une ligne dé-
cente nʼa encore été écrite sur la
guerre, je crois que les 3 Croix
sont le 1er morceau de littéra-
ture guerrière (ne te froisse pas du
mot littérature qui au sens où je


le prends et où tu lʼentends jʼespère est fort noble)
quʼil mʼait été donné de lire. Que de choses jʼ
aurais à te dire à un moment où jamais le desarme-
ment
complet des intelligences nʼa été si funeste.

Ton bien ému et admiratif

Marcel Proust

Surlignage
 

Cher ami

Ces quelques mots pour te dire que cʼest en pleurant que jʼai lu les Trois Croix . En ce temps où il y a tant de sublime dans les faits, et si peu dans les paroles et les écrits, où chacun annonce que la Guerre a transformé les esprits, mais lʼannonce en un style qui montre trop quʼelle nʼa rien transformé du tout, où les mêmes sottises, les mêmes


 

banalités reviennent, soit pires encore, soit semblant telles par leur confrontation aux grandes choses quʼelles sʼimaginent exprimer, en ce temps où on ne peut pas lire un journal sans dégoût, et où peut-être pas une ligne décente nʼa encore été écrite sur la guerre, je crois que les Trois Croix sont le premier morceau de littérature guerrière (ne te froisse pas du mot littérature qui au sens où je


 

le prends et où tu lʼentends jʼespère est fort noble) quʼil mʼait été donné de lire. Que de choses jʼ aurais à te dire à un moment où jamais le désarmement complet des intelligences nʼa été si funeste.

Ton bien ému et admiratif

Marcel Proust

Note n°1
Cette lettre, datée seulement de « novembre 1914 » dans la revue, doit avoir été écrite [peu après le lundi soir 16 novembre 1914], puisque Proust y cite un article du destinataire paru dans le Journal des Débats du mardi 17 novembre, journal du soir portant la date du lendemain. [PK, CSz]
Note n°2
Article de Daniel Halévy paru dans le Journal des Débats du mardi 17 novembre 1914, p. 2, sous le titre « Les Trois Croix ». Le destinataire a reproduit son article, avec la lettre de Proust, dans la revue Le Divan (janvier-mars 1956), p. 294-298 ; il affirme avoir traduit le récit du soldat en le transposant ; il avait trouvé le texte du récit dans « un journal anglais dont [s]a mémoire nʼa[vait] pas retenu le titre ». Le même événement est relaté brièvement dans LʼIntransigeant du 15 novembre 1914, p. 1, sous le titre « Pour sauver un ennemi ». Il sʼagit de la mort héroïque dʼun officier qui commandait une section dʼinfanterie anglaise dans la plaine devant le faubourg dʼYpres. [PK]
Note
Daniel Halévy 17 novembre 1914 Journal des Débats politiques et littéraires Les Troix Croix
Note
Kolb : dans
Note
Daniel Halévy 17 novembre 1914 Journal des Débats politiques et littéraires Les Trois Croix


Mots-clefs :
Date de mise en ligne : October 4, 2022 15:07
Date de la dernière mise à jour : November 22, 2022 14:15
Surlignage

Cher ami

Ces quelques mots pour te dire
que cʼest en pleurant que jʼai
lu les Trois Croix . En ce temps
où il y a tant de sublime dans
les faits, et si peu dans les paroles
et les écrits, où chacun annonce
que la Guerre a transformé les esprits,
mais lʼannonce en un style qui montre
trop quʼelle nʼa rien transformé du
tout, où les mêmes sottises, les mêmes


banalités reviennent, soit pires
encore, soit semblant telles par
leur confrontation aux grandes
choses quʼelles sʼimaginent
exprimer, en ce temps où on ne
peut pas lire un journal sans dégoût,
et où peutʼetre pas une ligne dé-
cente nʼa encore été écrite sur la
guerre, je crois que les 3 Croix
sont le 1er morceau de littéra-
ture guerrière (ne te froisse pas du
mot littérature qui au sens où je


le prends et où tu lʼentends jʼespère est fort noble)
quʼil mʼait été donné de lire. Que de choses jʼ
aurais à te dire à un moment où jamais le desarme-
ment
complet des intelligences nʼa été si funeste.

Ton bien ému et admiratif

Marcel Proust

Surlignage
 

Cher ami

Ces quelques mots pour te dire que cʼest en pleurant que jʼai lu les Trois Croix . En ce temps où il y a tant de sublime dans les faits, et si peu dans les paroles et les écrits, où chacun annonce que la Guerre a transformé les esprits, mais lʼannonce en un style qui montre trop quʼelle nʼa rien transformé du tout, où les mêmes sottises, les mêmes


 

banalités reviennent, soit pires encore, soit semblant telles par leur confrontation aux grandes choses quʼelles sʼimaginent exprimer, en ce temps où on ne peut pas lire un journal sans dégoût, et où peut-être pas une ligne décente nʼa encore été écrite sur la guerre, je crois que les Trois Croix sont le premier morceau de littérature guerrière (ne te froisse pas du mot littérature qui au sens où je


 

le prends et où tu lʼentends jʼespère est fort noble) quʼil mʼait été donné de lire. Que de choses jʼ aurais à te dire à un moment où jamais le désarmement complet des intelligences nʼa été si funeste.

Ton bien ému et admiratif

Marcel Proust

Note n°1
Cette lettre, datée seulement de « novembre 1914 » dans la revue, doit avoir été écrite [peu après le lundi soir 16 novembre 1914], puisque Proust y cite un article du destinataire paru dans le Journal des Débats du mardi 17 novembre, journal du soir portant la date du lendemain. [PK, CSz]
Note n°2
Article de Daniel Halévy paru dans le Journal des Débats du mardi 17 novembre 1914, p. 2, sous le titre « Les Trois Croix ». Le destinataire a reproduit son article, avec la lettre de Proust, dans la revue Le Divan (janvier-mars 1956), p. 294-298 ; il affirme avoir traduit le récit du soldat en le transposant ; il avait trouvé le texte du récit dans « un journal anglais dont [s]a mémoire nʼa[vait] pas retenu le titre ». Le même événement est relaté brièvement dans LʼIntransigeant du 15 novembre 1914, p. 1, sous le titre « Pour sauver un ennemi ». Il sʼagit de la mort héroïque dʼun officier qui commandait une section dʼinfanterie anglaise dans la plaine devant le faubourg dʼYpres. [PK]
Note
Daniel Halévy 17 novembre 1914 Journal des Débats politiques et littéraires Les Troix Croix
Note
Kolb : dans
Note
Daniel Halévy 17 novembre 1914 Journal des Débats politiques et littéraires Les Trois Croix


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Date de mise en ligne : October 4, 2022 15:07
Date de la dernière mise à jour : November 22, 2022 14:15
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