language

CP 02316 Marcel Proust à Robert Dreyfus [entre le 9 et le 15 avril 1912]

Surlignage

Cher Robert

Un mot pendant une crise
pour te dire que je pense
souvent à toi, à ta mère, à ton
pauvre frère
, et que chaque
fois que je vais au Figaro (ce
qui n’arrive plus que bien rarement
mais qui est cependant la seule
sortie que j’aie faite depuis l’


été dernier) je demande
toujours si tu es là. Mais tu es
venu dans l’après midi. Du
moins c’est ce qu’on me dit.
Je suis ravi de voir comme
ton livre sur la Revue continue
à retentir (et je suis persuadé
que ce n’est qu’un commencement).
J’ai lu 2 fois la Revue Hebdoma-
daire
. La 1re fois j’y ai trouvé
une jolie conférence de Beaunier et il parlait de
ton livre. La seconde fois j’y ai trouvé une
conférence, pas jolie du tout, de Deschamps. Mais
comme il y parlait de toi, je me suis tout d’un
coup senti passer pour lui de l’horreur à la bienveillance,
comme mes parents quand ils apprenaient que quelqu’un
avait dit du bien de moi. Surtout ne me réponds
pas. Je savais bien que tu devinais bien que je pensais à toi
sans que je t’écrive mais c’est bon à dire aussi de
temps en temps. Seulement je serais désolé que tu perdes une

minute pour me répondre à ce qui n’est pas une
lettre. Quand je te lis c’est comme si tu m’écrivais
puisque tu t’adresses à moi comme aux autres. Et
comme je me figure que je te goûte mieux que
les autres, il me semble que tu me parles davantage
qu’aux autres (je ne sais pas si on dit davantage que).

Adieu et tendrement

Marcel

J’ai la plus grande admiration pour Bonnard. Mais je
commence à me demander qu’est-ce que c’est que cette
conspiration de tous à nous annoncer une restauration
de la Religion, et comme voulue par la Science. Réellement le
Journal des Débats a toujours l’air de trouver que le nombre élevé des gens qui
font leurs Pâques vient de la philosophie de Bergson. Quel ennui d’etre malade et de
ne pouvoir « tenir une
plume » !

Surlignage

Cher Robert

Un mot pendant une crise pour te dire que je pense souvent à toi, à ta mère, à ton pauvre frère, et que chaque fois que je vais au Figaro (ce qui n’arrive plus que bien rarement mais qui est cependant la seule sortie que j’aie faite depuis l’été dernier) je demande toujours si tu es là. Mais tu es venu dans l’après-midi. Du moins c’est ce qu’on me dit. Je suis ravi de voir comme ton livre sur la Revue continue à retentir (et je suis persuadé que ce n’est qu’un commencement). J’ai lu deux fois la Revue Hebdomadaire. La première fois j’y ai trouvé une jolie conférence de Beaunier et il parlait de ton livre. La seconde fois j’y ai trouvé une conférence, pas jolie du tout, de Deschamps. Mais comme il y parlait de toi, je me suis tout d’un coup senti passer pour lui de l’horreur à la bienveillance, comme mes parents quand ils apprenaient que quelqu’un avait dit du bien de moi. Surtout ne me réponds pas. Je savais bien que tu devinais bien que je pensais à toi sans que je t’écrive mais c’est bon à dire aussi de temps en temps. Seulement je serais désolé que tu perdes une minute pour me répondre à ce qui n’est pas une lettre. Quand je te lis c’est comme si tu m’écrivais puisque tu t’adresses à moi comme aux autres. Et comme je me figure que je te goûte mieux que les autres, il me semble que tu me parles davantage qu’aux autres (je ne sais pas si on dit davantage que).

Adieu et tendrement,

Marcel

J’ai la plus grande admiration pour Bonnard. Mais je commence à me demander qu’est-ce que c’est que cette conspiration de tous à nous annoncer une restauration de la Religion, et comme voulue par la Science. Réellement le Journal des Débats a toujours l’air de trouver que le nombre élevé des gens qui font leurs Pâques vient de la philosophie de Bergson. Quel ennui d’être malade et de ne pouvoir « tenir une plume » !

Note n°1
L’enveloppe associée à cette lettre (CP 90037) porte le cachet postal dʼenvoi : PARIS - R.P. / DEPART / 15 AVRIL 12. Toutefois, Proust y commentant un article de presse paru le 6 avril et, dans le post-scriptum, deux articles du 9 avril 1912 (voir les notes 5, 7, 8 et 9), il est possible que sa lettre ait été commencée le dimanche 7 ou le lundi 8 avril, terminée le mardi 9, mais postée avec quelques jours de retard. Par précaution, nous la datons [entre le 9 et le 15 avril 1912]. [PK, FL]
Note n°2
Henri Dreyfus était décédé au mois de novembre 1910. (Voir la lettre de condoléances de Proust à Dreyfus du [10 novembre 1910] : CP 02155 et sa note 3 ; Kolb, X, n° 98 et sa note 4.) [PK]
Note n°3génétique
Il sʼagit dʼune conférence dʼAndré Beaunier prononcée à la Société des Conférences le vendredi 8 mars 1912, « La Mode sous le deuxième Empire », publiée dans La Revue hebdomadaire du 16 mars 1912, p. 346-375 (voir note 4 ci-après). – Proust a pu se consulter cette publication pour alimenter la description des toilettes de Mme Swann quʼil met au point en mars-avril 1912 pour « Noms de pays ». Ainsi, Beaunier exprime son regret que les femmes, au temps où il écrit, soient « chargées du monument de leurs chapeaux » (p. 367), tandis que sous le Second Empire on aimait au contraire « les toquets [...] les capotes [...] » qui « sʼappliquent sur toute la tête, y adhèrent et, ainsi, nʼaugmentent guère son volume » (p. 366). De même, dans leurs jupes « étroites » qui constituent lʼune des « entraves » imposées par la mode contemporaine, les femmes sont « gainées aux jambes » (p. 367), alors que la mode impériale, avec lʼusage de la crinoline, mettait au contraire « en bas ce qui [était] large et lourd » (p. 366). Dans le passage sur le bois de Boulogne (voir la grande addition de 18 pages volantes, NAF 16703, f 190r à 207r), le narrateur exprime un regret similaire : il oppose avec nostalgie lʼélégance de Mme Swann à la mode actuelle (celle de 1912), trouvant « horribles » les « jupes entravées » et les « chapeaux couverts de tous les alters [sic] », quʼil oppose aux « petits chapeaux dont dépassait un seul iris » (voir notamment NAF 16703, f. 204r) ; dans les corrections effectuées ultérieurement sur la dactylographie, les chapeaux actuels sont même « couverts d’une volière ou d’un potager » là où Mme Swann était charmante sous une « simple capote mauve » (NAF 16735, f. 173r ; voir CS, I, 418). – Beaunier fait également référence à « un corsage qui, parfois, tombait à droite et à gauche comme les deux ailes dʼun fichu » (p. 357) : ce détail pourrait avoir inspiré les corsages à basques dʼOdette (voir lʼaddition marginale à la dactylographie : NAF 16735, f. 156r). Le passage du Cahier 23 mentionnant les « peignoirs Watteau » de Mme Swann (Cahier 23, f. 13r) fait écho au même passage de lʼarticle de Beaunier (p. 357). [SL, FL]
Note n°4
Parlant de ceux qui s’opposèrent au « règne de la crinoline », André Beaunier invite à consulter « la charmante Petite histoire de la Revue de fin d’année de M. Robert Dreyfus » : voir « La Mode sous le deuxième Empire », p. 353 et p. 369. [PK]
Note n°5
La Revue hebdomadaire, 6 avril 1912, p. 33-58, « Le Boulevard », par Gaston Deschamps. Rien n’indique qu’il s’agit d’une conférence, mais cet article suit immédiatement la dernière des dix conférences de Jules Lemaitre sur Chateaubriand. Deschamps écrit : « L’auteur d’une récente étude sur les Revues de fin d’année, M. Robert Dreyfus, a fait un rapprochement bien curieux » et il donne de longues citations tirées du livre de Dreyfus, l’appelant « l’ingénieux commentateur à qui j’emprunte cette citation » (loc. cit., p. 52 et 53). — Charles-Pierre-Gaston Deschamps (1861-1931) prit la succession d’Anatole France comme critique littéraire du Temps, de 1893 à 1911. Eugène Montfort l’avait qualifié de « vrai poète » (Les Marges, avril 1907), allant jusqu’à dire que « son nom s’inscrira[it] à côté des plus hauts du siècle, près de Vigny, de Lamartine et de Victor Hugo ». Plus tard cependant, dans la même revue, on lit sur Deschamps : « Sa niaiserie singulière lui avait valu [...] une sorte de célébrité. » (Les Marges, VIII, p. 122, octobre 1911). — Voir aussi le post-scriptum de la lettre à Reynaldo Hahn du [lundi soir 18 juillet 1910] (CP 02126 ; Kolb, X, n° 69 et sa note 12) où Proust parle dʼ« imbécillité » au sujet dʼun article de Deschamps quʼil vient de lire. [PK, FL]
Note n°6génétique
Proust semble en train de mettre au net (ou avoir récemment mis au net) lʼépisode de « Noms de pays » où, Bergotte ayant dit quʼil trouvait le héros « extrêmement intelligent », les parents de celui-ci, qui étaient précédemment hostiles à Bergotte, se mettent à le considérer avec bienveillance. Cʼest précisément au milieu de cette scène que la dactylographie effectuée en mars 1912 sʼétait arrêtée, au beau milieu dʼune phrase : « Je sentis que je nʼavais plus pour compléter leur mauvaise humeur quʼà leur dire que cet homme pervers [il sʼagit de Bergotte] et qui nʼappréciait pas Monsieur de Norpois // » (NAF 16735, f. 144r), cette page correspondant exactement à la dernière page du Cahier 24 (Cahier 24, f. 65r). Pendant les premiers jours dʼavril, Proust a dû relire les pages dactylographiées que Nahmias lui avait transmises fin mars, et il doit être en train de préparer la suite : cʼest en effet avec la fin de cette phrase (« mʼavait trouvé extrêmement intelligent » : NAF 16703, f. 208v ) et la suite de cette scène du retournement dʼopinion des parents vis-à-vis de Bergotte (qui se trouve dans le Cahier 23, f. 8r), que commence lʼensemble de pages et cahiers manuscrits pour la fin de « Noms de pays » quʼil enverra en mai à Nahmias pour être dactylographié par Miss Hayward (voir CP 02304  ; Kolb, XI, n° 40). — En juin 1913, Proust prenant la décision dʼécourter dʼenviron 200 pages le premier tome en cours de composition, cette scène (ainsi que nombre dʼépisodes adjacents « autour de Mme Swann ») se trouvera reportée dans le tome suivant : voir JF, I, 563-564. [PK, FL]
Note n°7
Les allusions du post-scriptum faisant référence à deux articles parus le mardi 9 avril 1912 (voir les notes 8 et 9 ci-après), il est possible que ce post-scriptum ait été ajouté au corps de la lettre quelques jours plus tard ; Proust aurait pu attendre la fin des jours fériés de Pâques avant de faire poster sa lettre. [FL]
Note n°8
Allusion, semble-t-il, à l’article d’Abel Bonnard que publie Le Figaro du 9 avril 1912, en première page, sous le titre : « Les Forgerons ». Nous en détachons ces phrases typiques : « [...] il y a un signe certain : cʼest, dans tous les esprits, un souci plus pressant du réel, une subordination plus modeste à ce quʼil nous montre. [...] Tout change en nous et l’idée même que nous nous faisons de l’homme. Un rationalisme étriqué avait tout désolé. Quelques savants d’âme despotique, armés de leurs constatations, avaient banni la religion et avec elle tout ce qui l’entoure. Si ignorants que nous soyons, nous savons que la science n’a plus cette assurance excessive. Elle devient moins impérieuse et plus attentive. [...] Nous nous représentons lʼhomme dʼune façon moins succincte, à la fois plus vraie et plus poétique, si la poésie nʼest pas autre chose que lʼâme même de la vie, et nous nous sentons riches du fond mystérieux qui nous est rendu. [...] Regardant l’espace laissé vide par la religion et les idées morales, considérant tout ce qu’elles ont emporté de splendeur spirituelle avec elles, nous nous demandons si elles ne vont pas revenir [...]. » [PK, FL]
Note n°9
Allusion sans doute à l’entrefilet anonyme paru dans le Journal des Débats du 9 avril 1912, en première page, sous le titre « La semaine sainte et les églises » : « Les cérémonies du jour de Pâques, commes les solennités de la semaine sainte, ont attiré dans les églises de Paris une foule [...].Il semble ainsi qu’il y ait eu, depuis quelque temps, une diffusion et un élan du sentiment religieux, qui se manifeste dans toute sa force aux jours où les fêtes consacrées rassemblent les fidèles. Cette évolution est d’autant plus frappante que le matérialisme a trouvé partout, jusqu’à la tribune de la Chambre, des appuis considérables et que, dans la presse qui se vante d’être le plus accessible aux masses populaires, il n’a cessé d’être exalté [...]. » [PK, FL]
Note
Robert Dreyfus Petite histoire de la Revue de fin dʼannée pubPlace publisher 1909
Note
André Beaunier La Revue hebdomadaire La Mode sous le deuxième Empire 16 mars 1912 biblScope @unit='page'
Note
Robert Dreyfus Petite histoire de la Revue de fin dʼannée pubPlace publisher 1909
Note
Gaston Deschamps La Revue hebdomadaire Le Boulevard 6 avril 1912 biblScope @unit='page'


Mots-clefs :documentationépistolaritégenèsephilosophiepressereligion
Date de mise en ligne : May 3, 2024 18:03
Date de la dernière mise à jour : August 13, 2024 17:09
Surlignage

Cher Robert

Un mot pendant une crise
pour te dire que je pense
souvent à toi, à ta mère, à ton
pauvre frère
, et que chaque
fois que je vais au Figaro (ce
qui n’arrive plus que bien rarement
mais qui est cependant la seule
sortie que j’aie faite depuis l’


été dernier) je demande
toujours si tu es là. Mais tu es
venu dans l’après midi. Du
moins c’est ce qu’on me dit.
Je suis ravi de voir comme
ton livre sur la Revue continue
à retentir (et je suis persuadé
que ce n’est qu’un commencement).
J’ai lu 2 fois la Revue Hebdoma-
daire
. La 1re fois j’y ai trouvé
une jolie conférence de Beaunier et il parlait de
ton livre. La seconde fois j’y ai trouvé une
conférence, pas jolie du tout, de Deschamps. Mais
comme il y parlait de toi, je me suis tout d’un
coup senti passer pour lui de l’horreur à la bienveillance,
comme mes parents quand ils apprenaient que quelqu’un
avait dit du bien de moi. Surtout ne me réponds
pas. Je savais bien que tu devinais bien que je pensais à toi
sans que je t’écrive mais c’est bon à dire aussi de
temps en temps. Seulement je serais désolé que tu perdes une

minute pour me répondre à ce qui n’est pas une
lettre. Quand je te lis c’est comme si tu m’écrivais
puisque tu t’adresses à moi comme aux autres. Et
comme je me figure que je te goûte mieux que
les autres, il me semble que tu me parles davantage
qu’aux autres (je ne sais pas si on dit davantage que).

Adieu et tendrement

Marcel

J’ai la plus grande admiration pour Bonnard. Mais je
commence à me demander qu’est-ce que c’est que cette
conspiration de tous à nous annoncer une restauration
de la Religion, et comme voulue par la Science. Réellement le
Journal des Débats a toujours l’air de trouver que le nombre élevé des gens qui
font leurs Pâques vient de la philosophie de Bergson. Quel ennui d’etre malade et de
ne pouvoir « tenir une
plume » !

Surlignage

Cher Robert

Un mot pendant une crise pour te dire que je pense souvent à toi, à ta mère, à ton pauvre frère, et que chaque fois que je vais au Figaro (ce qui n’arrive plus que bien rarement mais qui est cependant la seule sortie que j’aie faite depuis l’été dernier) je demande toujours si tu es là. Mais tu es venu dans l’après-midi. Du moins c’est ce qu’on me dit. Je suis ravi de voir comme ton livre sur la Revue continue à retentir (et je suis persuadé que ce n’est qu’un commencement). J’ai lu deux fois la Revue Hebdomadaire. La première fois j’y ai trouvé une jolie conférence de Beaunier et il parlait de ton livre. La seconde fois j’y ai trouvé une conférence, pas jolie du tout, de Deschamps. Mais comme il y parlait de toi, je me suis tout d’un coup senti passer pour lui de l’horreur à la bienveillance, comme mes parents quand ils apprenaient que quelqu’un avait dit du bien de moi. Surtout ne me réponds pas. Je savais bien que tu devinais bien que je pensais à toi sans que je t’écrive mais c’est bon à dire aussi de temps en temps. Seulement je serais désolé que tu perdes une minute pour me répondre à ce qui n’est pas une lettre. Quand je te lis c’est comme si tu m’écrivais puisque tu t’adresses à moi comme aux autres. Et comme je me figure que je te goûte mieux que les autres, il me semble que tu me parles davantage qu’aux autres (je ne sais pas si on dit davantage que).

Adieu et tendrement,

Marcel

J’ai la plus grande admiration pour Bonnard. Mais je commence à me demander qu’est-ce que c’est que cette conspiration de tous à nous annoncer une restauration de la Religion, et comme voulue par la Science. Réellement le Journal des Débats a toujours l’air de trouver que le nombre élevé des gens qui font leurs Pâques vient de la philosophie de Bergson. Quel ennui d’être malade et de ne pouvoir « tenir une plume » !

Note n°1
L’enveloppe associée à cette lettre (CP 90037) porte le cachet postal dʼenvoi : PARIS - R.P. / DEPART / 15 AVRIL 12. Toutefois, Proust y commentant un article de presse paru le 6 avril et, dans le post-scriptum, deux articles du 9 avril 1912 (voir les notes 5, 7, 8 et 9), il est possible que sa lettre ait été commencée le dimanche 7 ou le lundi 8 avril, terminée le mardi 9, mais postée avec quelques jours de retard. Par précaution, nous la datons [entre le 9 et le 15 avril 1912]. [PK, FL]
Note n°2
Henri Dreyfus était décédé au mois de novembre 1910. (Voir la lettre de condoléances de Proust à Dreyfus du [10 novembre 1910] : CP 02155 et sa note 3 ; Kolb, X, n° 98 et sa note 4.) [PK]
Note n°3génétique
Il sʼagit dʼune conférence dʼAndré Beaunier prononcée à la Société des Conférences le vendredi 8 mars 1912, « La Mode sous le deuxième Empire », publiée dans La Revue hebdomadaire du 16 mars 1912, p. 346-375 (voir note 4 ci-après). – Proust a pu se consulter cette publication pour alimenter la description des toilettes de Mme Swann quʼil met au point en mars-avril 1912 pour « Noms de pays ». Ainsi, Beaunier exprime son regret que les femmes, au temps où il écrit, soient « chargées du monument de leurs chapeaux » (p. 367), tandis que sous le Second Empire on aimait au contraire « les toquets [...] les capotes [...] » qui « sʼappliquent sur toute la tête, y adhèrent et, ainsi, nʼaugmentent guère son volume » (p. 366). De même, dans leurs jupes « étroites » qui constituent lʼune des « entraves » imposées par la mode contemporaine, les femmes sont « gainées aux jambes » (p. 367), alors que la mode impériale, avec lʼusage de la crinoline, mettait au contraire « en bas ce qui [était] large et lourd » (p. 366). Dans le passage sur le bois de Boulogne (voir la grande addition de 18 pages volantes, NAF 16703, f 190r à 207r), le narrateur exprime un regret similaire : il oppose avec nostalgie lʼélégance de Mme Swann à la mode actuelle (celle de 1912), trouvant « horribles » les « jupes entravées » et les « chapeaux couverts de tous les alters [sic] », quʼil oppose aux « petits chapeaux dont dépassait un seul iris » (voir notamment NAF 16703, f. 204r) ; dans les corrections effectuées ultérieurement sur la dactylographie, les chapeaux actuels sont même « couverts d’une volière ou d’un potager » là où Mme Swann était charmante sous une « simple capote mauve » (NAF 16735, f. 173r ; voir CS, I, 418). – Beaunier fait également référence à « un corsage qui, parfois, tombait à droite et à gauche comme les deux ailes dʼun fichu » (p. 357) : ce détail pourrait avoir inspiré les corsages à basques dʼOdette (voir lʼaddition marginale à la dactylographie : NAF 16735, f. 156r). Le passage du Cahier 23 mentionnant les « peignoirs Watteau » de Mme Swann (Cahier 23, f. 13r) fait écho au même passage de lʼarticle de Beaunier (p. 357). [SL, FL]
Note n°4
Parlant de ceux qui s’opposèrent au « règne de la crinoline », André Beaunier invite à consulter « la charmante Petite histoire de la Revue de fin d’année de M. Robert Dreyfus » : voir « La Mode sous le deuxième Empire », p. 353 et p. 369. [PK]
Note n°5
La Revue hebdomadaire, 6 avril 1912, p. 33-58, « Le Boulevard », par Gaston Deschamps. Rien n’indique qu’il s’agit d’une conférence, mais cet article suit immédiatement la dernière des dix conférences de Jules Lemaitre sur Chateaubriand. Deschamps écrit : « L’auteur d’une récente étude sur les Revues de fin d’année, M. Robert Dreyfus, a fait un rapprochement bien curieux » et il donne de longues citations tirées du livre de Dreyfus, l’appelant « l’ingénieux commentateur à qui j’emprunte cette citation » (loc. cit., p. 52 et 53). — Charles-Pierre-Gaston Deschamps (1861-1931) prit la succession d’Anatole France comme critique littéraire du Temps, de 1893 à 1911. Eugène Montfort l’avait qualifié de « vrai poète » (Les Marges, avril 1907), allant jusqu’à dire que « son nom s’inscrira[it] à côté des plus hauts du siècle, près de Vigny, de Lamartine et de Victor Hugo ». Plus tard cependant, dans la même revue, on lit sur Deschamps : « Sa niaiserie singulière lui avait valu [...] une sorte de célébrité. » (Les Marges, VIII, p. 122, octobre 1911). — Voir aussi le post-scriptum de la lettre à Reynaldo Hahn du [lundi soir 18 juillet 1910] (CP 02126 ; Kolb, X, n° 69 et sa note 12) où Proust parle dʼ« imbécillité » au sujet dʼun article de Deschamps quʼil vient de lire. [PK, FL]
Note n°6génétique
Proust semble en train de mettre au net (ou avoir récemment mis au net) lʼépisode de « Noms de pays » où, Bergotte ayant dit quʼil trouvait le héros « extrêmement intelligent », les parents de celui-ci, qui étaient précédemment hostiles à Bergotte, se mettent à le considérer avec bienveillance. Cʼest précisément au milieu de cette scène que la dactylographie effectuée en mars 1912 sʼétait arrêtée, au beau milieu dʼune phrase : « Je sentis que je nʼavais plus pour compléter leur mauvaise humeur quʼà leur dire que cet homme pervers [il sʼagit de Bergotte] et qui nʼappréciait pas Monsieur de Norpois // » (NAF 16735, f. 144r), cette page correspondant exactement à la dernière page du Cahier 24 (Cahier 24, f. 65r). Pendant les premiers jours dʼavril, Proust a dû relire les pages dactylographiées que Nahmias lui avait transmises fin mars, et il doit être en train de préparer la suite : cʼest en effet avec la fin de cette phrase (« mʼavait trouvé extrêmement intelligent » : NAF 16703, f. 208v ) et la suite de cette scène du retournement dʼopinion des parents vis-à-vis de Bergotte (qui se trouve dans le Cahier 23, f. 8r), que commence lʼensemble de pages et cahiers manuscrits pour la fin de « Noms de pays » quʼil enverra en mai à Nahmias pour être dactylographié par Miss Hayward (voir CP 02304  ; Kolb, XI, n° 40). — En juin 1913, Proust prenant la décision dʼécourter dʼenviron 200 pages le premier tome en cours de composition, cette scène (ainsi que nombre dʼépisodes adjacents « autour de Mme Swann ») se trouvera reportée dans le tome suivant : voir JF, I, 563-564. [PK, FL]
Note n°7
Les allusions du post-scriptum faisant référence à deux articles parus le mardi 9 avril 1912 (voir les notes 8 et 9 ci-après), il est possible que ce post-scriptum ait été ajouté au corps de la lettre quelques jours plus tard ; Proust aurait pu attendre la fin des jours fériés de Pâques avant de faire poster sa lettre. [FL]
Note n°8
Allusion, semble-t-il, à l’article d’Abel Bonnard que publie Le Figaro du 9 avril 1912, en première page, sous le titre : « Les Forgerons ». Nous en détachons ces phrases typiques : « [...] il y a un signe certain : cʼest, dans tous les esprits, un souci plus pressant du réel, une subordination plus modeste à ce quʼil nous montre. [...] Tout change en nous et l’idée même que nous nous faisons de l’homme. Un rationalisme étriqué avait tout désolé. Quelques savants d’âme despotique, armés de leurs constatations, avaient banni la religion et avec elle tout ce qui l’entoure. Si ignorants que nous soyons, nous savons que la science n’a plus cette assurance excessive. Elle devient moins impérieuse et plus attentive. [...] Nous nous représentons lʼhomme dʼune façon moins succincte, à la fois plus vraie et plus poétique, si la poésie nʼest pas autre chose que lʼâme même de la vie, et nous nous sentons riches du fond mystérieux qui nous est rendu. [...] Regardant l’espace laissé vide par la religion et les idées morales, considérant tout ce qu’elles ont emporté de splendeur spirituelle avec elles, nous nous demandons si elles ne vont pas revenir [...]. » [PK, FL]
Note n°9
Allusion sans doute à l’entrefilet anonyme paru dans le Journal des Débats du 9 avril 1912, en première page, sous le titre « La semaine sainte et les églises » : « Les cérémonies du jour de Pâques, commes les solennités de la semaine sainte, ont attiré dans les églises de Paris une foule [...].Il semble ainsi qu’il y ait eu, depuis quelque temps, une diffusion et un élan du sentiment religieux, qui se manifeste dans toute sa force aux jours où les fêtes consacrées rassemblent les fidèles. Cette évolution est d’autant plus frappante que le matérialisme a trouvé partout, jusqu’à la tribune de la Chambre, des appuis considérables et que, dans la presse qui se vante d’être le plus accessible aux masses populaires, il n’a cessé d’être exalté [...]. » [PK, FL]
Note
Robert Dreyfus Petite histoire de la Revue de fin dʼannée pubPlace publisher 1909
Note
André Beaunier La Revue hebdomadaire La Mode sous le deuxième Empire 16 mars 1912 biblScope @unit='page'
Note
Robert Dreyfus Petite histoire de la Revue de fin dʼannée pubPlace publisher 1909
Note
Gaston Deschamps La Revue hebdomadaire Le Boulevard 6 avril 1912 biblScope @unit='page'


Mots-clefs :documentationépistolaritégenèsephilosophiepressereligion
Date de mise en ligne : May 3, 2024 18:03
Date de la dernière mise à jour : August 13, 2024 17:09
expand_less