language

CP 01993 Marcel Proust à Georges de Lauris [peu après le 3 juillet 1909]

Surlignage

Mon cher Georges

La mauvaise chance a voulu qu’on
venait de me redemander des pastiches quand
vous m’avez envoyé votre roman. C’était
pour Samedi je n’avais pas de temps à perdre.
Des travaux commencés à côté m’ont
rendu si malade qu’il m’a été
impossible de faire mes pastiches et
maintenant ils sont prêts mais ne pour-
ront plus paraître avant 15 jours.
Mais la même souffrance causée par les
travaux m’empêchait aussi de vous lire.
Enfin je vous ai lu ce soir seulement et


et trop vite sachant que vous étiez
pressé d’avoir votre manuscrit. Cela
m’a paru très supérieur à ce que j’
avais lu la 1re fois. Même ce que j’
ai lu éclairé par le reste a pris son
rang. C’est de tout premier ordre,
nuancé comme psychologie avec une
délicatesse et une sûreté comme on
ne fait plus depuis le XVIIIe siècle et
le commencement du XIXe. C’est ab-
surde de faire un sort à ce nom de
Benjamin Constant, car vous n’avez
certainement choisi son œuvre comme
thème que par hasard et pas pour une
raison profonde, mais il y a des
hasards qui symbolisent commodément et bien qu’il
soit plus bref et moins délié il me semble que c’est un
peu le roman d’un Benjamin Constant qui aurait appris
à regarder la nature et dont l’âme se serait enrichie
de tous les acquêts, de toutes les complications qui sont venues
depuis et qui ont trouvé dans votre livre une expression d’une
pureté classique, d’une grâce ancienne, d’une certitude infailli-
ble jusque dans la subtilité la plus prolongée. Vous maniez le fil d’
Ariane jusque dans les profondeurs du Labyrinthe comme si vous étiez
au grand jour et teniez en mains des choses moins fragiles. Il y
a des choses qui m’ont paru merveilleuses. Par exemple cette
remarque que les désirs qui nous asserviront plus tard commencent
par nous délivrer. C’est admirable. Ces silences où un
rayon de soleil reste prisonnier m’ont paru bien jolis aussi
L’intelligence de certaines femmes limitées à leur beauté
et le plaisir qui en naît pour leur amant est tt à ft
remarquable. Mille choses sur les jambes sont ravissantes, notam-
ment les jambes du XVIIe siècle. Du reste ce sera
la perle de votre livre les conversations. Voilà enfin des personnages
qui parlent bien et disent de ravissantes choses. La dame qui
a servi de modèle doit y être pour
quelque chose. Et vous qui êtes un si
joli causeur. Je ne m’arrête pas à
vous dire ce qui est bien, c’est presque
tout. Voici quelques fautes (ou supposées
telles)
Quand on parle pour la 1re fois de Georges
de Lauris à la dame, l’autre dame
dit « faire l’article ». C’est un
peu commun.
Je ne suis pas fou dans la même conversation
de : Est-il joli garçon, mais cela peut
aller.
Toujours dans la même partie les traits
décochés sur des gens du monde parisien
ne va pas. Gens du monde suffira.
L’éclatante apparition de la vérité sur elle
n’est pas très bien dit
La curiosité des fossettes est peu clair
et peu français.
C’était en harmonie avec etc Le Ce
n’est pas très français.
Elle ne creusa pas cette impression,
pas fameux.
Cou La dame qui coule sur elle
même vers sa gorge des regards
ce n’est pas français. Il faut suppri-
mer sur elle-même.
Georges je vous quitte je suis épuisé
de fatigue. Quelle joie pour votre
frère
, quelle belle offrande sur la
tombe de votre mère, xxxxxxx

Votre Marcel

Surlignage

Mon cher Georges

La mauvaise chance a voulu qu’on venait de me redemander des pastiches quand vous m’avez envoyé votre roman. C’était pour samedi je n’avais pas de temps à perdre. Des travaux commencés à côté m’ont rendu si malade qu’il m’a été impossible de faire mes pastiches et maintenant ils sont prêts mais ne pourront plus paraître avant quinze jours. Mais la même souffrance causée par les travaux m’empêchait aussi de vous lire. Enfin je vous ai lu ce soir seulement et trop vite sachant que vous étiez pressé d’avoir votre manuscrit. Cela m’a paru très supérieur à ce que j’ avais lu la première fois. Même ce que j’ ai lu éclairé par le reste a pris son rang. C’est de tout premier ordre, nuancé comme psychologie avec une délicatesse et une sûreté comme on ne fait plus depuis le XVIIIe siècle et le commencement du XIXe. C’est absurde de faire un sort à ce nom de Benjamin Constant, car vous n’avez certainement choisi son œuvre comme thème que par hasard et pas pour une raison profonde, mais il y a des hasards qui symbolisent commodément et bien qu’il soit plus bref et moins délié il me semble que c’est un peu le roman d’un Benjamin Constant qui aurait appris à regarder la nature et dont l’âme se serait enrichie de tous les acquêts, de toutes les complications qui sont venues depuis et qui ont trouvé dans votre livre une expression d’une pureté classique, d’une grâce ancienne, d’une certitude infaillible jusque dans la subtilité la plus prolongée. Vous maniez le fil d’ Ariane jusque dans les profondeurs du Labyrinthe comme si vous étiez au grand jour et teniez en mains des choses moins fragiles. Il y a des choses qui m’ont paru merveilleuses. Par exemple cette remarque que les désirs qui nous asserviront plus tard commencent par nous délivrer. C’est admirable. Ces silences où un rayon de soleil reste prisonnier m’ont paru bien jolis aussi L’intelligence de certaines femmes limitées à leur beauté et le plaisir qui en naît pour leur amant est tout à fait remarquable. Mille choses sur les jambes sont ravissantes, notamment les jambes du XVIIe siècle. Du reste ce sera la perle de votre livre les conversations. Voilà enfin des personnages qui parlent bien et disent de ravissantes choses. La dame qui a servi de modèle doit y être pour quelque chose. Et vous qui êtes un si joli causeur. Je ne m’arrête pas à vous dire ce qui est bien, c’est presque tout. Voici quelques fautes (ou supposées telles). Quand on parle pour la première fois de Georges de Lauris à la dame, l’autre dame dit « faire l’article ». C’est un peu commun. Je ne suis pas fou dans la même conversation de : Est-il joli garçon, mais cela peut aller. Toujours dans la même partie les traits décochés sur des gens du monde parisien ne va pas. Gens du monde suffira. L’éclatante apparition de la vérité sur elle n’est pas très bien dit. La curiosité des fossettes est peu clair et peu français. C’était en harmonie avec etc.. Le Ce n’est pas très français. Elle ne creusa pas cette impression, pas fameux. La dame qui coule sur elle -même vers sa gorge des regards ce n’est pas français. Il faut supprimer sur elle-même. Georges je vous quitte je suis épuisé de fatigue. Quelle joie pour votre frère, quelle belle offrande sur la tombe de votre mère, xxxxxxx

Votre Marcel

Note n°1
Proust vient de relire le manuscrit de Ginette Chatenay non encore publié (voir la note 3 ci-après). L’allusion aux pastiches demandés pour Le Figaro semble situer cette lettre peu après le 3 juillet 1909 : voir la note 2. [PK, FL]
Note n°2
On a dû demander à Proust de nouveaux pastiches pour Le Figaro à cause d’une reprise d’intérêt à l’égard de l’affaire Lemoine. L’escroc, arrêté au mois d’avril 1909, comparaît devant la dixième Chambre du Tribunal correctionnel du 16 juin au 5 juillet (voir la « Gazette des Tribunaux » dans Le Figaro, 16 juin 1909, p. 5). Il semble donc que le samedi pour lequel Proust avait promis ses pastiches était, au plus tard, le samedi 3 juillet. [PK, FL]
Note n°3
Voir la lettre de Proust à Lauris datée de [peu après le 2 juillet 1909] (CP 01992 ; Kolb, n° 67), où Proust lui demande sʼil peut lui envoyer Ginette Chatenay « un peu plus tard », disant qu’il a « peur d’être bien fatigué pour être un lecteur un peu utile ». Il sʼagit du brouillon du roman qui ne sera publié quʼen 1910. [PK, JA]
Note n°4génétique
Aucun des nouveaux pastiches ne devait paraître du vivant de Proust. Il sʼagit probablement du pastiche de Ruskin que Proust avait écrit dans le Cahier 2 (f. 10v, 11r-16v) et intitulé « La Bénédiction du sanglier. Étude des fresques de Giotto représentant lʼaffaire Lemoine à lʼusage des jeunes étudiants et étudiantes du Corpus Christi qui se soucient encore dʼelle par John Ruskin » (Essais, p. 608-611). Ce pastiche a été rédigé entre la fin dʼavril et le mois de juin 1909 (Essais, p. 1590). Proust comptait peut-être publier également le pastiche de Maeterlinck quʼil avait rédigé dans le Cahier 3, f. 43v-50v dans les premiers mois de 1909 (Essais, p. 601-604) et le pastiche de Chateaubriand rédigé à la fin de lʼannée 1908 dans le Carnet 1, f. 59v-58 (Essais, p. 598-599). Proust évoque ces deux pastiches dans une lettre à Lauris redatée du [samedi soir 6 mars 1909] (CP 01953 ; Kolb, IX, n° 28), voir note 3. [PK, JA]
Note n°5
Allusion à la lecture du manuscrit de Ginette Chatenay que Proust avait faite au mois de juin de l’année précédente. Voir la lettre de Proust à Lauris du [mardi 23 juin 1908] (CP 01823 ; Kolb, VIII, n° 79). [PK]
Note n°6
Ginette aperçoit chez son amant Jacques de Mauregard un exemplaire d’Adolphe de Benjamin Constant, qu’elle demande à emporter. Le lendemain, elle fait le commentaire du roman de Benjamin Constant, en affirmant qu’elle n’imitera pas Ellénore (Ginette Chatenay, Bernard Grasset, 1910, chapitre IV, p. 253-255). Georges de Lauris avait consacré sa thèse (Benjamin Constant et les droits individuels, Paris, Arthur Rousseau, 1903) et un ouvrage à ce penseur (Benjamin Constant et les idées libérales, Paris, Plon-Nourrit, 1904). [PK, JA]
Note n°7
« Les désirs qui nous asserviront commencent par nous délivrer du cercle où tournaient nos pensées. » (Ginette Chatenay, p. 7). [PK]
Note n°8
« Souvent, à son retour chez elle, combien lui coûtait de rompre le silence où restaient enfermés, dans un secret profond, lumineux et fragile, des rayons de soleil et des paysages qui n’avaient pas fini de toucher son cœur. » (Ginette Chatenay, p. 3). [PK]
Note n°9
« Et sur le visage de Mme de Ternay, le sentiment de sa propre beauté mettait l’expression d’une intelligence étroitement limitée, prisonnière de cette beauté même et, par là, directement agréable aux sens avertis chez les hommes qu’ils ne seraient pas distraits d’une volupté profonde et fermée. » (Ginette Chatenay, p. 9-10). [PK]
Note n°10
Ginette fait des remarques sur les statues dans les jardins de Versailles.(Ginette Chatenay, p. 116-117). [PK]
Note n°11
Il s’agit apparemment de Léone Georges. Voir la lettre de Proust à Lauris datée de [vers la fin dʼavril 1908] (CP 01795 ; Kolb, VIII, n° 51, note 8). [PK]
Note n°12
La scène en question se trouve au commencement du roman, où Ginette fait la connaissance de Jacques de Mauregard, chez Mme de Landry. Lauris supprimera l’expression désapprouvée par Proust, ainsi que la suivante. [PK]
Note n°13
La phrase est modifiée dans le livre selon l’avis de Proust : « Elle apprécia qu’il eût plaisir à évoquer pour elle des villes lointaines et sourit à des traits que de si loin il décocha sur des gens du monde. » (Ginette Chatenay, p. 7). [PK]
Note n°14
L’expression citée semble avoir été supprimée. [PK]
Note n°15
Il s’agit de Mme Duclair ; la phrase est modifiée ainsi dans l’édition  : « elle paraissait confiante, pour prolonger le succès déjà ancien, en la facilité de l’esprit, en la blancheur de sa peau de blonde qui ne pouvait manquer d’éveiller autour d’elle de la curiosité pour les fossettes. » (Ginette Chatenay, p. 10). [PK]
Note n°16
Lauris semble avoir supprimé la phrase citée. [PK]
Note n°17
La phrase semble avoir été supprimée. [PK]
Note n°18
L’auteur a suivi le conseil de Proust. Il s’agit de Mme de Landry : « Lorsqu’elle se sentait admirée de près, elle devenait rose de plaisir et coulait, entre ses cils abaissés, un regard vers sa gorge qui se soulevait. » (Ginette Chatenay, p. 63). [PK]
Note n°19
Lauris nʼayant pas de frère, il sʼagit probablement dʼun lapsus de Proust pour « père ». [CS, JA]
Note
Georges de Lauris Ginette Chatenay 1910 publisher


Mots-clefs :élogelanguelecturespastichesanté
Date de mise en ligne : September 12, 2024 16:04
Date de la dernière mise à jour : September 12, 2024 16:04
Surlignage

Mon cher Georges

La mauvaise chance a voulu qu’on
venait de me redemander des pastiches quand
vous m’avez envoyé votre roman. C’était
pour Samedi je n’avais pas de temps à perdre.
Des travaux commencés à côté m’ont
rendu si malade qu’il m’a été
impossible de faire mes pastiches et
maintenant ils sont prêts mais ne pour-
ront plus paraître avant 15 jours.
Mais la même souffrance causée par les
travaux m’empêchait aussi de vous lire.
Enfin je vous ai lu ce soir seulement et


et trop vite sachant que vous étiez
pressé d’avoir votre manuscrit. Cela
m’a paru très supérieur à ce que j’
avais lu la 1re fois. Même ce que j’
ai lu éclairé par le reste a pris son
rang. C’est de tout premier ordre,
nuancé comme psychologie avec une
délicatesse et une sûreté comme on
ne fait plus depuis le XVIIIe siècle et
le commencement du XIXe. C’est ab-
surde de faire un sort à ce nom de
Benjamin Constant, car vous n’avez
certainement choisi son œuvre comme
thème que par hasard et pas pour une
raison profonde, mais il y a des
hasards qui symbolisent commodément et bien qu’il
soit plus bref et moins délié il me semble que c’est un
peu le roman d’un Benjamin Constant qui aurait appris
à regarder la nature et dont l’âme se serait enrichie
de tous les acquêts, de toutes les complications qui sont venues
depuis et qui ont trouvé dans votre livre une expression d’une
pureté classique, d’une grâce ancienne, d’une certitude infailli-
ble jusque dans la subtilité la plus prolongée. Vous maniez le fil d’
Ariane jusque dans les profondeurs du Labyrinthe comme si vous étiez
au grand jour et teniez en mains des choses moins fragiles. Il y
a des choses qui m’ont paru merveilleuses. Par exemple cette
remarque que les désirs qui nous asserviront plus tard commencent
par nous délivrer. C’est admirable. Ces silences où un
rayon de soleil reste prisonnier m’ont paru bien jolis aussi
L’intelligence de certaines femmes limitées à leur beauté
et le plaisir qui en naît pour leur amant est tt à ft
remarquable. Mille choses sur les jambes sont ravissantes, notam-
ment les jambes du XVIIe siècle. Du reste ce sera
la perle de votre livre les conversations. Voilà enfin des personnages
qui parlent bien et disent de ravissantes choses. La dame qui
a servi de modèle doit y être pour
quelque chose. Et vous qui êtes un si
joli causeur. Je ne m’arrête pas à
vous dire ce qui est bien, c’est presque
tout. Voici quelques fautes (ou supposées
telles)
Quand on parle pour la 1re fois de Georges
de Lauris à la dame, l’autre dame
dit « faire l’article ». C’est un
peu commun.
Je ne suis pas fou dans la même conversation
de : Est-il joli garçon, mais cela peut
aller.
Toujours dans la même partie les traits
décochés sur des gens du monde parisien
ne va pas. Gens du monde suffira.
L’éclatante apparition de la vérité sur elle
n’est pas très bien dit
La curiosité des fossettes est peu clair
et peu français.
C’était en harmonie avec etc Le Ce
n’est pas très français.
Elle ne creusa pas cette impression,
pas fameux.
Cou La dame qui coule sur elle
même vers sa gorge des regards
ce n’est pas français. Il faut suppri-
mer sur elle-même.
Georges je vous quitte je suis épuisé
de fatigue. Quelle joie pour votre
frère
, quelle belle offrande sur la
tombe de votre mère, xxxxxxx

Votre Marcel

Surlignage

Mon cher Georges

La mauvaise chance a voulu qu’on venait de me redemander des pastiches quand vous m’avez envoyé votre roman. C’était pour samedi je n’avais pas de temps à perdre. Des travaux commencés à côté m’ont rendu si malade qu’il m’a été impossible de faire mes pastiches et maintenant ils sont prêts mais ne pourront plus paraître avant quinze jours. Mais la même souffrance causée par les travaux m’empêchait aussi de vous lire. Enfin je vous ai lu ce soir seulement et trop vite sachant que vous étiez pressé d’avoir votre manuscrit. Cela m’a paru très supérieur à ce que j’ avais lu la première fois. Même ce que j’ ai lu éclairé par le reste a pris son rang. C’est de tout premier ordre, nuancé comme psychologie avec une délicatesse et une sûreté comme on ne fait plus depuis le XVIIIe siècle et le commencement du XIXe. C’est absurde de faire un sort à ce nom de Benjamin Constant, car vous n’avez certainement choisi son œuvre comme thème que par hasard et pas pour une raison profonde, mais il y a des hasards qui symbolisent commodément et bien qu’il soit plus bref et moins délié il me semble que c’est un peu le roman d’un Benjamin Constant qui aurait appris à regarder la nature et dont l’âme se serait enrichie de tous les acquêts, de toutes les complications qui sont venues depuis et qui ont trouvé dans votre livre une expression d’une pureté classique, d’une grâce ancienne, d’une certitude infaillible jusque dans la subtilité la plus prolongée. Vous maniez le fil d’ Ariane jusque dans les profondeurs du Labyrinthe comme si vous étiez au grand jour et teniez en mains des choses moins fragiles. Il y a des choses qui m’ont paru merveilleuses. Par exemple cette remarque que les désirs qui nous asserviront plus tard commencent par nous délivrer. C’est admirable. Ces silences où un rayon de soleil reste prisonnier m’ont paru bien jolis aussi L’intelligence de certaines femmes limitées à leur beauté et le plaisir qui en naît pour leur amant est tout à fait remarquable. Mille choses sur les jambes sont ravissantes, notamment les jambes du XVIIe siècle. Du reste ce sera la perle de votre livre les conversations. Voilà enfin des personnages qui parlent bien et disent de ravissantes choses. La dame qui a servi de modèle doit y être pour quelque chose. Et vous qui êtes un si joli causeur. Je ne m’arrête pas à vous dire ce qui est bien, c’est presque tout. Voici quelques fautes (ou supposées telles). Quand on parle pour la première fois de Georges de Lauris à la dame, l’autre dame dit « faire l’article ». C’est un peu commun. Je ne suis pas fou dans la même conversation de : Est-il joli garçon, mais cela peut aller. Toujours dans la même partie les traits décochés sur des gens du monde parisien ne va pas. Gens du monde suffira. L’éclatante apparition de la vérité sur elle n’est pas très bien dit. La curiosité des fossettes est peu clair et peu français. C’était en harmonie avec etc.. Le Ce n’est pas très français. Elle ne creusa pas cette impression, pas fameux. La dame qui coule sur elle -même vers sa gorge des regards ce n’est pas français. Il faut supprimer sur elle-même. Georges je vous quitte je suis épuisé de fatigue. Quelle joie pour votre frère, quelle belle offrande sur la tombe de votre mère, xxxxxxx

Votre Marcel

Note n°1
Proust vient de relire le manuscrit de Ginette Chatenay non encore publié (voir la note 3 ci-après). L’allusion aux pastiches demandés pour Le Figaro semble situer cette lettre peu après le 3 juillet 1909 : voir la note 2. [PK, FL]
Note n°2
On a dû demander à Proust de nouveaux pastiches pour Le Figaro à cause d’une reprise d’intérêt à l’égard de l’affaire Lemoine. L’escroc, arrêté au mois d’avril 1909, comparaît devant la dixième Chambre du Tribunal correctionnel du 16 juin au 5 juillet (voir la « Gazette des Tribunaux » dans Le Figaro, 16 juin 1909, p. 5). Il semble donc que le samedi pour lequel Proust avait promis ses pastiches était, au plus tard, le samedi 3 juillet. [PK, FL]
Note n°3
Voir la lettre de Proust à Lauris datée de [peu après le 2 juillet 1909] (CP 01992 ; Kolb, n° 67), où Proust lui demande sʼil peut lui envoyer Ginette Chatenay « un peu plus tard », disant qu’il a « peur d’être bien fatigué pour être un lecteur un peu utile ». Il sʼagit du brouillon du roman qui ne sera publié quʼen 1910. [PK, JA]
Note n°4génétique
Aucun des nouveaux pastiches ne devait paraître du vivant de Proust. Il sʼagit probablement du pastiche de Ruskin que Proust avait écrit dans le Cahier 2 (f. 10v, 11r-16v) et intitulé « La Bénédiction du sanglier. Étude des fresques de Giotto représentant lʼaffaire Lemoine à lʼusage des jeunes étudiants et étudiantes du Corpus Christi qui se soucient encore dʼelle par John Ruskin » (Essais, p. 608-611). Ce pastiche a été rédigé entre la fin dʼavril et le mois de juin 1909 (Essais, p. 1590). Proust comptait peut-être publier également le pastiche de Maeterlinck quʼil avait rédigé dans le Cahier 3, f. 43v-50v dans les premiers mois de 1909 (Essais, p. 601-604) et le pastiche de Chateaubriand rédigé à la fin de lʼannée 1908 dans le Carnet 1, f. 59v-58 (Essais, p. 598-599). Proust évoque ces deux pastiches dans une lettre à Lauris redatée du [samedi soir 6 mars 1909] (CP 01953 ; Kolb, IX, n° 28), voir note 3. [PK, JA]
Note n°5
Allusion à la lecture du manuscrit de Ginette Chatenay que Proust avait faite au mois de juin de l’année précédente. Voir la lettre de Proust à Lauris du [mardi 23 juin 1908] (CP 01823 ; Kolb, VIII, n° 79). [PK]
Note n°6
Ginette aperçoit chez son amant Jacques de Mauregard un exemplaire d’Adolphe de Benjamin Constant, qu’elle demande à emporter. Le lendemain, elle fait le commentaire du roman de Benjamin Constant, en affirmant qu’elle n’imitera pas Ellénore (Ginette Chatenay, Bernard Grasset, 1910, chapitre IV, p. 253-255). Georges de Lauris avait consacré sa thèse (Benjamin Constant et les droits individuels, Paris, Arthur Rousseau, 1903) et un ouvrage à ce penseur (Benjamin Constant et les idées libérales, Paris, Plon-Nourrit, 1904). [PK, JA]
Note n°7
« Les désirs qui nous asserviront commencent par nous délivrer du cercle où tournaient nos pensées. » (Ginette Chatenay, p. 7). [PK]
Note n°8
« Souvent, à son retour chez elle, combien lui coûtait de rompre le silence où restaient enfermés, dans un secret profond, lumineux et fragile, des rayons de soleil et des paysages qui n’avaient pas fini de toucher son cœur. » (Ginette Chatenay, p. 3). [PK]
Note n°9
« Et sur le visage de Mme de Ternay, le sentiment de sa propre beauté mettait l’expression d’une intelligence étroitement limitée, prisonnière de cette beauté même et, par là, directement agréable aux sens avertis chez les hommes qu’ils ne seraient pas distraits d’une volupté profonde et fermée. » (Ginette Chatenay, p. 9-10). [PK]
Note n°10
Ginette fait des remarques sur les statues dans les jardins de Versailles.(Ginette Chatenay, p. 116-117). [PK]
Note n°11
Il s’agit apparemment de Léone Georges. Voir la lettre de Proust à Lauris datée de [vers la fin dʼavril 1908] (CP 01795 ; Kolb, VIII, n° 51, note 8). [PK]
Note n°12
La scène en question se trouve au commencement du roman, où Ginette fait la connaissance de Jacques de Mauregard, chez Mme de Landry. Lauris supprimera l’expression désapprouvée par Proust, ainsi que la suivante. [PK]
Note n°13
La phrase est modifiée dans le livre selon l’avis de Proust : « Elle apprécia qu’il eût plaisir à évoquer pour elle des villes lointaines et sourit à des traits que de si loin il décocha sur des gens du monde. » (Ginette Chatenay, p. 7). [PK]
Note n°14
L’expression citée semble avoir été supprimée. [PK]
Note n°15
Il s’agit de Mme Duclair ; la phrase est modifiée ainsi dans l’édition  : « elle paraissait confiante, pour prolonger le succès déjà ancien, en la facilité de l’esprit, en la blancheur de sa peau de blonde qui ne pouvait manquer d’éveiller autour d’elle de la curiosité pour les fossettes. » (Ginette Chatenay, p. 10). [PK]
Note n°16
Lauris semble avoir supprimé la phrase citée. [PK]
Note n°17
La phrase semble avoir été supprimée. [PK]
Note n°18
L’auteur a suivi le conseil de Proust. Il s’agit de Mme de Landry : « Lorsqu’elle se sentait admirée de près, elle devenait rose de plaisir et coulait, entre ses cils abaissés, un regard vers sa gorge qui se soulevait. » (Ginette Chatenay, p. 63). [PK]
Note n°19
Lauris nʼayant pas de frère, il sʼagit probablement dʼun lapsus de Proust pour « père ». [CS, JA]
Note
Georges de Lauris Ginette Chatenay 1910 publisher


Mots-clefs :élogelanguelecturespastichesanté
Date de mise en ligne : September 12, 2024 16:04
Date de la dernière mise à jour : September 12, 2024 16:04
expand_less