CP 01953 Marcel Proust à Georges de Lauris [le samedi soir 6 mars 1909]






Cette lettre mon cher Georges est déjà écrite depuis 2
jours. Dans l’intervalle, j’ai reçu un mot tr. gentil
de Régnier. Il n’a pas l’air mécontent, du moins ne le
laisse
pas voir10. Il
déclare se trouver ressemblant.
1
Mon petit Georges
Je vous remercie en deux lignes
de votre lettre. J’ignore le
sentiment de
Régnier et votre
doute m’inquiète2. Il n’y a pour-
tant rien qui puisse le
mécontenter.
Il doit bien savoir qu’il enchevêtre
les pronoms puisque
certainement cette
syntaxe néo St-simonienne est
voulue chez lui. Et qt à ce qu’il
répète plusieurs fois la même chose il doit
bien le
savoir aussi. Je ne peux publier
2
ni Chateaubriand ni Maeterlinck3parce qu’il faudrait un léger coup de
pouce et je suis hors d’état de faire
le plus léger effort. Ce qui a le
plus de chance de paraitre un jour est
Ste Beuve (pas le second pastiche4, mais l’étude5) parceque cette malle
pleine au milieu de mon esprit
me gêne et qu’il faut se décider
ou à partir, ou à la défaire. Mais
j’ai déjà beaucoup oublié. Et
quoique je ne devrais pas lire du
tout, je lis beaucoup et dans un
tout autre ordre. Néanmoins si
3
je suis encore vivant cet automne il y a des chancespour que Ste Beuve ait paru. Et je crois que cela
vous plaira.
Tendrement à vous
Marcel
Rappelez moi6 au souvenir de Lucien Henraux7 à qui
je pense souvent avec amitié et que
j’ai été
triste de ne pas pouvoir recevoir un seul des soirs
où il est
venu.
On m’a coupé par « convenance » quelques lignes sur une
T.S.V.P
petite fille dont le derrière avait été mal torché. Il
restait (je vous résume) une petite tache de m. Et je sais
qu’il y avait ceci que je trouve extrêmement Régnier
« Elle l’agrémentait d’une mouche qui était faite
à vrai dire de ce qui a coutume d’attirer l’
essaim des autres » 8. Mais le Figaro a rougi
et imploré la coupure. Du reste il me semble qu’il
reste encore pas mal de Régnier. . — Vous ai-je jamais
parlé de la lettre très intelligente que j’ai reçue de Barrès sur
mes pastiches, et vraiment jolie, il me priait de les continuer, disant
que j’avais trouvé là la formule de
la critique fondée sur ce que, selon l’avis
de Buffon il n’y a pas lieu de distinguer
le fond de la forme9. Mais Nicolas
m’a perdu cela. Mais je ne suis pas de
son avis et ne veux plus en faire. J’
aimerais pourtant un jour mettre au
point le Maeterlinck, car il y a
deux ou trois petites choses qui je crois
vous feraient rire! Mais tout cela
« n’est pas sorcier ».
Je crois au contraire à ce que vous me
dites que nous ne saurons nullement nous
marquer quand nous nous verrons notre
joie de nous voir. Mais cela n’a
aucune importance. Les gestes
importent
encore moins que ce qu’on dit,
ce qu’on dit que ce qu’on s’
écrit. La réalité est
ailleurs.
1
Mon petit Georges
Je vous remercie en deux lignes de votre lettre. J’ignore le sentiment de Régnier et votre doute m’inquiète2. Il n’y a pourtant rien qui puisse le mécontenter. Il doit bien savoir qu’il enchevêtre les pronoms puisque certainement cette syntaxe néo-saint-simonienne est voulue chez lui. Et quant à ce qu’il répète plusieurs fois la même chose il doit bien le savoir aussi. Je ne peux publier ni Chateaubriand ni Maeterlinck3 parce qu’il faudrait un léger coup de pouce et je suis hors d’état de faire le plus léger effort. Ce qui a le plus de chance de paraître un jour est Sainte- Beuve (pas le second pastiche4, mais l’étude5) parce que cette malle pleine au milieu de mon esprit me gêne et qu’il faut se décider ou à partir, ou à la défaire. Mais j’ai déjà beaucoup oublié. Et quoique je ne devrais pas lire du tout, je lis beaucoup et dans un tout autre ordre. Néanmoins si je suis encore vivant cet automne il y a des chances pour que Sainte- Beuve ait paru. Et je crois que cela vous plaira.
Tendrement à vous
Marcel
Rappelez-moi6 au souvenir de Lucien Henraux7 à qui je pense souvent avec amitié et que j’ai été triste de ne pas pouvoir recevoir un seul des soirs où il est venu. On m’a coupé par « convenance » quelques lignes sur une petite fille dont le derrière avait été mal torché. Il restait (je vous résume) une petite tache de m. Et je sais qu’il y avait ceci que je trouve extrêmement Régnier « Elle l’agrémentait d’une mouche qui était faite à vrai dire de ce qui a coutume d’attirer l’ essaim des autres » 8. Mais le Figaro a rougi et imploré la coupure. Du reste il me semble qu’il reste encore pas mal de Régnier.
Vous ai-je jamais parlé de la lettre très intelligente que j’ai reçue de Barrès sur mes pastiches, et vraiment jolie, il me priait de les continuer, disant que j’avais trouvé là la formule de la critique fondée sur ce que, selon l’avis de Buffon il n’y a pas lieu de distinguer le fond de la forme9. Mais Nicolas m’a perdu cela. Mais je ne suis pas de son avis et ne veux plus en faire. J’ aimerais pourtant un jour mettre au point le Maeterlinck, car il y a deux ou trois petites choses qui je crois vous feraient rire! Mais tout cela « n’est pas sorcier ». Je crois au contraire à ce que vous me dites que nous ne saurons nullement nous marquer quand nous nous verrons notre joie de nous voir. Mais cela n’a aucune importance. Les gestes importent encore moins que ce qu’on dit, ce qu’on dit que ce qu’on s’ écrit. La réalité est ailleurs.
Cette lettre mon cher Georges est déjà écrite depuis deux jours. Dans l’intervalle, j’ai reçu un mot très gentil de Régnier. Il n’a pas l’air mécontent, du moins ne le laisse pas voir10. Il déclare se trouver ressemblant.
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03






Cette lettre mon cher Georges est déjà écrite depuis 2
jours. Dans l’intervalle, j’ai reçu un mot tr. gentil
de Régnier. Il n’a pas l’air mécontent, du moins ne le
laisse
pas voir10. Il
déclare se trouver ressemblant.
1
Mon petit Georges
Je vous remercie en deux lignes
de votre lettre. J’ignore le
sentiment de
Régnier et votre
doute m’inquiète2. Il n’y a pour-
tant rien qui puisse le
mécontenter.
Il doit bien savoir qu’il enchevêtre
les pronoms puisque
certainement cette
syntaxe néo St-simonienne est
voulue chez lui. Et qt à ce qu’il
répète plusieurs fois la même chose il doit
bien le
savoir aussi. Je ne peux publier
2
ni Chateaubriand ni Maeterlinck3parce qu’il faudrait un léger coup de
pouce et je suis hors d’état de faire
le plus léger effort. Ce qui a le
plus de chance de paraitre un jour est
Ste Beuve (pas le second pastiche4, mais l’étude5) parceque cette malle
pleine au milieu de mon esprit
me gêne et qu’il faut se décider
ou à partir, ou à la défaire. Mais
j’ai déjà beaucoup oublié. Et
quoique je ne devrais pas lire du
tout, je lis beaucoup et dans un
tout autre ordre. Néanmoins si
3
je suis encore vivant cet automne il y a des chancespour que Ste Beuve ait paru. Et je crois que cela
vous plaira.
Tendrement à vous
Marcel
Rappelez moi6 au souvenir de Lucien Henraux7 à qui
je pense souvent avec amitié et que
j’ai été
triste de ne pas pouvoir recevoir un seul des soirs
où il est
venu.
On m’a coupé par « convenance » quelques lignes sur une
T.S.V.P
petite fille dont le derrière avait été mal torché. Il
restait (je vous résume) une petite tache de m. Et je sais
qu’il y avait ceci que je trouve extrêmement Régnier
« Elle l’agrémentait d’une mouche qui était faite
à vrai dire de ce qui a coutume d’attirer l’
essaim des autres » 8. Mais le Figaro a rougi
et imploré la coupure. Du reste il me semble qu’il
reste encore pas mal de Régnier. . — Vous ai-je jamais
parlé de la lettre très intelligente que j’ai reçue de Barrès sur
mes pastiches, et vraiment jolie, il me priait de les continuer, disant
que j’avais trouvé là la formule de
la critique fondée sur ce que, selon l’avis
de Buffon il n’y a pas lieu de distinguer
le fond de la forme9. Mais Nicolas
m’a perdu cela. Mais je ne suis pas de
son avis et ne veux plus en faire. J’
aimerais pourtant un jour mettre au
point le Maeterlinck, car il y a
deux ou trois petites choses qui je crois
vous feraient rire! Mais tout cela
« n’est pas sorcier ».
Je crois au contraire à ce que vous me
dites que nous ne saurons nullement nous
marquer quand nous nous verrons notre
joie de nous voir. Mais cela n’a
aucune importance. Les gestes
importent
encore moins que ce qu’on dit,
ce qu’on dit que ce qu’on s’
écrit. La réalité est
ailleurs.
1
Mon petit Georges
Je vous remercie en deux lignes de votre lettre. J’ignore le sentiment de Régnier et votre doute m’inquiète2. Il n’y a pourtant rien qui puisse le mécontenter. Il doit bien savoir qu’il enchevêtre les pronoms puisque certainement cette syntaxe néo-saint-simonienne est voulue chez lui. Et quant à ce qu’il répète plusieurs fois la même chose il doit bien le savoir aussi. Je ne peux publier ni Chateaubriand ni Maeterlinck3 parce qu’il faudrait un léger coup de pouce et je suis hors d’état de faire le plus léger effort. Ce qui a le plus de chance de paraître un jour est Sainte- Beuve (pas le second pastiche4, mais l’étude5) parce que cette malle pleine au milieu de mon esprit me gêne et qu’il faut se décider ou à partir, ou à la défaire. Mais j’ai déjà beaucoup oublié. Et quoique je ne devrais pas lire du tout, je lis beaucoup et dans un tout autre ordre. Néanmoins si je suis encore vivant cet automne il y a des chances pour que Sainte- Beuve ait paru. Et je crois que cela vous plaira.
Tendrement à vous
Marcel
Rappelez-moi6 au souvenir de Lucien Henraux7 à qui je pense souvent avec amitié et que j’ai été triste de ne pas pouvoir recevoir un seul des soirs où il est venu. On m’a coupé par « convenance » quelques lignes sur une petite fille dont le derrière avait été mal torché. Il restait (je vous résume) une petite tache de m. Et je sais qu’il y avait ceci que je trouve extrêmement Régnier « Elle l’agrémentait d’une mouche qui était faite à vrai dire de ce qui a coutume d’attirer l’ essaim des autres » 8. Mais le Figaro a rougi et imploré la coupure. Du reste il me semble qu’il reste encore pas mal de Régnier.
Vous ai-je jamais parlé de la lettre très intelligente que j’ai reçue de Barrès sur mes pastiches, et vraiment jolie, il me priait de les continuer, disant que j’avais trouvé là la formule de la critique fondée sur ce que, selon l’avis de Buffon il n’y a pas lieu de distinguer le fond de la forme9. Mais Nicolas m’a perdu cela. Mais je ne suis pas de son avis et ne veux plus en faire. J’ aimerais pourtant un jour mettre au point le Maeterlinck, car il y a deux ou trois petites choses qui je crois vous feraient rire! Mais tout cela « n’est pas sorcier ». Je crois au contraire à ce que vous me dites que nous ne saurons nullement nous marquer quand nous nous verrons notre joie de nous voir. Mais cela n’a aucune importance. Les gestes importent encore moins que ce qu’on dit, ce qu’on dit que ce qu’on s’ écrit. La réalité est ailleurs.
Cette lettre mon cher Georges est déjà écrite depuis deux jours. Dans l’intervalle, j’ai reçu un mot très gentil de Régnier. Il n’a pas l’air mécontent, du moins ne le laisse pas voir10. Il déclare se trouver ressemblant.
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03