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CP 01982 Marcel Proust à Robert de Montesquiou [le samedi 19 juin 1909]

Surlignage

Cher Monsieur

J’espérais tellement venir hier !
Dès onze heures du matin je m’
étais levé et baigné, comme Esther
pour paraître devant le « Souverain
roi »
. Et puis je n’ai jamais été
tellement malade. Quelle journée,
quelle nuit ! C’est parceque je croyais
venir que je ne vous ai pas écrit pour
vous remercier du délicieux théâtre
de pupazzi véritables. Quel style !
La dernière phrase est une merveille.


Et jʼ« entends » votre conversation
« Quêque vous dites de tout ça »
finissant par l’étonnant
marchand de mouron

Votre admirateur bien
fatigué

Marcel Proust


Reynaldo m’a envoyé la
merveilleuse correspondance
relative à Miss Teyte!

Surlignage

Cher Monsieur

J’espérais tellement venir hier ! Dès onze heures du matin je m’étais levé et baigné, comme Esther pour paraître devant le « Souverain roi » . Et puis je n’ai jamais été tellement malade. Quelle journée, quelle nuit ! C’est parce que je croyais venir que je ne vous ai pas écrit pour vous remercier du délicieux théâtre de pupazzi véritables. Quel style ! La dernière phrase est une merveille. Et jʼ« entends » votre conversation « Quêque vous dites de tout ça » finissant par l’étonnant marchand de mouron.

Votre admirateur bien fatigué

Marcel Proust

Reynaldo m’a envoyé la merveilleuse correspondance relative à Miss Teyte!

Note n°1
Proust écrit ce billet après avoir lu un article paru le 11 juin 1909 (note 4 ci-après). Comme il exprime son regret de ne pas avoir pu « venir hier », il doit faire allusion à la fête d’adieu donnée par le destinataire le vendredi après-midi 18 juin 1909. Voir à ce sujet la note 2. [PK]
Note n°2génétique
Allusion à une réception que le Comte avait donnée avant de quitter le pavillon des Muses, le vendredi après-midi 18 juin 1909. De nombreuses lettres reçues par Montesquiou à cette occasion figurent dans le Fonds Montesquiou de la BnF. Maggie Teyte, élève de Reynaldo Hahn, devait figurer au programme de cette matinée, ainsi que l’indique une invitation au Comte Henri Greffulhe (Archives de la Comtesse Corisande de Gramont). Voir le postscriptum de la lettre. Au sujet de cette réception, voir les comptes rendus parus dans la presse le 19 juin 1909 : Gil Blas, Le Gaulois (« L’adieu du poète », p. 1 et p. 2) ainsi que Le Figaro (« L’Adieu des Muses », p. 1). [PK, JA]
Note n°3génétique
Proust confond deux scènes de la tragédie d’Esther, de Racine : il fait allusion à la scène 7 de l’acte II, où Esther paraît devant Assuérus afin de le supplier d’épargner le peuple juif. Mais les paroles citées sont celles qu’elle adresse à Dieu dans la prière où elle demande son appui : « O mon souverain Roi ! » (Esther, Acte I, scène 4). Le personnage dʼEsther, fréquemment cité dans À la recherche du temps perdu, apparaît dès les cahiers de brouillon de 1909, en particulier le Cahier 2, f. 20v (transcription simplifiée), dans un dialogue qui met en scène Maman et le héros : « Je te dirai que jʼavais peur de mʼêtre trompé[e] et que mon loup me dise “Cʼest vous Esther qui sans être attendue” ou même “Sans mon ordre on porte ici ses pas / Quel mortel insolent vient chercher le trépas” » (Essais, p. 763-764). Dans le Cahier 6, dont lʼécriture est contemporaine de cette lettre, une tapisserie de la sacristie de lʼéglise de Combray représente le « Couronnement dʼEsther » (Cahier 6, f. 3r ; Essais, p. 904). [PK, JA]
Note n°4
Il s’agit du second article sur les nains du Jardin d’acclimatation. Voir, au sujet du premier article la lettre de Proust à Robert de Montesquiou datée de [peu après le 12 mai 1909] (CP 01975 ; Kolb, IX, n°50, note 3). L’article en question ici venait de paraître dans Gil Blas du 11 juin 1909 sous le titre : « Les grands Minimes » (p. 1). Cet article est repris dans Têtes d’expression (1912), chapitre XXI, p. 307-320. Voir les notes suivantes. [PK]
Note n°5
« Et ne voilà-t-il pas que, sur le tard de son existence de Myrmidon et de sa carrière de Spithamien, le Tout-Puissant, toujours ironique, semblait se gausser de ce faible bougre, en le noyant dans un tas de semblables, dont j’en suis encore à me demander s’ils lui apportaient l’affront de constater qu’il n’était plus une rareté, ou l’honneur de s’apercevoir qu’il n’était pas un monstre. » (Têtes d’expression, p. 320). [PK]
Note n°6
Allusion à la conversation du Comte avec un nain, employé du Jardin d’acclimatation, qu’il interroge au sujet de cette « invasion de pygmées » qui pouvait lui faire concurrence : « J’eus beau m’écrier avec jovialité  : “Qu’est ce que vous dites de tout ça ?” la glace ne fut pas rompue. On feignit de ne pas comprendre que tout ça signifiait l’envahissement par tant de rivaux, de l’empire d’un seul. » (Têtes d’expression, p. 318). [PK]
Note n°7
« Je m’enquis du succès possible de l’entreprise. J’obtins cette répartie, débitée en forme de refrain et à laquelle je maintiens l’orthographe verbale qui lui donne de la rondeur : I’s débrouilleront… I’f’ront c’qui pourront... Un tel verdict, partagé entre le cri du marchand de mouron et la sonorité bon enfant d’un vers de la Duchesse de Rohan, me laissa rêveur. » (Têtes d’expression, p. 319). [PK]
Note n°8
Voir, au sujet de la célèbre chanteuse, la lettre de Proust à Reynaldo Hahn du [6 août 1908] (CP 01853 ; Kolb, VIII, n°109, note 7) et la note 2 ci-dessus. Un mot adressé par Montesquiou à Reynaldo Hahn, portant la date du 14 juin 09 (Fonds Proust, University of Illinois) semble expliquer l’allusion : « Cher Monsieur et Ami, pourvu que vous me promettiez de ne jamais pardonner à cette Teyste de demoiselle, c’est tout ce qu’il me faut… Je me charge du reyste ! Bien votre affectionné RM. » [PK]


Mots-clefs :arts de la scènegenèselecturessanté
Date de mise en ligne : August 26, 2024 15:09
Date de la dernière mise à jour : August 26, 2024 15:09
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Cher Monsieur

J’espérais tellement venir hier !
Dès onze heures du matin je m’
étais levé et baigné, comme Esther
pour paraître devant le « Souverain
roi »
. Et puis je n’ai jamais été
tellement malade. Quelle journée,
quelle nuit ! C’est parceque je croyais
venir que je ne vous ai pas écrit pour
vous remercier du délicieux théâtre
de pupazzi véritables. Quel style !
La dernière phrase est une merveille.


Et jʼ« entends » votre conversation
« Quêque vous dites de tout ça »
finissant par l’étonnant
marchand de mouron

Votre admirateur bien
fatigué

Marcel Proust


Reynaldo m’a envoyé la
merveilleuse correspondance
relative à Miss Teyte!

Surlignage

Cher Monsieur

J’espérais tellement venir hier ! Dès onze heures du matin je m’étais levé et baigné, comme Esther pour paraître devant le « Souverain roi » . Et puis je n’ai jamais été tellement malade. Quelle journée, quelle nuit ! C’est parce que je croyais venir que je ne vous ai pas écrit pour vous remercier du délicieux théâtre de pupazzi véritables. Quel style ! La dernière phrase est une merveille. Et jʼ« entends » votre conversation « Quêque vous dites de tout ça » finissant par l’étonnant marchand de mouron.

Votre admirateur bien fatigué

Marcel Proust

Reynaldo m’a envoyé la merveilleuse correspondance relative à Miss Teyte!

Note n°1
Proust écrit ce billet après avoir lu un article paru le 11 juin 1909 (note 4 ci-après). Comme il exprime son regret de ne pas avoir pu « venir hier », il doit faire allusion à la fête d’adieu donnée par le destinataire le vendredi après-midi 18 juin 1909. Voir à ce sujet la note 2. [PK]
Note n°2génétique
Allusion à une réception que le Comte avait donnée avant de quitter le pavillon des Muses, le vendredi après-midi 18 juin 1909. De nombreuses lettres reçues par Montesquiou à cette occasion figurent dans le Fonds Montesquiou de la BnF. Maggie Teyte, élève de Reynaldo Hahn, devait figurer au programme de cette matinée, ainsi que l’indique une invitation au Comte Henri Greffulhe (Archives de la Comtesse Corisande de Gramont). Voir le postscriptum de la lettre. Au sujet de cette réception, voir les comptes rendus parus dans la presse le 19 juin 1909 : Gil Blas, Le Gaulois (« L’adieu du poète », p. 1 et p. 2) ainsi que Le Figaro (« L’Adieu des Muses », p. 1). [PK, JA]
Note n°3génétique
Proust confond deux scènes de la tragédie d’Esther, de Racine : il fait allusion à la scène 7 de l’acte II, où Esther paraît devant Assuérus afin de le supplier d’épargner le peuple juif. Mais les paroles citées sont celles qu’elle adresse à Dieu dans la prière où elle demande son appui : « O mon souverain Roi ! » (Esther, Acte I, scène 4). Le personnage dʼEsther, fréquemment cité dans À la recherche du temps perdu, apparaît dès les cahiers de brouillon de 1909, en particulier le Cahier 2, f. 20v (transcription simplifiée), dans un dialogue qui met en scène Maman et le héros : « Je te dirai que jʼavais peur de mʼêtre trompé[e] et que mon loup me dise “Cʼest vous Esther qui sans être attendue” ou même “Sans mon ordre on porte ici ses pas / Quel mortel insolent vient chercher le trépas” » (Essais, p. 763-764). Dans le Cahier 6, dont lʼécriture est contemporaine de cette lettre, une tapisserie de la sacristie de lʼéglise de Combray représente le « Couronnement dʼEsther » (Cahier 6, f. 3r ; Essais, p. 904). [PK, JA]
Note n°4
Il s’agit du second article sur les nains du Jardin d’acclimatation. Voir, au sujet du premier article la lettre de Proust à Robert de Montesquiou datée de [peu après le 12 mai 1909] (CP 01975 ; Kolb, IX, n°50, note 3). L’article en question ici venait de paraître dans Gil Blas du 11 juin 1909 sous le titre : « Les grands Minimes » (p. 1). Cet article est repris dans Têtes d’expression (1912), chapitre XXI, p. 307-320. Voir les notes suivantes. [PK]
Note n°5
« Et ne voilà-t-il pas que, sur le tard de son existence de Myrmidon et de sa carrière de Spithamien, le Tout-Puissant, toujours ironique, semblait se gausser de ce faible bougre, en le noyant dans un tas de semblables, dont j’en suis encore à me demander s’ils lui apportaient l’affront de constater qu’il n’était plus une rareté, ou l’honneur de s’apercevoir qu’il n’était pas un monstre. » (Têtes d’expression, p. 320). [PK]
Note n°6
Allusion à la conversation du Comte avec un nain, employé du Jardin d’acclimatation, qu’il interroge au sujet de cette « invasion de pygmées » qui pouvait lui faire concurrence : « J’eus beau m’écrier avec jovialité  : “Qu’est ce que vous dites de tout ça ?” la glace ne fut pas rompue. On feignit de ne pas comprendre que tout ça signifiait l’envahissement par tant de rivaux, de l’empire d’un seul. » (Têtes d’expression, p. 318). [PK]
Note n°7
« Je m’enquis du succès possible de l’entreprise. J’obtins cette répartie, débitée en forme de refrain et à laquelle je maintiens l’orthographe verbale qui lui donne de la rondeur : I’s débrouilleront… I’f’ront c’qui pourront... Un tel verdict, partagé entre le cri du marchand de mouron et la sonorité bon enfant d’un vers de la Duchesse de Rohan, me laissa rêveur. » (Têtes d’expression, p. 319). [PK]
Note n°8
Voir, au sujet de la célèbre chanteuse, la lettre de Proust à Reynaldo Hahn du [6 août 1908] (CP 01853 ; Kolb, VIII, n°109, note 7) et la note 2 ci-dessus. Un mot adressé par Montesquiou à Reynaldo Hahn, portant la date du 14 juin 09 (Fonds Proust, University of Illinois) semble expliquer l’allusion : « Cher Monsieur et Ami, pourvu que vous me promettiez de ne jamais pardonner à cette Teyste de demoiselle, c’est tout ce qu’il me faut… Je me charge du reyste ! Bien votre affectionné RM. » [PK]


Mots-clefs :arts de la scènegenèselecturessanté
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Date de la dernière mise à jour : August 26, 2024 15:09
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