CP 01776 Marcel Proust à Maurice de Fleury [mars ou avril 1908]




1
Cher Monsieur et ami
Vous êtes mille fois bon de m’
avoir écrit ce mot exquis et
si je
n’avais été plus particulie-
rement malade ces jours-ci, je
vous en aurais plus tôt remercié.
Je suis
vraiment confus (et j’aurais
été fort intimidé si je l’avais
su d’avance) de
voir que ces petits
pastiches ont été lus par un
2
savant et un écrivain commevous2. Votre double mérite devrait
vous rendre bien sévère : et vous
excusez le pastiche, ce genre
inférieur3 ! Manié pourtant par
des mains plus habiles que la
mienne, il me semble qu’il
pourrait peut’être devenir comme
une forme indirecte, plus discrète,
plus brève et plus élégante de
critique littéraire. Des esprits très
fins pourraient s’y adonner, et
des esprits très fins aussi — comme
3
le votre, mais attachés par la grandeur, lesérieux, le devoir, au rivage, pourraient
s’y plaire, suivre ses jeux. — Je m’étais
amusé quelquefois à faire des pastiches de littérature
médicale4 ! Si j’avais pu les retrouver — ou les
recommencer, (mais tout cela est trop loin) je
les aurais publiés si j’avais su que vous lisiez cela,
pour vous amuser. Je n’ai pas besoin de vous dire
que, jugé inimitable, vous n’y figuriez pas5. Mais
4
Mais6 dʼautres sont moins parfaits et joignent à desqualités bien intéressantes, de petits défauts dont l’
imitation et la caricature étaient possibles. Mais comment
aurais-je pu deviner que vous me lisiez, et avec tant
de bienveillance. Je vous en remercie de tout cœur
et surtout du témoignage si affectueux que vous avez
bien voulu, distrayant pour la bonté un de vos moments
si pris, m’adresser si gentiment.
Je vous en suis bien
reconnaissant et vous demande de croire à tous
mes
sentiments bien amicalement dévoués
Marcel Proust
1
Cher Monsieur et ami
Vous êtes mille fois bon de m’avoir écrit ce mot exquis et si je n’avais été plus particulièrement malade ces jours-ci, je vous en aurais plus tôt remercié. Je suis vraiment confus (et j’aurais été fort intimidé si je l’avais su d’avance) de voir que ces petits pastiches ont été lus par unsavant et un écrivain comme vous2. Votre double mérite devrait vous rendre bien sévère : et vous excusez le pastiche, ce genre inférieur3 ! Manié pourtant par des mains plus habiles que la mienne, il me semble qu’il pourrait peut-être devenir comme une forme indirecte, plus discrète, plus brève et plus élégante de critique littéraire. Des esprits très fins pourraient s’y adonner, et des esprits très fins aussi — commele vôtre, mais attachés par la grandeur, le sérieux, le devoir, au rivage, pourraient s’y plaire, suivre ses jeux. — Je m’étais amusé quelquefois à faire des pastiches de littérature médicale4 ! Si j’avais pu les retrouver — ou les recommencer (mais tout cela est trop loin), je les aurais publiés si j’avais su que vous lisiez cela, pour vous amuser. Je n’ai pas besoin de vous dire que, jugé inimitable, vous n’y figuriez pas5. Mais6 dʼautres sont moins parfaits et joignent à des qualités bien intéressantes, de petits défauts dont l’imitation et la caricature étaient possibles. Mais comment aurais-je pu deviner que vous me lisiez, et avec tant de bienveillance. Je vous en remercie de tout cœur et surtout du témoignage si affectueux que vous avez bien voulu, distrayant pour la bonté un de vos moments si pris, m’adresser si gentiment.
Je vous en suis bien reconnaissant et vous demande de croire à tous mes sentiments bien amicalement dévoués.
Marcel Proust
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03




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Cher Monsieur et ami
Vous êtes mille fois bon de m’
avoir écrit ce mot exquis et
si je
n’avais été plus particulie-
rement malade ces jours-ci, je
vous en aurais plus tôt remercié.
Je suis
vraiment confus (et j’aurais
été fort intimidé si je l’avais
su d’avance) de
voir que ces petits
pastiches ont été lus par un
2
savant et un écrivain commevous2. Votre double mérite devrait
vous rendre bien sévère : et vous
excusez le pastiche, ce genre
inférieur3 ! Manié pourtant par
des mains plus habiles que la
mienne, il me semble qu’il
pourrait peut’être devenir comme
une forme indirecte, plus discrète,
plus brève et plus élégante de
critique littéraire. Des esprits très
fins pourraient s’y adonner, et
des esprits très fins aussi — comme
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le votre, mais attachés par la grandeur, lesérieux, le devoir, au rivage, pourraient
s’y plaire, suivre ses jeux. — Je m’étais
amusé quelquefois à faire des pastiches de littérature
médicale4 ! Si j’avais pu les retrouver — ou les
recommencer, (mais tout cela est trop loin) je
les aurais publiés si j’avais su que vous lisiez cela,
pour vous amuser. Je n’ai pas besoin de vous dire
que, jugé inimitable, vous n’y figuriez pas5. Mais
4
Mais6 dʼautres sont moins parfaits et joignent à desqualités bien intéressantes, de petits défauts dont l’
imitation et la caricature étaient possibles. Mais comment
aurais-je pu deviner que vous me lisiez, et avec tant
de bienveillance. Je vous en remercie de tout cœur
et surtout du témoignage si affectueux que vous avez
bien voulu, distrayant pour la bonté un de vos moments
si pris, m’adresser si gentiment.
Je vous en suis bien
reconnaissant et vous demande de croire à tous
mes
sentiments bien amicalement dévoués
Marcel Proust
1
Cher Monsieur et ami
Vous êtes mille fois bon de m’avoir écrit ce mot exquis et si je n’avais été plus particulièrement malade ces jours-ci, je vous en aurais plus tôt remercié. Je suis vraiment confus (et j’aurais été fort intimidé si je l’avais su d’avance) de voir que ces petits pastiches ont été lus par unsavant et un écrivain comme vous2. Votre double mérite devrait vous rendre bien sévère : et vous excusez le pastiche, ce genre inférieur3 ! Manié pourtant par des mains plus habiles que la mienne, il me semble qu’il pourrait peut-être devenir comme une forme indirecte, plus discrète, plus brève et plus élégante de critique littéraire. Des esprits très fins pourraient s’y adonner, et des esprits très fins aussi — commele vôtre, mais attachés par la grandeur, le sérieux, le devoir, au rivage, pourraient s’y plaire, suivre ses jeux. — Je m’étais amusé quelquefois à faire des pastiches de littérature médicale4 ! Si j’avais pu les retrouver — ou les recommencer (mais tout cela est trop loin), je les aurais publiés si j’avais su que vous lisiez cela, pour vous amuser. Je n’ai pas besoin de vous dire que, jugé inimitable, vous n’y figuriez pas5. Mais6 dʼautres sont moins parfaits et joignent à des qualités bien intéressantes, de petits défauts dont l’imitation et la caricature étaient possibles. Mais comment aurais-je pu deviner que vous me lisiez, et avec tant de bienveillance. Je vous en remercie de tout cœur et surtout du témoignage si affectueux que vous avez bien voulu, distrayant pour la bonté un de vos moments si pris, m’adresser si gentiment.
Je vous en suis bien reconnaissant et vous demande de croire à tous mes sentiments bien amicalement dévoués.
Marcel Proust
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03