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CP 03988 Marcel Proust à André Chaumeix [peu après le 12 décembre 1919]

Surlignage

44 rue Hamelin

Cher Monsieur

Je reçois à lʼinstant votre
lettre et je vous en remercie
mille fois. La mienne était
je le vois le résultat dʼune
erreur. Je vous croyais direc-
teur des Débats , ou rédacteur en
chef et je pensais quʼainsi vous
pouviez faire faire un article. Mais
jamais, même quand je le croyais, il
nʼétait entré dans ma pensée de vous


demander dʼinfluencer M. de
Pierrefeu
dans un sens ou dans
un autre. Jʼai trop pour
cela le respect de la pensée, et
eussiez vous le pouvoir de le
faire, que jʼeusse été chagri-
né que vous en usiez. Mon
regret avait été simplement
que vous nʼeussiez pas demandé
lʼarticle à quelquʼun de
favorable plutôt quʼhostile,
surtout après les malentendus de


presse nés du fait que ma maladie en mʼ-
empêchant de recevoir les journalistes, mes édi-
teurs en les recevant mal, les a froissés,
et que lʼidée absurde que cʼétait un prix
« politique » a tout compliqué. Je nʼai
naturellement rien rectifié ni en ce qui concer-
ne mon âge, ou ma situation de fortune, ou
mes opinions politiques etc. Hélas vous nʼêtes plus
critique littéraire des Débats , et vous nʼen êtes
pas non plus directeur. Mais votre sympathie mʼ-
est plus précieuse que les articles que vous auriez pu


dans le 1er cas faire, dans le second cas faire faire
sur moi. Pour en finir avec tout cela, si
vous avez qq. fois lʼoccasion de causer avec
M. de Pierrefeu, vous pourrez lui dire que le
dernier chapitre de mon œuvre ayant été
écrit avant le premier, et tout lʼouvrage
étant fait et terminé, il nʼa pas besoin
dʼattendre ma mort comme il dit pour voir
finir à la Recherche du Temps Perdu (titre
détestable qui je le reconnais trompe sur la
composition serrée de lʼœuvre). Cette composition est
si inflexible que M. Francis Jammes mʼayant


adjuré dʼôter de « Du Côté de chez
Swann
 » un épisode qui le choquait,
jʼai été sur le point de lui donner
satisfaction, cet épisode étant en
effet inutile dans le 1er volume. Mais
je me suis rendu compte que si je lʼ-
enlevais, le 3e et 4e volume é-
taient détruits puisque cʼest le
ressouvenir de cet épisode qui
en excitant la jalousie du narrateur
(celui qui dit je et qui nʼest pas
toujours moi) amenait ce quʼon ap-
pelait au théâtre la péripétie.
Je renonce donc, les Débats nʼayant pas


parlé de la Vie Heureuse , à toute
rectification. Je vous enverrai
quand il paraîtra mon article sur
Flaubert
, non pour que vous
fassiez parler de lui, puisque
vous nʼavez pas aux Débats lea genre de
s situation que je croyais, mais
afin, si vous avez la bonté de le parcourir,
de vous montrer que je fais plus
attention aux questions de grammaire
quʼon ne dit. Du reste de quel


peintre nʼa t-on pas dit quʼil ne savait pas
dessiner, de quel musicien quʼil ne savait pas
lʼharmonie.—. Tout cela nʼempêche pas
que M. de Pierrefeu ait beaucoup de talent
et il a bien raison de dire jʼaime quand il
aime, et je nʼaime pas quand il aime
pas.

Veuillez agréer cher Monsieur avec
ma sympathie reconnaissante et
profonde, lʼexpression de mes sentiments
admiratifs et dévoués

Marcel Proust


 
 
 
 
Surlignage
 

44 rue Hamelin

Cher Monsieur

Je reçois à lʼinstant votre lettre et je vous en remercie mille fois. La mienne était je le vois le résultat dʼune erreur. Je vous croyais directeur des Débats , ou rédacteur en chef et je pensais quʼainsi vous pouviez faire faire un article. Mais jamais, même quand je le croyais, il nʼétait entré dans ma pensée de vous


 

demander dʼinfluencer M. de Pierrefeu dans un sens ou dans un autre. Jʼai trop pour cela le respect de la pensée, et eussiez-vous le pouvoir de le faire, que jʼeusse été chagriné que vous en usiez. Mon regret avait été simplement que vous nʼeussiez pas demandé lʼarticle à quelquʼun de favorable plutôt quʼhostile, surtout après les malentendus de


 

presse nés du fait que ma maladie en mʼempêchant de recevoir les journalistes, mes éditeurs en les recevant mal, les ont froissés, et que lʼidée absurde que cʼétait un prix « politique » a tout compliqué. Je nʼai naturellement rien rectifié ni en ce qui concerne mon âge, ou ma situation de fortune, ou mes opinions politiques etc. Hélas vous nʼêtes plus critique littéraire des Débats , et vous nʼen êtes pas non plus directeur. Mais votre sympathie mʼest plus précieuse que les articles que vous auriez pu


 

dans le premier cas faire, dans le second cas faire faire sur moi. Pour en finir avec tout cela, si vous avez quelquefois lʼoccasion de causer avec M. de Pierrefeu, vous pourrez lui dire que le dernier chapitre de mon œuvre ayant été écrit avant le premier, et tout lʼouvrage étant fait et terminé, il nʼa pas besoin dʼattendre ma mort comme il dit pour voir finir à la Recherche du Temps Perdu (titre détestable qui je le reconnais trompe sur la composition serrée de lʼœuvre). Cette composition est si inflexible que M. Francis Jammes mʼayant


 

adjuré dʼôter de « Du Côté de chez Swann  » un épisode qui le choquait, jʼai été sur le point de lui donner satisfaction, cet épisode étant en effet inutile dans le premier volume. Mais je me suis rendu compte que si je lʼenlevais, le troisième et quatrième volumes étaient détruits puisque cʼest le ressouvenir de cet épisode qui en excitant la jalousie du narrateur (celui qui dit je et qui nʼest pas toujours moi) amenait ce quʼon appelait au théâtre la péripétie. Je renonce donc, les Débats nʼayant pas


 

parlé de la Vie Heureuse , à toute rectification. Je vous enverrai quand il paraîtra mon article sur Flaubert , non pour que vous fassiez parler de lui, puisque vous nʼavez pas aux Débats lea genre de situation que je croyais, mais afin, si vous avez la bonté de le parcourir, de vous montrer que je fais plus attention aux questions de grammaire quʼon ne dit. Du reste de quel


 

peintre nʼa-t-on pas dit quʼil ne savait pas dessiner, de quel musicien quʼil ne savait pas lʼharmonie.

Tout cela nʼempêche pas que M. de Pierrefeu ait beaucoup de talent et il a bien raison de dire jʼaime quand il aime, et je nʼaime pas quand il nʼaime pas.

Veuillez agréer cher Monsieur avec ma sympathie reconnaissante et profonde, lʼexpression de mes sentiments admiratifs et dévoués

Marcel Proust


  
  
  
  
 
Note n°1
Cette lettre suit de peu la lettre au même destinataire du « vendredi soir » [12 décembre 1919] (CP 03983 ; Kolb, XVIII, nº 303). [PK]
Note n°2
Lettre non retrouvée. [FP]
Note n°3
Proust revient ici sur lʼarticle de Jean de Pierrefeu, paru en première page du Journal des débats du 12 décembre 1919 : voir sa lettre CP 03983. [FP]
Note n°4
Proust rapproche souvent dans sa correspondance avec les critiques les premier et dernier chapitres de son livre, pour insister sur le caractère médité et construit de son oeuvre. Parfois, comme ici, il place dʼabord la rédaction de la fin : « Le dernier chapitre du dernier volume, non encore paru, a été écrit avant le premier chapitre du premier volume » (CP 04159 ; Kolb, XIX, n° 121, à Alberto Lumbroso, [le 14 mai 1920]) ; « On méconnaît trop en effet que mes livres sont une construction, mais à ouverture de compas assez étendue pour que la composition, rigoureuse et à qui j’ai tout sacrifié, soit assez longue à discerner. On ne pourra le nier quand la dernière page du Temps retrouvé (écrite avant le reste du livre) se refermera exactement sur la première de Swann » (CP 04877 ; Kolb, XXI, n° 16, à Benjamin Crémieux, [le 18 ou 19 janvier 1922]). Mais il lui arrive aussi dʼécrire lʼinverse, notamment en décembre 1919 : « […] le dernier chapitre du dernier volume a été écrit tout de suite après le premier chapitre du premier volume. Tout l’“entre-deux” a été écrit ensuite […] » (CP 03995 ; Kolb, XVIII, n° 315, à Paul Souday, [le 17 décembre 1919]) ; « le dernier chapitre du dernier volume, non paru, a été écrit tout de suite après le premier chapitre du premier volume » (CP 03999 ; Kolb, XVIII, n° 319, à Rosny aîné, [peu avant le 23 décembre 1919]). [NM]
Note n°5
Paraphrase de lʼarticle de Jean de Pierrefeu : « Depuis lors il a joint à ce premier livre [Du côté de chez Swann] un second qui le prolonge et il en prépare deux autres sur le même thème. Rien ne prouve quʼil sʼarrêtera en si beau chemin. À mon avis, la fatigue ou la mort seules peuvent lʼarrêter dans la tâche quʼil a entreprise de rechercher le temps perdu par lui […] ». [PK, FP]
Note n°6
Lʼadjectif « inflexible » revient régulièrement sous la plume de Proust quand il veut décrire la composition ou la « construction » de son roman : voir, entre août et décembre 1919, ses lettres à Abel Hermant (CP 03897 ; Kolb, XVIII, n° 216), Jacques Boulenger (CP 03998 ; Kolb, XVIII, n° 318) et Rosny aîné (CP 03999 ; Kolb, XVIII, n° 319). [NM]
Note n°7
La lettre que Jammes a adressée à Proust après avoir lu Du côté de chez Swann en novembre ou décembre 1913 nʼa pas été retrouvée, mais Proust en cite un long passage dans une lettre à Henri Ghéon du [vendredi 2 janvier 1914] (CP 02655 ; Kolb, XIII, n° 3). Proust explique dans sa lettre à Paul Souday du 10 novembre 1919 (CP 03946 ; Kolb, XVIII, n° 266) que lʼépisode en question est « une scène entre deux jeunes filles », cʼest-à-dire la scène de sadisme de Montjouvain (RTP, I, 157-163). [PK, FP, NM]
Note n°8
La formule, qui marque une inflexion importante par rapport aux propos publics de Proust lors de la sortie de Swann (« le personnage qui raconte, qui dit : "Je" […] nʼest pas moi », EA, p. 558), est présente dans lʼarticle sur Flaubert quʼil mentionne page suivante, et quʼil a remis quelques jours auparavant à Jacques Rivière pour la Nouvelle Revue Française (CP 03971 ; Kolb, XVIII, nº 291) : « [le] narrateur qui dit "je" et qui nʼest pas toujours moi » (EA, p. 599). [NM]
Note n°9
Voir la lettre-dédicace à Madame Scheikévitch de [peu après le 3 novembre 1915] (CP 03024), p. 2 : « jʼaimerais mieux vous présenter les personnages que vous ne connaissez pas encore, celui surtout qui joue le plus grand rôle et amène la péripétie, Albertine ». Sur lʼimportance structurelle que Proust accorde à la scène de sadisme, voir aussi ses lettres à François Mauriac du [23 ou 24 septembre 1919] (CP 03911 ; Kolb, XVIII, n° 230), à André Chaumeix du [12 décembre 1919] (CP 03988 ; Kolb, XVIII, n° 308), et à Jean Ajalbert de [peu après le 10 décembre 1919] (CP 05359). [FP, NM]
Note n°10
Le prix de la Vie Heureuse (prix Fémina) de 1919 fut décerné aux Croix de bois de Roland Dorgelès, le concurrent malheureux de Proust au Goncourt. [PK]
Note n°11
Peu après le 13 novembre 1919, Proust avait proposé à Jacques Rivière un article sur le style de Flaubert, en réponse à un article dʼAlbert Thibaudet sur ce même sujet dans la Nouvelle Revue Française (« Réflexions sur la littérature : Sur le style de Flaubert  », 1er novembre 1919, p. 942-953) : « Sʼil pouvait vous être agréable de publier une lettre de moi sur le Style de Flaubert (en réponse à M. Thibaudet) et sur la manière défectueuse quʼon a de juger les grands écrivains, en général, je pourrais écrire un très court article, une note » (CP 03950 ; Kolb, XVIII, nº 270). Le 5 décembre, Proust annonce quʼil travaille à « un long Flaubert », « cet énorme Flaubert » (CP 03968 ; Kolb, XVIII, nº 288). Le 8 ou le 9 décembre, Proust livre à Jacques Rivière un manuscrit dʼune soixantaine de pages (CP 03971 ; Kolb, XVIII, nº 291) qui paraîtra dans la NRF du 1er janvier 1920 sous le titre « À propos du "style" de Flaubert » (p. 72-90). [CSz]
Note
Journal des débats politiques et littéraires
Note
Journal des débats politiques et littéraires
Note
Marcel Proust À la recherche du temps perdu
Note
Marcel Proust 1913 Du côté de chez Swann
Note
Journal des débats politiques et littéraires
Note
La Vie heureuse
Note
Marcel Proust 1er mars 1920 Nouvelle revue française À propos du "style" de Flaubert
Note
Journal des débats politiques et littéraires


Mots-clefs :prix Goncourt
Date de mise en ligne : October 28, 2022 09:23
Date de la dernière mise à jour : November 23, 2022 10:23
Surlignage

44 rue Hamelin

Cher Monsieur

Je reçois à lʼinstant votre
lettre et je vous en remercie
mille fois. La mienne était
je le vois le résultat dʼune
erreur. Je vous croyais direc-
teur des Débats , ou rédacteur en
chef et je pensais quʼainsi vous
pouviez faire faire un article. Mais
jamais, même quand je le croyais, il
nʼétait entré dans ma pensée de vous


demander dʼinfluencer M. de
Pierrefeu
dans un sens ou dans
un autre. Jʼai trop pour
cela le respect de la pensée, et
eussiez vous le pouvoir de le
faire, que jʼeusse été chagri-
né que vous en usiez. Mon
regret avait été simplement
que vous nʼeussiez pas demandé
lʼarticle à quelquʼun de
favorable plutôt quʼhostile,
surtout après les malentendus de


presse nés du fait que ma maladie en mʼ-
empêchant de recevoir les journalistes, mes édi-
teurs en les recevant mal, les a froissés,
et que lʼidée absurde que cʼétait un prix
« politique » a tout compliqué. Je nʼai
naturellement rien rectifié ni en ce qui concer-
ne mon âge, ou ma situation de fortune, ou
mes opinions politiques etc. Hélas vous nʼêtes plus
critique littéraire des Débats , et vous nʼen êtes
pas non plus directeur. Mais votre sympathie mʼ-
est plus précieuse que les articles que vous auriez pu


dans le 1er cas faire, dans le second cas faire faire
sur moi. Pour en finir avec tout cela, si
vous avez qq. fois lʼoccasion de causer avec
M. de Pierrefeu, vous pourrez lui dire que le
dernier chapitre de mon œuvre ayant été
écrit avant le premier, et tout lʼouvrage
étant fait et terminé, il nʼa pas besoin
dʼattendre ma mort comme il dit pour voir
finir à la Recherche du Temps Perdu (titre
détestable qui je le reconnais trompe sur la
composition serrée de lʼœuvre). Cette composition est
si inflexible que M. Francis Jammes mʼayant


adjuré dʼôter de « Du Côté de chez
Swann
 » un épisode qui le choquait,
jʼai été sur le point de lui donner
satisfaction, cet épisode étant en
effet inutile dans le 1er volume. Mais
je me suis rendu compte que si je lʼ-
enlevais, le 3e et 4e volume é-
taient détruits puisque cʼest le
ressouvenir de cet épisode qui
en excitant la jalousie du narrateur
(celui qui dit je et qui nʼest pas
toujours moi) amenait ce quʼon ap-
pelait au théâtre la péripétie.
Je renonce donc, les Débats nʼayant pas


parlé de la Vie Heureuse , à toute
rectification. Je vous enverrai
quand il paraîtra mon article sur
Flaubert
, non pour que vous
fassiez parler de lui, puisque
vous nʼavez pas aux Débats lea genre de
s situation que je croyais, mais
afin, si vous avez la bonté de le parcourir,
de vous montrer que je fais plus
attention aux questions de grammaire
quʼon ne dit. Du reste de quel


peintre nʼa t-on pas dit quʼil ne savait pas
dessiner, de quel musicien quʼil ne savait pas
lʼharmonie.—. Tout cela nʼempêche pas
que M. de Pierrefeu ait beaucoup de talent
et il a bien raison de dire jʼaime quand il
aime, et je nʼaime pas quand il aime
pas.

Veuillez agréer cher Monsieur avec
ma sympathie reconnaissante et
profonde, lʼexpression de mes sentiments
admiratifs et dévoués

Marcel Proust


 
 
 
 
Surlignage
 

44 rue Hamelin

Cher Monsieur

Je reçois à lʼinstant votre lettre et je vous en remercie mille fois. La mienne était je le vois le résultat dʼune erreur. Je vous croyais directeur des Débats , ou rédacteur en chef et je pensais quʼainsi vous pouviez faire faire un article. Mais jamais, même quand je le croyais, il nʼétait entré dans ma pensée de vous


 

demander dʼinfluencer M. de Pierrefeu dans un sens ou dans un autre. Jʼai trop pour cela le respect de la pensée, et eussiez-vous le pouvoir de le faire, que jʼeusse été chagriné que vous en usiez. Mon regret avait été simplement que vous nʼeussiez pas demandé lʼarticle à quelquʼun de favorable plutôt quʼhostile, surtout après les malentendus de


 

presse nés du fait que ma maladie en mʼempêchant de recevoir les journalistes, mes éditeurs en les recevant mal, les ont froissés, et que lʼidée absurde que cʼétait un prix « politique » a tout compliqué. Je nʼai naturellement rien rectifié ni en ce qui concerne mon âge, ou ma situation de fortune, ou mes opinions politiques etc. Hélas vous nʼêtes plus critique littéraire des Débats , et vous nʼen êtes pas non plus directeur. Mais votre sympathie mʼest plus précieuse que les articles que vous auriez pu


 

dans le premier cas faire, dans le second cas faire faire sur moi. Pour en finir avec tout cela, si vous avez quelquefois lʼoccasion de causer avec M. de Pierrefeu, vous pourrez lui dire que le dernier chapitre de mon œuvre ayant été écrit avant le premier, et tout lʼouvrage étant fait et terminé, il nʼa pas besoin dʼattendre ma mort comme il dit pour voir finir à la Recherche du Temps Perdu (titre détestable qui je le reconnais trompe sur la composition serrée de lʼœuvre). Cette composition est si inflexible que M. Francis Jammes mʼayant


 

adjuré dʼôter de « Du Côté de chez Swann  » un épisode qui le choquait, jʼai été sur le point de lui donner satisfaction, cet épisode étant en effet inutile dans le premier volume. Mais je me suis rendu compte que si je lʼenlevais, le troisième et quatrième volumes étaient détruits puisque cʼest le ressouvenir de cet épisode qui en excitant la jalousie du narrateur (celui qui dit je et qui nʼest pas toujours moi) amenait ce quʼon appelait au théâtre la péripétie. Je renonce donc, les Débats nʼayant pas


 

parlé de la Vie Heureuse , à toute rectification. Je vous enverrai quand il paraîtra mon article sur Flaubert , non pour que vous fassiez parler de lui, puisque vous nʼavez pas aux Débats lea genre de situation que je croyais, mais afin, si vous avez la bonté de le parcourir, de vous montrer que je fais plus attention aux questions de grammaire quʼon ne dit. Du reste de quel


 

peintre nʼa-t-on pas dit quʼil ne savait pas dessiner, de quel musicien quʼil ne savait pas lʼharmonie.

Tout cela nʼempêche pas que M. de Pierrefeu ait beaucoup de talent et il a bien raison de dire jʼaime quand il aime, et je nʼaime pas quand il nʼaime pas.

Veuillez agréer cher Monsieur avec ma sympathie reconnaissante et profonde, lʼexpression de mes sentiments admiratifs et dévoués

Marcel Proust


  
  
  
  
 
Note n°1
Cette lettre suit de peu la lettre au même destinataire du « vendredi soir » [12 décembre 1919] (CP 03983 ; Kolb, XVIII, nº 303). [PK]
Note n°2
Lettre non retrouvée. [FP]
Note n°3
Proust revient ici sur lʼarticle de Jean de Pierrefeu, paru en première page du Journal des débats du 12 décembre 1919 : voir sa lettre CP 03983. [FP]
Note n°4
Proust rapproche souvent dans sa correspondance avec les critiques les premier et dernier chapitres de son livre, pour insister sur le caractère médité et construit de son oeuvre. Parfois, comme ici, il place dʼabord la rédaction de la fin : « Le dernier chapitre du dernier volume, non encore paru, a été écrit avant le premier chapitre du premier volume » (CP 04159 ; Kolb, XIX, n° 121, à Alberto Lumbroso, [le 14 mai 1920]) ; « On méconnaît trop en effet que mes livres sont une construction, mais à ouverture de compas assez étendue pour que la composition, rigoureuse et à qui j’ai tout sacrifié, soit assez longue à discerner. On ne pourra le nier quand la dernière page du Temps retrouvé (écrite avant le reste du livre) se refermera exactement sur la première de Swann » (CP 04877 ; Kolb, XXI, n° 16, à Benjamin Crémieux, [le 18 ou 19 janvier 1922]). Mais il lui arrive aussi dʼécrire lʼinverse, notamment en décembre 1919 : « […] le dernier chapitre du dernier volume a été écrit tout de suite après le premier chapitre du premier volume. Tout l’“entre-deux” a été écrit ensuite […] » (CP 03995 ; Kolb, XVIII, n° 315, à Paul Souday, [le 17 décembre 1919]) ; « le dernier chapitre du dernier volume, non paru, a été écrit tout de suite après le premier chapitre du premier volume » (CP 03999 ; Kolb, XVIII, n° 319, à Rosny aîné, [peu avant le 23 décembre 1919]). [NM]
Note n°5
Paraphrase de lʼarticle de Jean de Pierrefeu : « Depuis lors il a joint à ce premier livre [Du côté de chez Swann] un second qui le prolonge et il en prépare deux autres sur le même thème. Rien ne prouve quʼil sʼarrêtera en si beau chemin. À mon avis, la fatigue ou la mort seules peuvent lʼarrêter dans la tâche quʼil a entreprise de rechercher le temps perdu par lui […] ». [PK, FP]
Note n°6
Lʼadjectif « inflexible » revient régulièrement sous la plume de Proust quand il veut décrire la composition ou la « construction » de son roman : voir, entre août et décembre 1919, ses lettres à Abel Hermant (CP 03897 ; Kolb, XVIII, n° 216), Jacques Boulenger (CP 03998 ; Kolb, XVIII, n° 318) et Rosny aîné (CP 03999 ; Kolb, XVIII, n° 319). [NM]
Note n°7
La lettre que Jammes a adressée à Proust après avoir lu Du côté de chez Swann en novembre ou décembre 1913 nʼa pas été retrouvée, mais Proust en cite un long passage dans une lettre à Henri Ghéon du [vendredi 2 janvier 1914] (CP 02655 ; Kolb, XIII, n° 3). Proust explique dans sa lettre à Paul Souday du 10 novembre 1919 (CP 03946 ; Kolb, XVIII, n° 266) que lʼépisode en question est « une scène entre deux jeunes filles », cʼest-à-dire la scène de sadisme de Montjouvain (RTP, I, 157-163). [PK, FP, NM]
Note n°8
La formule, qui marque une inflexion importante par rapport aux propos publics de Proust lors de la sortie de Swann (« le personnage qui raconte, qui dit : "Je" […] nʼest pas moi », EA, p. 558), est présente dans lʼarticle sur Flaubert quʼil mentionne page suivante, et quʼil a remis quelques jours auparavant à Jacques Rivière pour la Nouvelle Revue Française (CP 03971 ; Kolb, XVIII, nº 291) : « [le] narrateur qui dit "je" et qui nʼest pas toujours moi » (EA, p. 599). [NM]
Note n°9
Voir la lettre-dédicace à Madame Scheikévitch de [peu après le 3 novembre 1915] (CP 03024), p. 2 : « jʼaimerais mieux vous présenter les personnages que vous ne connaissez pas encore, celui surtout qui joue le plus grand rôle et amène la péripétie, Albertine ». Sur lʼimportance structurelle que Proust accorde à la scène de sadisme, voir aussi ses lettres à François Mauriac du [23 ou 24 septembre 1919] (CP 03911 ; Kolb, XVIII, n° 230), à André Chaumeix du [12 décembre 1919] (CP 03988 ; Kolb, XVIII, n° 308), et à Jean Ajalbert de [peu après le 10 décembre 1919] (CP 05359). [FP, NM]
Note n°10
Le prix de la Vie Heureuse (prix Fémina) de 1919 fut décerné aux Croix de bois de Roland Dorgelès, le concurrent malheureux de Proust au Goncourt. [PK]
Note n°11
Peu après le 13 novembre 1919, Proust avait proposé à Jacques Rivière un article sur le style de Flaubert, en réponse à un article dʼAlbert Thibaudet sur ce même sujet dans la Nouvelle Revue Française (« Réflexions sur la littérature : Sur le style de Flaubert  », 1er novembre 1919, p. 942-953) : « Sʼil pouvait vous être agréable de publier une lettre de moi sur le Style de Flaubert (en réponse à M. Thibaudet) et sur la manière défectueuse quʼon a de juger les grands écrivains, en général, je pourrais écrire un très court article, une note » (CP 03950 ; Kolb, XVIII, nº 270). Le 5 décembre, Proust annonce quʼil travaille à « un long Flaubert », « cet énorme Flaubert » (CP 03968 ; Kolb, XVIII, nº 288). Le 8 ou le 9 décembre, Proust livre à Jacques Rivière un manuscrit dʼune soixantaine de pages (CP 03971 ; Kolb, XVIII, nº 291) qui paraîtra dans la NRF du 1er janvier 1920 sous le titre « À propos du "style" de Flaubert » (p. 72-90). [CSz]
Note
Journal des débats politiques et littéraires
Note
Journal des débats politiques et littéraires
Note
Marcel Proust À la recherche du temps perdu
Note
Marcel Proust 1913 Du côté de chez Swann
Note
Journal des débats politiques et littéraires
Note
La Vie heureuse
Note
Marcel Proust 1er mars 1920 Nouvelle revue française À propos du "style" de Flaubert
Note
Journal des débats politiques et littéraires


Mots-clefs :prix Goncourt
Date de mise en ligne : October 28, 2022 09:23
Date de la dernière mise à jour : November 23, 2022 10:23
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