CP 03936 René Boylesve à Marcel Proust le 30 octobre 1919


27 rue des Vignes. 30 Oct. 19
Cher Monsieur,
Ceci nʼest pas
une lettre. Mais je veux vous remercier
tout de suite de lʼenvoi
de vos deux livres1. Je vous
avouerai
que vous avez été lʼoccasion dʼune de mes plus grandes
fu-
reurs. Je crois que
ce nʼest pas à vous que ce mouvement
de passion est imputable,
mais aux procédés de la Nouvelle
Revue
française. Dʼautres que moi, je pense sont
choqués.
Il est inconcevable que des confrères qui vous aiment,
qui
vous prônent … et qui enfin ont un extrême plaisir à
vous
lire en soient privés et soient privés de donner leur
opinion
sur vos œuvres à cause dʼun bénéfice commercial à
réaliser
et sur lequel je sais que lʼauteur nʼa point
dʼavantage. Jʼai
souscrit, en grinçant des dents à leur
combinaison diaboli-
que
dʼabonnement forcé : pour avoir les éditions originales
des
auteurs de mon goût, il faut que je paie de 15 à 25 f. des
auteurs que je
ne veux pas lire ! Je nʼai jamais jeté sur les
quais un seul
volume, je vais commencer à le faire pour les
livres de la
N.R.F. Ce
ne seront pas les vôtres et ce discours
est pour vous dire, ce
que vous savez, à quel point jʼy tiens.
Rien, hélas ! ne me
consolera de nʼavoir pu trouver nulle part
une première de
A lʼombre des j. filles
.
Jʼai lu cent
pages hier soir sans pouvoir mʼarrêter. Voilà
un phénomène qui
ne se produit pas souvent chez moi !
Je vous écrirai de nouveau, cher Monsieur. Croyez à monadmiration, toute exceptionnelle.
René Boylesve.
Que ne dites vous à votre sacré éditeur de faire un peusoigner ses imparfaits du subjonctif ! Cʼest très gênant à la
lecture. Cʼest de la cuisine, mais je la goûte comme M. de
Norpois, et je voudrais des accents circonflexes sur les û de eût
et de fût, comme un goût de carotte dans le bœuf froid2.
Excusez la manie : elle est de mon âge !
Votre
R B.
27 rue des Vignes 30 octobre 1919
Cher Monsieur,
Ceci nʼest pas une lettre. Mais je veux vous remercier tout de suite de lʼenvoi de vos deux livres1. Je vous avouerai que vous avez été lʼoccasion dʼune de mes plus grandes fu reurs. Je crois que ce nʼest pas à vous que ce mouvement de passion est imputable, mais aux procédés de la Nouvelle Revue française. Dʼautres que moi, je pense sont choqués. Il est inconcevable que des confrères qui vous aiment, qui vous prônent … et qui enfin ont un extrême plaisir à vous lire en soient privés et soient privés de donner leur opinion sur vos œuvres à cause dʼun bénéfice commercial à réaliser et sur lequel je sais que lʼauteur nʼa point dʼavantage. Jʼai souscrit, en grinçant des dents à leur combinaison diaboli que dʼabonnement forcé : pour avoir les éditions originales des auteurs de mon goût, il faut que je paie de quinze à vingt-cinq francs des auteurs que je ne veux pas lire ! Je nʼai jamais jeté sur les quais un seul volume, je vais commencer à le faire pour les livres de la N.R.F. Ce ne seront pas les vôtres et ce discours est pour vous dire, ce que vous savez, à quel point jʼy tiens. Rien, hélas ! ne me consolera de nʼavoir pu trouver nulle part une première de À lʼombre des jeunes filles .
Jʼai lu cent pages hier soir sans pouvoir mʼarrêter. Voilà un phénomène qui ne se produit pas souvent chez moi !
Je vous écrirai de nouveau, cher Monsieur. Croyez à monadmiration, toute exceptionnelle.
René Boylesve.
Que ne dites-vous à votre sacré éditeur de faire un peu soigner ses imparfaits du subjonctif ! Cʼest très gênant à la lecture. Cʼest de la cuisine, mais je la goûte comme M. de Norpois, et je voudrais des accents circonflexes sur les û de eût et de fût, comme un goût de carotte dans le bœuf froid2. Excusez la manie : elle est de mon âge !Votre
R B.
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:04


27 rue des Vignes. 30 Oct. 19
Cher Monsieur,
Ceci nʼest pas
une lettre. Mais je veux vous remercier
tout de suite de lʼenvoi
de vos deux livres1. Je vous
avouerai
que vous avez été lʼoccasion dʼune de mes plus grandes
fu-
reurs. Je crois que
ce nʼest pas à vous que ce mouvement
de passion est imputable,
mais aux procédés de la Nouvelle
Revue
française. Dʼautres que moi, je pense sont
choqués.
Il est inconcevable que des confrères qui vous aiment,
qui
vous prônent … et qui enfin ont un extrême plaisir à
vous
lire en soient privés et soient privés de donner leur
opinion
sur vos œuvres à cause dʼun bénéfice commercial à
réaliser
et sur lequel je sais que lʼauteur nʼa point
dʼavantage. Jʼai
souscrit, en grinçant des dents à leur
combinaison diaboli-
que
dʼabonnement forcé : pour avoir les éditions originales
des
auteurs de mon goût, il faut que je paie de 15 à 25 f. des
auteurs que je
ne veux pas lire ! Je nʼai jamais jeté sur les
quais un seul
volume, je vais commencer à le faire pour les
livres de la
N.R.F. Ce
ne seront pas les vôtres et ce discours
est pour vous dire, ce
que vous savez, à quel point jʼy tiens.
Rien, hélas ! ne me
consolera de nʼavoir pu trouver nulle part
une première de
A lʼombre des j. filles
.
Jʼai lu cent
pages hier soir sans pouvoir mʼarrêter. Voilà
un phénomène qui
ne se produit pas souvent chez moi !
Je vous écrirai de nouveau, cher Monsieur. Croyez à monadmiration, toute exceptionnelle.
René Boylesve.
Que ne dites vous à votre sacré éditeur de faire un peusoigner ses imparfaits du subjonctif ! Cʼest très gênant à la
lecture. Cʼest de la cuisine, mais je la goûte comme M. de
Norpois, et je voudrais des accents circonflexes sur les û de eût
et de fût, comme un goût de carotte dans le bœuf froid2.
Excusez la manie : elle est de mon âge !
Votre
R B.
27 rue des Vignes 30 octobre 1919
Cher Monsieur,
Ceci nʼest pas une lettre. Mais je veux vous remercier tout de suite de lʼenvoi de vos deux livres1. Je vous avouerai que vous avez été lʼoccasion dʼune de mes plus grandes fu reurs. Je crois que ce nʼest pas à vous que ce mouvement de passion est imputable, mais aux procédés de la Nouvelle Revue française. Dʼautres que moi, je pense sont choqués. Il est inconcevable que des confrères qui vous aiment, qui vous prônent … et qui enfin ont un extrême plaisir à vous lire en soient privés et soient privés de donner leur opinion sur vos œuvres à cause dʼun bénéfice commercial à réaliser et sur lequel je sais que lʼauteur nʼa point dʼavantage. Jʼai souscrit, en grinçant des dents à leur combinaison diaboli que dʼabonnement forcé : pour avoir les éditions originales des auteurs de mon goût, il faut que je paie de quinze à vingt-cinq francs des auteurs que je ne veux pas lire ! Je nʼai jamais jeté sur les quais un seul volume, je vais commencer à le faire pour les livres de la N.R.F. Ce ne seront pas les vôtres et ce discours est pour vous dire, ce que vous savez, à quel point jʼy tiens. Rien, hélas ! ne me consolera de nʼavoir pu trouver nulle part une première de À lʼombre des jeunes filles .
Jʼai lu cent pages hier soir sans pouvoir mʼarrêter. Voilà un phénomène qui ne se produit pas souvent chez moi !
Je vous écrirai de nouveau, cher Monsieur. Croyez à monadmiration, toute exceptionnelle.
René Boylesve.
Que ne dites-vous à votre sacré éditeur de faire un peu soigner ses imparfaits du subjonctif ! Cʼest très gênant à la lecture. Cʼest de la cuisine, mais je la goûte comme M. de Norpois, et je voudrais des accents circonflexes sur les û de eût et de fût, comme un goût de carotte dans le bœuf froid2. Excusez la manie : elle est de mon âge !Votre
R B.
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:04