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CP 03011 Lionel Hauser à Marcel Proust le 26 octobre 1915

Surlignage

Paris, le 26 Octobre 1915

Mon Cher Marcel,

Jʼai bien reçu ta lettre dont le contenu a eu
toute mon attention.

Inutile de te dire que nous sommes plongés dans
lʼétude de tes comptes et que jʼespère, dʼici deux ou trois
jours, tʼenvoyer un exposé qui te permettra de te rendre compte
de ta situation aussi exactement que possible.

En ce qui concerne le tuyau que tu as reçu au
sujet du Steel , je me bornerai à te dire que cette valeur qui
est avantageusement connue de tous les spéculateurs, est comme
qui dirait le «  Rio  » Tinto du marché de New-York , avec cette dif-
férence que le Rio Tinto, étant une mine de cuivre, on sait
à peu près ce quʼelle possède contient ; ce que lʼon extrait de moins
une année reste dans la mine, et lʼon est sur de lʼy retrou-
ver tandis que la Steel est une réunion dʼusines métallurgiques
qui suivent les hauts et les bas de lʼindustrie américaine.

Ces actions qui ont déjà coté 7% ont bondi jus-
quʼà près de 100, pour retomber au-dessous de 60. Depuis que
lʼAmérique travaille pour les Alliés elles ont, de nouveau
passablement monté et valent aujourdʼhui au-dessus de 80.

Actuellement elles
ne distribuent pas
de dividende.

Je nʼai pas de conseils à te donner, mais si
tu décides dʼacquérir ces actions, tu risques de perdre le
peu qui te reste.

A ce propos, permets-moi de dissiper un effet



de mirage dont tu es malheureusement victime. Tu tʼimagines,
comme tant dʼautres que le bénéfice que lʼon réalise en Bourse
dépend surtout des valeurs quʼon y achète. Eh bien, si para-
doxal que cela puisse paraître, je puis tʼaffirmer que cela
dépend en premier lieu de la personne qui opère. Jʼai connu
des individus qui se sont enrichis en Bourse en opérant sur
des valeurs de 10e ordre, et qu autres qui se sont ruinés avec
des valeurs de père de famille. Ceci est une question tout
à fait personnelle. Il y a des gens qui sont nés pour faire
ce métier, et dʼautres qui sont nés pour sʼy brûler les doigts.
Je ne crois pas exagérer en disant que tu appartiens à ces der-
niers, mais si tu nʼen es pas convaincu, tu es libre de conti-
nuer lʼexpérience, je ne demande quʼà être convaincu du con-
traire.

Bien sincèrement à toi.


Surlignage
 

Paris, le 26 Octobre 1915

Mon cher Marcel,

Jʼai bien reçu ta lettre dont le contenu a eu toute mon attention.

Inutile de te dire que nous sommes plongés dans lʼétude de tes comptes et que jʼespère, dʼici deux ou trois jours, tʼenvoyer un exposé qui te permettra de te rendre compte de ta situation aussi exactement que possible.

En ce qui concerne le tuyau que tu as reçu au sujet du Steel , je me bornerai à te dire que cette valeur qui est avantageusement connue de tous les spéculateurs, est comme qui dirait le «  Rio  » du marché de New York, avec cette différence que le Rio Tinto, étant une mine de cuivre, on sait à peu près ce quʼelle contient ; ce que lʼon extrait de moins une année reste dans la mine, et lʼon est sûr de lʼy retrouver tandis que la Steel est une réunion dʼusines métallurgiques qui suivent les hauts et les bas de lʼindustrie américaine.

Ces actions qui ont déjà coté 7% ont bondi jusquʼà près de 100, pour retomber au-dessous de 60. Depuis que lʼAmérique travaille pour les Alliés elles ont, de nouveau passablement monté et valent aujourdʼhui au-dessus de 80.

Actuellement elles ne distribuent pas de dividende.

Je nʼai pas de conseils à te donner, mais si tu décides dʼacquérir ces actions, tu risques de perdre le peu qui te reste.

À ce propos, permets-moi de dissiper un effet


 


 

de mirage dont tu es malheureusement victime. Tu tʼimagines, comme tant dʼautres, que le bénéfice que lʼon réalise en Bourse dépend surtout des valeurs quʼon y achète. Eh bien, si paradoxal que cela puisse paraître, je puis tʼaffirmer que cela dépend en premier lieu de la personne qui opère. Jʼai connu des individus qui se sont enrichis en Bourse en opérant sur des valeurs de dixième ordre, et dʼqu autres qui se sont ruinés avec des valeurs de père de famille. Ceci est une question tout à fait personnelle. Il y a des gens qui sont nés pour faire ce métier, et dʼautres qui sont nés pour sʼy brûler les doigts. Je ne crois pas exagérer en disant que tu appartiens à ces derniers, mais si tu nʼen es pas convaincu, tu es libre de continuer lʼexpérience, je ne demande quʼà être convaincu du contraire.

Bien sincèrement à toi.


 
Note n°1
Lettre de Proust à Hauser écrite [peu avant le 22 octobre 1915] (voir CP 03006 ; Kolb, XIV, n° 118), détaillant sa situation boursière dans ses différentes banques et contenant un chèque de 150 francs pour lʼexamen de ses comptes de liquidation. [PK, FL]
Note n°2
Il sʼagit dʼactions de la compagnie dʼaciéries United States Steel Corporation, au sujet desquelles Proust souhaitait prendre lʼavis de Hauser dans sa lettre sus-mentionnée (voir note 1 ci-dessus). En 1912, Proust et Hauser avaient déjà eu un échange concernant un possible achat de ces actions à fort potentiel spéculatif, que le banquier, sans fournir dʼexplications sur le fond, lui avait déconseillé. (Voir CP 02388, CP 02389, CP 02390 ; Kolb, XI, n° 124, n° 125, n° 126.) [PK, FL]
Note n°3
Lʼentrée en guerre officielle des États-Unis aux côtés de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie, date du vote du Congrès du 6 avril 1917. Mais malgré une politique officielle de stricte neutralité, lʼindustrie américaine fournit dès 1914 des munitions aux belligérants et, à partir du torpillage du Lusitania le 7 mai 1915 par un sous-marin allemand, évolue en faveur dʼun engagement contre lʼAllemagne. Voir par exemple, en octobre 1915, lʼémission aux États-Unis dʼun emprunt anglo-français pour financer les achats faits aux États-Unis. [FL]
Note
abréviation pour désigner les actions du Rio Tinto


Mots-clefs :guerre
Date de mise en ligne : October 17, 2022 13:35
Date de la dernière mise à jour : November 22, 2022 15:09
Surlignage

Paris, le 26 Octobre 1915

Mon Cher Marcel,

Jʼai bien reçu ta lettre dont le contenu a eu
toute mon attention.

Inutile de te dire que nous sommes plongés dans
lʼétude de tes comptes et que jʼespère, dʼici deux ou trois
jours, tʼenvoyer un exposé qui te permettra de te rendre compte
de ta situation aussi exactement que possible.

En ce qui concerne le tuyau que tu as reçu au
sujet du Steel , je me bornerai à te dire que cette valeur qui
est avantageusement connue de tous les spéculateurs, est comme
qui dirait le «  Rio  » Tinto du marché de New-York , avec cette dif-
férence que le Rio Tinto, étant une mine de cuivre, on sait
à peu près ce quʼelle possède contient ; ce que lʼon extrait de moins
une année reste dans la mine, et lʼon est sur de lʼy retrou-
ver tandis que la Steel est une réunion dʼusines métallurgiques
qui suivent les hauts et les bas de lʼindustrie américaine.

Ces actions qui ont déjà coté 7% ont bondi jus-
quʼà près de 100, pour retomber au-dessous de 60. Depuis que
lʼAmérique travaille pour les Alliés elles ont, de nouveau
passablement monté et valent aujourdʼhui au-dessus de 80.

Actuellement elles
ne distribuent pas
de dividende.

Je nʼai pas de conseils à te donner, mais si
tu décides dʼacquérir ces actions, tu risques de perdre le
peu qui te reste.

A ce propos, permets-moi de dissiper un effet



de mirage dont tu es malheureusement victime. Tu tʼimagines,
comme tant dʼautres que le bénéfice que lʼon réalise en Bourse
dépend surtout des valeurs quʼon y achète. Eh bien, si para-
doxal que cela puisse paraître, je puis tʼaffirmer que cela
dépend en premier lieu de la personne qui opère. Jʼai connu
des individus qui se sont enrichis en Bourse en opérant sur
des valeurs de 10e ordre, et qu autres qui se sont ruinés avec
des valeurs de père de famille. Ceci est une question tout
à fait personnelle. Il y a des gens qui sont nés pour faire
ce métier, et dʼautres qui sont nés pour sʼy brûler les doigts.
Je ne crois pas exagérer en disant que tu appartiens à ces der-
niers, mais si tu nʼen es pas convaincu, tu es libre de conti-
nuer lʼexpérience, je ne demande quʼà être convaincu du con-
traire.

Bien sincèrement à toi.


Surlignage
 

Paris, le 26 Octobre 1915

Mon cher Marcel,

Jʼai bien reçu ta lettre dont le contenu a eu toute mon attention.

Inutile de te dire que nous sommes plongés dans lʼétude de tes comptes et que jʼespère, dʼici deux ou trois jours, tʼenvoyer un exposé qui te permettra de te rendre compte de ta situation aussi exactement que possible.

En ce qui concerne le tuyau que tu as reçu au sujet du Steel , je me bornerai à te dire que cette valeur qui est avantageusement connue de tous les spéculateurs, est comme qui dirait le «  Rio  » du marché de New York, avec cette différence que le Rio Tinto, étant une mine de cuivre, on sait à peu près ce quʼelle contient ; ce que lʼon extrait de moins une année reste dans la mine, et lʼon est sûr de lʼy retrouver tandis que la Steel est une réunion dʼusines métallurgiques qui suivent les hauts et les bas de lʼindustrie américaine.

Ces actions qui ont déjà coté 7% ont bondi jusquʼà près de 100, pour retomber au-dessous de 60. Depuis que lʼAmérique travaille pour les Alliés elles ont, de nouveau passablement monté et valent aujourdʼhui au-dessus de 80.

Actuellement elles ne distribuent pas de dividende.

Je nʼai pas de conseils à te donner, mais si tu décides dʼacquérir ces actions, tu risques de perdre le peu qui te reste.

À ce propos, permets-moi de dissiper un effet


 


 

de mirage dont tu es malheureusement victime. Tu tʼimagines, comme tant dʼautres, que le bénéfice que lʼon réalise en Bourse dépend surtout des valeurs quʼon y achète. Eh bien, si paradoxal que cela puisse paraître, je puis tʼaffirmer que cela dépend en premier lieu de la personne qui opère. Jʼai connu des individus qui se sont enrichis en Bourse en opérant sur des valeurs de dixième ordre, et dʼqu autres qui se sont ruinés avec des valeurs de père de famille. Ceci est une question tout à fait personnelle. Il y a des gens qui sont nés pour faire ce métier, et dʼautres qui sont nés pour sʼy brûler les doigts. Je ne crois pas exagérer en disant que tu appartiens à ces derniers, mais si tu nʼen es pas convaincu, tu es libre de continuer lʼexpérience, je ne demande quʼà être convaincu du contraire.

Bien sincèrement à toi.


 
Note n°1
Lettre de Proust à Hauser écrite [peu avant le 22 octobre 1915] (voir CP 03006 ; Kolb, XIV, n° 118), détaillant sa situation boursière dans ses différentes banques et contenant un chèque de 150 francs pour lʼexamen de ses comptes de liquidation. [PK, FL]
Note n°2
Il sʼagit dʼactions de la compagnie dʼaciéries United States Steel Corporation, au sujet desquelles Proust souhaitait prendre lʼavis de Hauser dans sa lettre sus-mentionnée (voir note 1 ci-dessus). En 1912, Proust et Hauser avaient déjà eu un échange concernant un possible achat de ces actions à fort potentiel spéculatif, que le banquier, sans fournir dʼexplications sur le fond, lui avait déconseillé. (Voir CP 02388, CP 02389, CP 02390 ; Kolb, XI, n° 124, n° 125, n° 126.) [PK, FL]
Note n°3
Lʼentrée en guerre officielle des États-Unis aux côtés de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie, date du vote du Congrès du 6 avril 1917. Mais malgré une politique officielle de stricte neutralité, lʼindustrie américaine fournit dès 1914 des munitions aux belligérants et, à partir du torpillage du Lusitania le 7 mai 1915 par un sous-marin allemand, évolue en faveur dʼun engagement contre lʼAllemagne. Voir par exemple, en octobre 1915, lʼémission aux États-Unis dʼun emprunt anglo-français pour financer les achats faits aux États-Unis. [FL]
Note
abréviation pour désigner les actions du Rio Tinto


Mots-clefs :guerre
Date de mise en ligne : October 17, 2022 13:35
Date de la dernière mise à jour : November 22, 2022 15:09
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