CP 02992 Marcel Proust à Lionel Hauser vendredi [le 27 août 1915]
Mon cher Lionel
Je tʼai bien écrit tout de
suite pour te dire ma pro-
fonde reconnaissance
mais
ma lettre nʼa pas eu de
chance. Portée Boulevard
Flandrin2
immédiatement
comme ce nʼétait plus lʼ
heure de la rue de la Victoire
3
2
on a répondu que tu nʼy habitais
plus. Alors le lendemain
jʼai
envoyé rue de la Victoire, tu
nʼy
étais pas4. Aujourdʼhui (ce
qui fait 48 heures sans que
tu aies su que je ne suis
pas ingrat, jʼen suis
malade)
jʼai renvoyé rue de la
Victoire
demander ton nouveau domicile
(ce quʼon aurait dû faire la
1re
fois) et on a refusé de
lʼindiquer5. Je vais donc
renvoyer ce mot rue
de la
3
Victoire en espérant quʼun
jour ou lʼ
autre tu sauras ma gratitude. —. Tu
es bien aimable, (et, je le crains,
un peu
moqueur), quand tu dis que tu as lu ma
lettre avec intérêt ; car rien
nʼest plus
ennuyeux, sauf pour le questionneur, que
ces demandes de conseil.
Mais tu comprendras
facilement que moi jʼaie pu lire ta réponse
avec grand
intérêt, car tu y traites de
questions générales, comme celle du
change, et
jʼai lu cela comme un article de
4
Revue de Paris
, mais mieux fait. Dans lʼ
intervalle le
Dr
de lʼAgence du
Ct
Indl
est venu en congé de 3 mois et mʼa adressé
un tableau détaillé des hausses et des
baisses.
Je pourrais dire des baisses car rien nʼa
monté. En examinant mieux
le Cte
Rothschild
(je voulais te lʼenvoyer mais jʼai eu peur de tʼassomer)
jʼai vu que la Jutland et le Hollandais y
tiennent une trop petite place pour
pouvoir
être utiles. En revanche de gros paquets de
Banque
Espagn.
du Rio de la Plata, de Santa Fé, de
Chilien 5 %, de Russe
, bénéficient peutʼêtre de
cette question du change ? Ne prends pas la peine de
5
me lʼécrire. Je le demanderai au
Crédit Industriel et tremble quʼil
me dise que cʼest à vendre.
Car
alors il faudra affronter Monsieur
Neuburger. Quant aux valeurs qui
ne donnent pas
dʼintérêts comme la
Doubowaïa Balka naturellement
jʼaimerais mieux
les vendre. Mais le
capital a par trop baissé. Quant aux
Mines dʼOr jʼignore si la guerre
leur
profitera. Et puis elles donnent de
bons revenus. —. Je nʼai pas
compris
ce que tu mʼas dit relativement à
mon coulissier, mais puisque je ne
suis pas
obligé de lever les titres6, cela mʼme
6
est égal. Dʼailleurs ces valeurs sont plus
basses quʼen Juin. Néanmoins
je vais lui écrire quʼil peut
arrêter le jeu7, sʼil veut.
Tu as donc été gentil, bon,
délicieux, dans tous tes conseils,
et de me les donner
si vite,
et si détaillés. Il me semble
(ceci dit très
affectueusement)
que tu lʼas été un peu moins
quand tu tʼes dit heureux
que
je fusse versé dans le service
armé car tu sais très bien que dans
7
mon état de santé ce serait ma mort en
48 heures. Sans doute la vie que je mène nʼ
a rien dʼagréable et même en
sachant que je
ne peux être utile en rien à lʼarmée, je me
serais utile à
moi-même en me laissant
supprimer. Mais je désire beaucoup terminer
lʼouvrage commencé
et y déposer des
vérités dont je sais que beaucoup se
nourrissent et
qui sans cela seront détruites
avec moi. Dʼailleurs (et cʼest ce qui a
causé
le premier retard à te remercier) comme
8
je venais de recevoir ta lettre on mʼa inopi-
nément annoncé de nouveaux
médecins
militaires, à ma grande surprise puisque
jʼétais ajourné à 6 mois (la loi
Dalbiez
8
en est sans doute cause). La conséquence a ete
que je suis au contraire proposé pour la Réforme.
Jʼespère tout de même que
je ne te cause pas de
tristesse en te le disant. —.
Ne prends toute
cette dernière partie de ma lettre que comme
elle est
écrite, cʼest à dire « cum grano salis »
et en revanche que ce soit dans la
plenitude de
son sens que tu veuilles bien croire à ma
reconnaissante
affection
Marcel Proust
Ne dis à personne ce que je tʼai dit de mon
frère
9car il nʼen a parlé à personne, je
ne lʼai su
quʼindirectement, cela nʼa jamais interrompu ses travaux et jʼespère quʼil en
triomphera
9
P.S.
Maintenant que jʼai été
revisité, je tâcherai de
faire
une ou deux tentatives de
sortie. La 1re
sera pour
aller te remercier si je
peux te joindre. Et je
te
demanderai si tu possèdes
mon livre illustré par Madeleine
Lemaire (les Plaisirs et les
Jours
). Sinon je serai heureux
de te lʼenvoyer, il est assez
joli à
regarder pour que même
sans prendre la peine de le lire, tu puisses
10
trouver du plaisir à en examiner
les dessins. Peutʼetre je te lʼai
donné autrefois. Je ne me
souviens plus.
—. Jʼai
trouvé (je saute au
1er
sujet) que les
Obligs
dʼEgypte
, les
Chs
feder.
suisses, les
tunisiennes
, la
Rente, le Suez
ont bien baissé
pour les vendre. Je me suis arrêté
provisoirement à lʼAzote
et à la
Cie
des Eaux.
Mon cher Lionel
Je tʼai bien écrit tout de suite pour te dire ma profonde reconnaissance mais ma lettre nʼa pas eu de chance. Portée Boulevard Flandrin2 immédiatement comme ce nʼétait plus lʼ heure de la rue de la Victoire 3
on a répondu que tu nʼy habitais plus. Alors le lendemain jʼai envoyé rue de la Victoire, tu nʼy étais pas4. Aujourdʼhui (ce qui fait quarante-huit heures sans que tu aies su que je ne suis pas ingrat, jʼen suis malade) jʼai renvoyé rue de la Victoire demander ton nouveau domicile (ce quʼon aurait dû faire la première fois) et on a refusé de lʼindiquer5. Je vais donc renvoyer ce mot rue de la
Victoire en espérant quʼun jour ou lʼ autre tu sauras ma gratitude.
Tu es bien aimable, (et, je le crains, un peu moqueur), quand tu dis que tu as lu ma lettre avec intérêt ; car rien nʼest plus ennuyeux, sauf pour le questionneur, que ces demandes de conseil. Mais tu comprendras facilement que moi jʼaie pu lire ta réponse avec grand intérêt, car tu y traites de questions générales, comme celle du change, et jʼai lu cela comme un article de
Revue de Paris , mais mieux fait. Dans lʼ intervalle le directeur de lʼAgence du Crédit Industriel est venu en congé de trois mois et mʼa adressé un tableau détaillé des hausses et des baisses. Je pourrais dire des baisses car rien nʼa monté. En examinant mieux le Compte Rothschild (je voulais te lʼenvoyer mais jʼai eu peur de tʼassommer) jʼai vu que la Jutland et le Hollandais y tiennent une trop petite place pour pouvoir être utiles. En revanche de gros paquets de Banque Espagnole du Rio de la Plata, de Santa Fé, de Chilien 5 %, de Russe , bénéficient peut-être de cette question du change ? Ne prends pas la peine de
me lʼécrire. Je le demanderai au Crédit Industriel et tremble quʼil me dise que cʼest à vendre. Car alors il faudra affronter Monsieur Neuburger. Quant aux valeurs qui ne donnent pas dʼintérêts comme la Doubowaïa Balka naturellement jʼaimerais mieux les vendre. Mais le capital a par trop baissé. Quant aux Mines dʼOr jʼignore si la guerre leur profitera. Et puis elles donnent de bons revenus.
Je nʼai pas compris ce que tu mʼas dit relativement à mon coulissier, mais puisque je ne suis pas obligé de lever les titres6, cela mʼme
est égal. Dʼailleurs ces valeurs sont plus basses quʼen juin. Néanmoins je vais lui écrire quʼil peut arrêter le jeu7, sʼil veut. Tu as donc été gentil, bon, délicieux, dans tous tes conseils, et de me les donner si vite, et si détaillés. Il me semble (ceci dit très affectueusement) que tu lʼas été un peu moins quand tu tʼes dit heureux que je fusse versé dans le service armé car tu sais très bien que dans
mon état de santé ce serait ma mort en quarante-huit heures. Sans doute la vie que je mène nʼ a rien dʼagréable et même en sachant que je ne peux être utile en rien à lʼarmée, je me serais utile à moi-même en me laissant supprimer. Mais je désire beaucoup terminer lʼouvrage commencé et y déposer des vérités dont je sais que beaucoup se nourrissent et qui sans cela seront détruites avec moi. Dʼailleurs (et cʼest ce qui a causé le premier retard à te remercier) comme
je venais de recevoir ta lettre on mʼa inopinément annoncé de nouveaux médecins militaires, à ma grande surprise puisque jʼétais ajourné à six mois (la loi Dalbiez 8 en est sans doute cause). La conséquence a été que je suis au contraire proposé pour la Réforme. Jʼespère tout de même que je ne te cause pas de tristesse en te le disant.
Ne prends toute cette dernière partie de ma lettre que comme elle est écrite, cʼest à dire « cum grano salis » et en revanche que ce soit dans la plenitude de son sens que tu veuilles bien croire à ma reconnaissante affection
Marcel Proust
Ne dis à personne ce que je tʼai dit de mon frère 9car il nʼen a parlé à personne, je ne lʼai su quʼindirectement, cela nʼa jamais interrompu ses travaux et jʼespère quʼil en triomphera.
P.S. Maintenant que jʼai été revisité, je tâcherai de faire une ou deux tentatives de sortie. La première sera pour aller te remercier si je peux te joindre. Et je te demanderai si tu possèdes mon livre illustré par Madeleine Lemaire (les Plaisirs et les Jours ). Sinon je serai heureux de te lʼenvoyer, il est assez joli à regarder pour que même sans prendre la peine de le lire, tu puisses
trouver du plaisir à en examiner les dessins. peut-être je te lʼai donné autrefois. Je ne me souviens plus.
Jʼai trouvé (je saute au premier sujet) que les Obligations dʼÉgypte , les Chemins fédéraux suisses, les Tunisiennes , la Rente, le Suez ont bien baissé pour les vendre. Je me suis arrêté provisoirement à lʼAzote et à la Compagnie des Eaux.
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03
Mon cher Lionel
Je tʼai bien écrit tout de
suite pour te dire ma pro-
fonde reconnaissance
mais
ma lettre nʼa pas eu de
chance. Portée Boulevard
Flandrin2
immédiatement
comme ce nʼétait plus lʼ
heure de la rue de la Victoire
3
2
on a répondu que tu nʼy habitais
plus. Alors le lendemain
jʼai
envoyé rue de la Victoire, tu
nʼy
étais pas4. Aujourdʼhui (ce
qui fait 48 heures sans que
tu aies su que je ne suis
pas ingrat, jʼen suis
malade)
jʼai renvoyé rue de la
Victoire
demander ton nouveau domicile
(ce quʼon aurait dû faire la
1re
fois) et on a refusé de
lʼindiquer5. Je vais donc
renvoyer ce mot rue
de la
3
Victoire en espérant quʼun
jour ou lʼ
autre tu sauras ma gratitude. —. Tu
es bien aimable, (et, je le crains,
un peu
moqueur), quand tu dis que tu as lu ma
lettre avec intérêt ; car rien
nʼest plus
ennuyeux, sauf pour le questionneur, que
ces demandes de conseil.
Mais tu comprendras
facilement que moi jʼaie pu lire ta réponse
avec grand
intérêt, car tu y traites de
questions générales, comme celle du
change, et
jʼai lu cela comme un article de
4
Revue de Paris
, mais mieux fait. Dans lʼ
intervalle le
Dr
de lʼAgence du
Ct
Indl
est venu en congé de 3 mois et mʼa adressé
un tableau détaillé des hausses et des
baisses.
Je pourrais dire des baisses car rien nʼa
monté. En examinant mieux
le Cte
Rothschild
(je voulais te lʼenvoyer mais jʼai eu peur de tʼassomer)
jʼai vu que la Jutland et le Hollandais y
tiennent une trop petite place pour
pouvoir
être utiles. En revanche de gros paquets de
Banque
Espagn.
du Rio de la Plata, de Santa Fé, de
Chilien 5 %, de Russe
, bénéficient peutʼêtre de
cette question du change ? Ne prends pas la peine de
5
me lʼécrire. Je le demanderai au
Crédit Industriel et tremble quʼil
me dise que cʼest à vendre.
Car
alors il faudra affronter Monsieur
Neuburger. Quant aux valeurs qui
ne donnent pas
dʼintérêts comme la
Doubowaïa Balka naturellement
jʼaimerais mieux
les vendre. Mais le
capital a par trop baissé. Quant aux
Mines dʼOr jʼignore si la guerre
leur
profitera. Et puis elles donnent de
bons revenus. —. Je nʼai pas
compris
ce que tu mʼas dit relativement à
mon coulissier, mais puisque je ne
suis pas
obligé de lever les titres6, cela mʼme
6
est égal. Dʼailleurs ces valeurs sont plus
basses quʼen Juin. Néanmoins
je vais lui écrire quʼil peut
arrêter le jeu7, sʼil veut.
Tu as donc été gentil, bon,
délicieux, dans tous tes conseils,
et de me les donner
si vite,
et si détaillés. Il me semble
(ceci dit très
affectueusement)
que tu lʼas été un peu moins
quand tu tʼes dit heureux
que
je fusse versé dans le service
armé car tu sais très bien que dans
7
mon état de santé ce serait ma mort en
48 heures. Sans doute la vie que je mène nʼ
a rien dʼagréable et même en
sachant que je
ne peux être utile en rien à lʼarmée, je me
serais utile à
moi-même en me laissant
supprimer. Mais je désire beaucoup terminer
lʼouvrage commencé
et y déposer des
vérités dont je sais que beaucoup se
nourrissent et
qui sans cela seront détruites
avec moi. Dʼailleurs (et cʼest ce qui a
causé
le premier retard à te remercier) comme
8
je venais de recevoir ta lettre on mʼa inopi-
nément annoncé de nouveaux
médecins
militaires, à ma grande surprise puisque
jʼétais ajourné à 6 mois (la loi
Dalbiez
8
en est sans doute cause). La conséquence a ete
que je suis au contraire proposé pour la Réforme.
Jʼespère tout de même que
je ne te cause pas de
tristesse en te le disant. —.
Ne prends toute
cette dernière partie de ma lettre que comme
elle est
écrite, cʼest à dire « cum grano salis »
et en revanche que ce soit dans la
plenitude de
son sens que tu veuilles bien croire à ma
reconnaissante
affection
Marcel Proust
Ne dis à personne ce que je tʼai dit de mon
frère
9car il nʼen a parlé à personne, je
ne lʼai su
quʼindirectement, cela nʼa jamais interrompu ses travaux et jʼespère quʼil en
triomphera
9
P.S.
Maintenant que jʼai été
revisité, je tâcherai de
faire
une ou deux tentatives de
sortie. La 1re
sera pour
aller te remercier si je
peux te joindre. Et je
te
demanderai si tu possèdes
mon livre illustré par Madeleine
Lemaire (les Plaisirs et les
Jours
). Sinon je serai heureux
de te lʼenvoyer, il est assez
joli à
regarder pour que même
sans prendre la peine de le lire, tu puisses
10
trouver du plaisir à en examiner
les dessins. Peutʼetre je te lʼai
donné autrefois. Je ne me
souviens plus.
—. Jʼai
trouvé (je saute au
1er
sujet) que les
Obligs
dʼEgypte
, les
Chs
feder.
suisses, les
tunisiennes
, la
Rente, le Suez
ont bien baissé
pour les vendre. Je me suis arrêté
provisoirement à lʼAzote
et à la
Cie
des Eaux.
Mon cher Lionel
Je tʼai bien écrit tout de suite pour te dire ma profonde reconnaissance mais ma lettre nʼa pas eu de chance. Portée Boulevard Flandrin2 immédiatement comme ce nʼétait plus lʼ heure de la rue de la Victoire 3
on a répondu que tu nʼy habitais plus. Alors le lendemain jʼai envoyé rue de la Victoire, tu nʼy étais pas4. Aujourdʼhui (ce qui fait quarante-huit heures sans que tu aies su que je ne suis pas ingrat, jʼen suis malade) jʼai renvoyé rue de la Victoire demander ton nouveau domicile (ce quʼon aurait dû faire la première fois) et on a refusé de lʼindiquer5. Je vais donc renvoyer ce mot rue de la
Victoire en espérant quʼun jour ou lʼ autre tu sauras ma gratitude.
Tu es bien aimable, (et, je le crains, un peu moqueur), quand tu dis que tu as lu ma lettre avec intérêt ; car rien nʼest plus ennuyeux, sauf pour le questionneur, que ces demandes de conseil. Mais tu comprendras facilement que moi jʼaie pu lire ta réponse avec grand intérêt, car tu y traites de questions générales, comme celle du change, et jʼai lu cela comme un article de
Revue de Paris , mais mieux fait. Dans lʼ intervalle le directeur de lʼAgence du Crédit Industriel est venu en congé de trois mois et mʼa adressé un tableau détaillé des hausses et des baisses. Je pourrais dire des baisses car rien nʼa monté. En examinant mieux le Compte Rothschild (je voulais te lʼenvoyer mais jʼai eu peur de tʼassommer) jʼai vu que la Jutland et le Hollandais y tiennent une trop petite place pour pouvoir être utiles. En revanche de gros paquets de Banque Espagnole du Rio de la Plata, de Santa Fé, de Chilien 5 %, de Russe , bénéficient peut-être de cette question du change ? Ne prends pas la peine de
me lʼécrire. Je le demanderai au Crédit Industriel et tremble quʼil me dise que cʼest à vendre. Car alors il faudra affronter Monsieur Neuburger. Quant aux valeurs qui ne donnent pas dʼintérêts comme la Doubowaïa Balka naturellement jʼaimerais mieux les vendre. Mais le capital a par trop baissé. Quant aux Mines dʼOr jʼignore si la guerre leur profitera. Et puis elles donnent de bons revenus.
Je nʼai pas compris ce que tu mʼas dit relativement à mon coulissier, mais puisque je ne suis pas obligé de lever les titres6, cela mʼme
est égal. Dʼailleurs ces valeurs sont plus basses quʼen juin. Néanmoins je vais lui écrire quʼil peut arrêter le jeu7, sʼil veut. Tu as donc été gentil, bon, délicieux, dans tous tes conseils, et de me les donner si vite, et si détaillés. Il me semble (ceci dit très affectueusement) que tu lʼas été un peu moins quand tu tʼes dit heureux que je fusse versé dans le service armé car tu sais très bien que dans
mon état de santé ce serait ma mort en quarante-huit heures. Sans doute la vie que je mène nʼ a rien dʼagréable et même en sachant que je ne peux être utile en rien à lʼarmée, je me serais utile à moi-même en me laissant supprimer. Mais je désire beaucoup terminer lʼouvrage commencé et y déposer des vérités dont je sais que beaucoup se nourrissent et qui sans cela seront détruites avec moi. Dʼailleurs (et cʼest ce qui a causé le premier retard à te remercier) comme
je venais de recevoir ta lettre on mʼa inopinément annoncé de nouveaux médecins militaires, à ma grande surprise puisque jʼétais ajourné à six mois (la loi Dalbiez 8 en est sans doute cause). La conséquence a été que je suis au contraire proposé pour la Réforme. Jʼespère tout de même que je ne te cause pas de tristesse en te le disant.
Ne prends toute cette dernière partie de ma lettre que comme elle est écrite, cʼest à dire « cum grano salis » et en revanche que ce soit dans la plenitude de son sens que tu veuilles bien croire à ma reconnaissante affection
Marcel Proust
Ne dis à personne ce que je tʼai dit de mon frère 9car il nʼen a parlé à personne, je ne lʼai su quʼindirectement, cela nʼa jamais interrompu ses travaux et jʼespère quʼil en triomphera.
P.S. Maintenant que jʼai été revisité, je tâcherai de faire une ou deux tentatives de sortie. La première sera pour aller te remercier si je peux te joindre. Et je te demanderai si tu possèdes mon livre illustré par Madeleine Lemaire (les Plaisirs et les Jours ). Sinon je serai heureux de te lʼenvoyer, il est assez joli à regarder pour que même sans prendre la peine de le lire, tu puisses
trouver du plaisir à en examiner les dessins. peut-être je te lʼai donné autrefois. Je ne me souviens plus.
Jʼai trouvé (je saute au premier sujet) que les Obligations dʼÉgypte , les Chemins fédéraux suisses, les Tunisiennes , la Rente, le Suez ont bien baissé pour les vendre. Je me suis arrêté provisoirement à lʼAzote et à la Compagnie des Eaux.
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03