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CP 02929 Madeleine Lemaire à Marcel Proust le mardi 6 avril [1915]

Surlignage

Mardi 6 avril


Mon cher Marcel

Je vous retrouve
tout entier dans
cette longue lettre
que vous avez
pris la peine
de mʼécrire,
et qui me
touche et
mʼamuse. Jʼespère
quʼelle ne
vous aura pas
causé trop de
fatigue et
quant à moi


je vous assure
quʼelle mʼa été
bien agréable
à lire. Il me
semblait que
je causais avec
vous. Je réponds
donc à ce
que vous me
dites. Je vous
assure que nos
mélancolies se
ressemblent
beaucoup car
elles doivent
avoir les mêmes
causes, et que
notre désenchantement
général provient
de lʼeffondrement
auquel nous


assistons. Ne dites
pas que votre
état moral est
incurable, car vous
êtes jeune, et
pouvez avoir
lʼespoir dʼassister
à une renaissance
tandis que moi
je nʼen aurai pas
le temps ; et je ne
puis finir mes
jours que dans
la tristesse.
Malgré cela
je tâche de réagir
je fais appel à
mon énergie
croyant quʼil
mʼen reste encore


un peu, je travaille
en cherchant à
me persuader que
cela mʼintéresse
et surtout pour
ne pas penser à
autre chose.

Quel malheur
que je ne puisse
pas parler de
tout cela avec
vous et que cʼest
triste de ne
plus causer
ensemble comme
autrefois, et de
ne pas confondre
nos deux mélancolies,
ce qui nous
donnerait peutêtre
plus de forces pour
les supporter.


Merci pour lʼoffre
de votre médecin,
je lʼaccepterai
pour ma prochaine
maladie, car
la mienne
touche à sa
fin jʼespère.
Je vais mieux
et ce nʼest pas
trop tôt après
quatre semaines
et si le beau
temps venait
je guérirais
tout à fait et
je pourrais enfin
reprendre le
chemin de


Réveillon ; car je
suis bien malheureuse
dʼy sentir Suzette
toute seule.

Je passe au
troisième point
de votre lettre
les pillules laxatives
Merci aussi
pour cela !!! Je
nʼenai pas
besoin.

Mais comme
vous pensez à
tout !


Je sais que le
mari de Celeste
nʼa pas une
voiture qui
lui permette de


faire un grand
trajet. Mais
jʼespère toujours
quʼon va
reconstituer un
train pour la
Marne car on
lʼa réclamé à
la Compagnie
Pardon de vous
parler si longuement
de moi et de choses
si peu intéressantes
mais je vous
réponds.

Maintenant parlons
de vous. Je suis
désolée de vous
savoir si m mal
en train. Je vous
avais trouvé si
bien qua lʼannée
dernière
quand


je vous avais
recontré à la conference
de Reynaldo. Vous
aviez retrouvé votre
mine dʼautrefois.
Pourtant lʼannée
a été belle pour
vous au point
de vue littéraire
vous avez eu de
gros succès, qui
vous étaient bien
dûs. Cela a dû
vous faire plaisir
quand même.

Quand pourrai je
vous revoir ?
Je dois revenir
au mois de
Mai . Je vous
assure que ce serait
une joie pour moi

de vous revoir et de
causer.

Je vous embrasse

Madeleine Lemaire

Excusez le décousu de
ma lettre. Je suis
fatiguée


 
 
 
Surlignage

Mardi 6 avril

Mon cher Marcel

Je vous retrouve tout entier dans cette longue lettre que vous avez pris la peine de mʼécrire, et qui me touche et mʼamuse. Jʼespère quʼelle ne vous aura pas causé trop de fatigue et quant à moi

je vous assure quʼelle mʼa été bien agréable à lire. Il me semblait que je causais avec vous. Je réponds donc à ce que vous me dites. Je vous assure que nos mélancolies se ressemblent beaucoup car elles doivent avoir les mêmes causes, et que notre désenchantement général provient de lʼeffondrement auquel nous

assistons. Ne dites pas que votre état moral est incurable, car vous êtes jeune, et pouvez avoir lʼespoir dʼassister à une renaissance tandis que moi je nʼen aurai pas le temps ; et je ne puis finir mes jours que dans la tristesse. Malgré cela je tâche de réagir je fais appel à mon énergie croyant quʼil mʼen reste encore

un peu, je travaille en cherchant à me persuader que cela mʼintéresse et surtout pour ne pas penser à autre chose.

Quel malheur que je ne puisse pas parler de tout cela avec vous et que cʼest triste de ne plus causer ensemble comme autrefois, et de ne pas confondre nos deux mélancolies, ce qui nous donnerait peut-être plus de force pour les supporter.

Merci pour lʼoffre de votre médecin, je lʼaccepterai pour ma prochaine maladie, car la mienne touche à sa fin jʼespère. Je vais mieux et ce nʼest pas trop tôt après quatre semaines et si le beau temps venait je guérirais tout à fait et je pourrais enfin reprendre le chemin de

Réveillon ; car je suis bien malheureuse dʼy sentir Suzette toute seule.

Je passe au troisième point de votre lettre les pillules laxatives. Merci aussi pour cela !!! Je nʼen ai pas besoin.

Mais comme vous pensez à tout !

Je sais que le mari de Céleste nʼa pas une voiture qui lui permette de

faire un grand trajet. Mais jʼespère toujours quʼon va reconstituer un train pour la Marne car on lʼa réclamé à la Compagnie . Pardon de vous parler si longuement de moi et de choses si peu intéressantes mais je vous réponds.

Maintenant parlons de vous. Je suis désolée de vous savoir si m mal en train. Je vous avais trouvé si bien qua lʼannée dernière quand

je vous avais rencontré à la conférence de Reynaldo. Vous aviez retrouvé votre mine dʼautrefois. Pourtant lʼannée a été belle pour vous au point de vue littéraire, vous avez eu de gros succès, qui vous étaient bien dûs. Cela a dû vous faire plaisir quand même.

Quand pourrai-je vous revoir ? Je dois revenir au mois de mai . Je vous assure que ce serait une joie pour moi

de vous revoir et de causer.

Je vous embrasse

Madeleine Lemaire

Excusez le décousu de ma lettre. Je suis fatiguée.

     
Note n°1
Entre 1909 et 1920, 1915 est la seule année où le 6 avril tombe un mardi. [PK]
Note n°2
Lettre non retrouvée. [PK, FP]
Note n°3
Peut-être le docteur Maurice Bize. Peu après avoir reçu cette lettre de Madeleine Lemaire, Proust est convoqué à se présenter le 13 avril 1915 devant un Conseil de révision (CP 02930 et CP 05643) ; Bize rédige alors pour lui le 10 avril un nouveau certificat médical (CP 05640). [FP]
Note n°4
Selon les souvenirs de Céleste Albaret, son mari Odilon a été mobilisé dès le début de la guerre, même sʼil « a piétiné là tout un mois, ou peut-être même plus » avant de partir (Monsieur Proust, souvenirs recueillis par Georges Belmont, Robert Laffont, 1973, p. 39-40). Sa fiche militaire dans le registre matricule de la Seine confirme ces souvenirs : il avait rejoint son corps (19e Escadron du Train des équipages) dès le 3 août 1914, et avait été versé le 1er septembre 1914 au 13e Régiment dʼartillerie, où il est resté jusquʼau 1er juin 1916, date dʼune nouvelle affectation au Train des équipages. En 1915, il nʼétait donc plus chauffeur de taxi. [PK, FP, FL]
Note n°5
Reynaldo Hahn avait donné à lʼUniversité des Annales une série de conférences, « LʼArt du chant », du 23 novembre au 20 décembre 1913, puis du 29 avril au 18 mai 1914 (« Les Conférences de Reynaldo Hahn », Les Annales politiques et littéraires, 15 mars 1914, p. 229). Aucun document retrouvé ne permet dʼidentifier la séance à laquelle Proust et Madeleine Lemaire ont assisté. [FP, FL]
Note n°6
Le désir exprimé ici par Madeleine Lemaire de « revoir » Proust après, semble-t-il, ne pas lʼavoir vu depuis « lʼannée dernière  » (cʼest-à-dire entre le 27 avril et le 18 mai 1914 ; voir la note 5 ci-haut) rend incertaine la datation de la carte postale CP 02913 de Reynaldo Hahn à Proust (Kolb, XIV, nº 24). Hahn écrit : « Je sais que la Veuve [Mme Lemaire] a été vous voir : je me représente tout ce qui a entouré, précédé, marqué et suivi cette visite », ce qui semble situer sa carte postale après cette lettre de Madeleine Lemaire, datée du mardi 6 avril [1915]. Mais dʼautres éléments du texte de Hahn compliquent la datation de sa carte postale : voir CP 02913, notes 1 et 3. [FP]


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Date de mise en ligne : October 4, 2022 15:07
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03
Surlignage

Mardi 6 avril


Mon cher Marcel

Je vous retrouve
tout entier dans
cette longue lettre
que vous avez
pris la peine
de mʼécrire,
et qui me
touche et
mʼamuse. Jʼespère
quʼelle ne
vous aura pas
causé trop de
fatigue et
quant à moi


je vous assure
quʼelle mʼa été
bien agréable
à lire. Il me
semblait que
je causais avec
vous. Je réponds
donc à ce
que vous me
dites. Je vous
assure que nos
mélancolies se
ressemblent
beaucoup car
elles doivent
avoir les mêmes
causes, et que
notre désenchantement
général provient
de lʼeffondrement
auquel nous


assistons. Ne dites
pas que votre
état moral est
incurable, car vous
êtes jeune, et
pouvez avoir
lʼespoir dʼassister
à une renaissance
tandis que moi
je nʼen aurai pas
le temps ; et je ne
puis finir mes
jours que dans
la tristesse.
Malgré cela
je tâche de réagir
je fais appel à
mon énergie
croyant quʼil
mʼen reste encore


un peu, je travaille
en cherchant à
me persuader que
cela mʼintéresse
et surtout pour
ne pas penser à
autre chose.

Quel malheur
que je ne puisse
pas parler de
tout cela avec
vous et que cʼest
triste de ne
plus causer
ensemble comme
autrefois, et de
ne pas confondre
nos deux mélancolies,
ce qui nous
donnerait peutêtre
plus de forces pour
les supporter.


Merci pour lʼoffre
de votre médecin,
je lʼaccepterai
pour ma prochaine
maladie, car
la mienne
touche à sa
fin jʼespère.
Je vais mieux
et ce nʼest pas
trop tôt après
quatre semaines
et si le beau
temps venait
je guérirais
tout à fait et
je pourrais enfin
reprendre le
chemin de


Réveillon ; car je
suis bien malheureuse
dʼy sentir Suzette
toute seule.

Je passe au
troisième point
de votre lettre
les pillules laxatives
Merci aussi
pour cela !!! Je
nʼenai pas
besoin.

Mais comme
vous pensez à
tout !


Je sais que le
mari de Celeste
nʼa pas une
voiture qui
lui permette de


faire un grand
trajet. Mais
jʼespère toujours
quʼon va
reconstituer un
train pour la
Marne car on
lʼa réclamé à
la Compagnie
Pardon de vous
parler si longuement
de moi et de choses
si peu intéressantes
mais je vous
réponds.

Maintenant parlons
de vous. Je suis
désolée de vous
savoir si m mal
en train. Je vous
avais trouvé si
bien qua lʼannée
dernière
quand


je vous avais
recontré à la conference
de Reynaldo. Vous
aviez retrouvé votre
mine dʼautrefois.
Pourtant lʼannée
a été belle pour
vous au point
de vue littéraire
vous avez eu de
gros succès, qui
vous étaient bien
dûs. Cela a dû
vous faire plaisir
quand même.

Quand pourrai je
vous revoir ?
Je dois revenir
au mois de
Mai . Je vous
assure que ce serait
une joie pour moi

de vous revoir et de
causer.

Je vous embrasse

Madeleine Lemaire

Excusez le décousu de
ma lettre. Je suis
fatiguée


 
 
 
Surlignage

Mardi 6 avril

Mon cher Marcel

Je vous retrouve tout entier dans cette longue lettre que vous avez pris la peine de mʼécrire, et qui me touche et mʼamuse. Jʼespère quʼelle ne vous aura pas causé trop de fatigue et quant à moi

je vous assure quʼelle mʼa été bien agréable à lire. Il me semblait que je causais avec vous. Je réponds donc à ce que vous me dites. Je vous assure que nos mélancolies se ressemblent beaucoup car elles doivent avoir les mêmes causes, et que notre désenchantement général provient de lʼeffondrement auquel nous

assistons. Ne dites pas que votre état moral est incurable, car vous êtes jeune, et pouvez avoir lʼespoir dʼassister à une renaissance tandis que moi je nʼen aurai pas le temps ; et je ne puis finir mes jours que dans la tristesse. Malgré cela je tâche de réagir je fais appel à mon énergie croyant quʼil mʼen reste encore

un peu, je travaille en cherchant à me persuader que cela mʼintéresse et surtout pour ne pas penser à autre chose.

Quel malheur que je ne puisse pas parler de tout cela avec vous et que cʼest triste de ne plus causer ensemble comme autrefois, et de ne pas confondre nos deux mélancolies, ce qui nous donnerait peut-être plus de force pour les supporter.

Merci pour lʼoffre de votre médecin, je lʼaccepterai pour ma prochaine maladie, car la mienne touche à sa fin jʼespère. Je vais mieux et ce nʼest pas trop tôt après quatre semaines et si le beau temps venait je guérirais tout à fait et je pourrais enfin reprendre le chemin de

Réveillon ; car je suis bien malheureuse dʼy sentir Suzette toute seule.

Je passe au troisième point de votre lettre les pillules laxatives. Merci aussi pour cela !!! Je nʼen ai pas besoin.

Mais comme vous pensez à tout !

Je sais que le mari de Céleste nʼa pas une voiture qui lui permette de

faire un grand trajet. Mais jʼespère toujours quʼon va reconstituer un train pour la Marne car on lʼa réclamé à la Compagnie . Pardon de vous parler si longuement de moi et de choses si peu intéressantes mais je vous réponds.

Maintenant parlons de vous. Je suis désolée de vous savoir si m mal en train. Je vous avais trouvé si bien qua lʼannée dernière quand

je vous avais rencontré à la conférence de Reynaldo. Vous aviez retrouvé votre mine dʼautrefois. Pourtant lʼannée a été belle pour vous au point de vue littéraire, vous avez eu de gros succès, qui vous étaient bien dûs. Cela a dû vous faire plaisir quand même.

Quand pourrai-je vous revoir ? Je dois revenir au mois de mai . Je vous assure que ce serait une joie pour moi

de vous revoir et de causer.

Je vous embrasse

Madeleine Lemaire

Excusez le décousu de ma lettre. Je suis fatiguée.

     
Note n°1
Entre 1909 et 1920, 1915 est la seule année où le 6 avril tombe un mardi. [PK]
Note n°2
Lettre non retrouvée. [PK, FP]
Note n°3
Peut-être le docteur Maurice Bize. Peu après avoir reçu cette lettre de Madeleine Lemaire, Proust est convoqué à se présenter le 13 avril 1915 devant un Conseil de révision (CP 02930 et CP 05643) ; Bize rédige alors pour lui le 10 avril un nouveau certificat médical (CP 05640). [FP]
Note n°4
Selon les souvenirs de Céleste Albaret, son mari Odilon a été mobilisé dès le début de la guerre, même sʼil « a piétiné là tout un mois, ou peut-être même plus » avant de partir (Monsieur Proust, souvenirs recueillis par Georges Belmont, Robert Laffont, 1973, p. 39-40). Sa fiche militaire dans le registre matricule de la Seine confirme ces souvenirs : il avait rejoint son corps (19e Escadron du Train des équipages) dès le 3 août 1914, et avait été versé le 1er septembre 1914 au 13e Régiment dʼartillerie, où il est resté jusquʼau 1er juin 1916, date dʼune nouvelle affectation au Train des équipages. En 1915, il nʼétait donc plus chauffeur de taxi. [PK, FP, FL]
Note n°5
Reynaldo Hahn avait donné à lʼUniversité des Annales une série de conférences, « LʼArt du chant », du 23 novembre au 20 décembre 1913, puis du 29 avril au 18 mai 1914 (« Les Conférences de Reynaldo Hahn », Les Annales politiques et littéraires, 15 mars 1914, p. 229). Aucun document retrouvé ne permet dʼidentifier la séance à laquelle Proust et Madeleine Lemaire ont assisté. [FP, FL]
Note n°6
Le désir exprimé ici par Madeleine Lemaire de « revoir » Proust après, semble-t-il, ne pas lʼavoir vu depuis « lʼannée dernière  » (cʼest-à-dire entre le 27 avril et le 18 mai 1914 ; voir la note 5 ci-haut) rend incertaine la datation de la carte postale CP 02913 de Reynaldo Hahn à Proust (Kolb, XIV, nº 24). Hahn écrit : « Je sais que la Veuve [Mme Lemaire] a été vous voir : je me représente tout ce qui a entouré, précédé, marqué et suivi cette visite », ce qui semble situer sa carte postale après cette lettre de Madeleine Lemaire, datée du mardi 6 avril [1915]. Mais dʼautres éléments du texte de Hahn compliquent la datation de sa carte postale : voir CP 02913, notes 1 et 3. [FP]


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Date de mise en ligne : October 4, 2022 15:07
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03
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