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CP 01930 Marcel Proust à Reynaldo Hahn [le jeudi soir 21 janvier 1909]

Surlignage

Mon Funinels

Personne ni St Victor, ni
Gautier, ni Berlioz, ni le
défunt surfait
, ni Ste Beuve, ni
Wagner, n’eussent pu écrire cela.
C’est magnifique, exquis, sublime.
Comme dit France c’est un breuvage
de sorcellerie où il y a du sang de tigre
et des fleurs
. Quel malheur qu’un
mot sur Ronay ne permette pas de
l’envoyer à Bosnier pour sa
revue des Journaux ! Peut’être
dans ces pages que j’aurais été trop


incapable d’écrire pour oser les
critiquer, y aurait-il pourtant
un changement léger à introduire
pour le jour inévitable et
glorieux de la réunion en
volume. L’image de l’embrasement
au simple reflet d’un rayon est
admirable. Mais il me semble qu’il ne
faudrait pas que ce fut un volcan, dont
l’embrasement si je n’embrouille pas
ma géologie est tout interne,
aborigène. On pourrait mettre deux
images successives, le volcan
pour la seconde seulement, pour sa lave et ses cascades.
Enfin je crois qu’on pourrait alléger ainsi la
phrase (emporté dans un gouffre incandescent) en disant à la
place : on est emporté, on s’abandonne, on roule au
gouffre incandescent. Peut’etre « dans un » est inutile
tant ce gouffre est désigné.

Hasgouen et adgs-
miration de


Bunchnt-Nidoulss

Surlignage

Mon Funinels

Personne ni Saint-Victor, ni Gautier, ni Berlioz, ni le défunt surfait, ni Sainte-Beuve, ni Wagner, n’eussent pu écrire cela. C’est magnifique, exquis, sublime. Comme dit France c’est un breuvage de sorcellerie où il y a du sang de tigre et des fleurs . Quel malheur qu’un mot sur Raunay ne permette pas de l’envoyer à Beaunier pour la revue des journaux ! Peut-être dans ces pages que j’aurais été tropincapable d’écrire pour oser les critiquer, y aurait-il pourtant un changement léger à introduire pour le jour inévitable et glorieux de la réunion en volume. L’image de l’embrasement au simple reflet d’un rayon est admirable. Mais il me semble qu’il ne faudrait pas que ce fût un volcan, dont l’embrasement si je n’embrouille pas ma géologie est tout interne, aborigène. On pourrait mettre deux images successives, le volcanpour la seconde seulement, pour sa lave et ses cascades. Enfin je crois qu’on pourrait alléger ainsi la phrase (emporté dans un gouffre incandescent) en disant à la place : on est emporté, on s’abandonne, on roule au gouffre incandescent. Peut-être « dans un » est inutile tant ce gouffre est désigné.

Hasgouen et adgsmiration de

Bunchnt-Nidoulss

Note n°1
Cette lettre a dû être écrite le jeudi soir 21 janvier 1909  : allusion à un article paru ce jour-là et que le destinataire aura apporté à Proust le même soir. Voir les notes 3, 6 et 7 ci-après. [PK]
Note n°2
Saint-Victor est un des premiers membres de l’Académie Goncourt, auteur notamment de Hommes et dieux, études d’histoire et de littérature (1867). [PK]
Note n°3
Allusion à la seconde partie d’un article de Reynaldo Hahn paru dans Les Nouvelles du jeudi 21 janvier 1909, « Concerts Lamoureux : "La Sulamite" d’Emmanuel Chabrier — Ernest Reyer », p. 4. Hahn parle de la mort de Reyer, décédé le 12 janvier, en ces termes : « Le défunt, que la plupart d’entre eux accablaient durant sa vie de pénibles “vérités”, revêt soudain, par sa mort, non seulement toutes les vertus artistiques, mais aussi tous les agréments de l’âme et de l’esprit, sans compter ceux de la conversation. [...] On le disait encombrant jadis. Maintenant on le déclare méconnu ». Reyer, compositeur des opéras Sigurd (1885) et Salammbô (1892). Depuis 1866, il rédigeait la critique musicale au Journal des Débats. [PK]
Note n°4
« Le style de Barbey d’Aurevilly est quelque chose qui m’a toujours étonné. Il est violent et il est délicat, il est brutal et il est exquis. N’est-ce pas Saint-Victor qui le comparait à ces breuvages de la sorcellerie où il entrait à la fois des fleurs et des serpents, du sang de tigre et du miel ? C’est un mets d’enfer ; du moins il n’est pas fade ». Anatole France, La Vie littéraire, troisième série, Paris, Calmann-Lévy, 1891, p. 44. Cet article sur Barbey d’Aurevilly avait dʼabord été publié dans Le Temps, le 28 avril 1889, page 2, dans la rubrique « La Vie littéraire ». [PK]
Note n°5
Allusion à Jeanne Raunay, interprète du rôle de la Sulamite. Elle s’était mariée en février 1908 avec le critique André Beaunier, collaborateur du Figaro. Voir la lettre de Proust à Reynaldo Hahn du [24 octobre 1908] (CP 01880 ; Kolb, VIII, n° 136, note 6) et la note suivante. [PK, JA]
Note n°6
Dans l’article cité, parlant des femmes qui entourent la Sulamite, Reynaldo Hahn écrit : « Et l’héroïne, d’abord mièvre, si dolente, les domine maintenant, les écrase ; ses formes jeunes et gracieuses ont pris peu à peu de la puissance, une majesté robuste, musclée, l’aspect — corporel seulement — de certaines jeunes femmes de Raphaël, la Psyché, la Galatée, les Sibylles. Toutes les forces de l’orchestre et de la voix sont déchaînées : nul souci de goût, de mesure ou d’adaptation ne les commande : c’est un immense flot, un formidable torrent de volupté ; on s’abandonne, on roule, on est emporté dans un gouffre incandescent ». [PK]
Note n°7
« Lui, Chabrier, résiste à la fougue de son sang, maîtriser les écarts, les bonds, les envolées fulgurantes de son invention tumultueuse, ce volcan, qui s’embrasait au reflet du plus faible rayon, ne pas éclater en cascades de lave au contact brûlant de la Sulamite ! ». Voir Reynaldo Hahn, « Concerts Lamoureux : "La Sulamite" d’Emmanuel Chabrier — Ernest Reyer », article cité. [PK]
Note n°8
Voir la note 6 ci-dessus. [PK]
Note n°9
« Hasgouen  », variante de « Hasdieu », terme inventé par Proust. [JA]
Note
Reynaldo Hahn Les Nouvelles Concerts Lamoureux : "La Sulamite" d’Emmanuel Chabrier. Ernest Reyer 21 janvier 1909


Mots-clefs :élogelansgage et codeslecturesmusiquepresse
Date de mise en ligne : February 23, 2024 16:22
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03
Surlignage

Mon Funinels

Personne ni St Victor, ni
Gautier, ni Berlioz, ni le
défunt surfait
, ni Ste Beuve, ni
Wagner, n’eussent pu écrire cela.
C’est magnifique, exquis, sublime.
Comme dit France c’est un breuvage
de sorcellerie où il y a du sang de tigre
et des fleurs
. Quel malheur qu’un
mot sur Ronay ne permette pas de
l’envoyer à Bosnier pour sa
revue des Journaux ! Peut’être
dans ces pages que j’aurais été trop


incapable d’écrire pour oser les
critiquer, y aurait-il pourtant
un changement léger à introduire
pour le jour inévitable et
glorieux de la réunion en
volume. L’image de l’embrasement
au simple reflet d’un rayon est
admirable. Mais il me semble qu’il ne
faudrait pas que ce fut un volcan, dont
l’embrasement si je n’embrouille pas
ma géologie est tout interne,
aborigène. On pourrait mettre deux
images successives, le volcan
pour la seconde seulement, pour sa lave et ses cascades.
Enfin je crois qu’on pourrait alléger ainsi la
phrase (emporté dans un gouffre incandescent) en disant à la
place : on est emporté, on s’abandonne, on roule au
gouffre incandescent. Peut’etre « dans un » est inutile
tant ce gouffre est désigné.

Hasgouen et adgs-
miration de


Bunchnt-Nidoulss

Surlignage

Mon Funinels

Personne ni Saint-Victor, ni Gautier, ni Berlioz, ni le défunt surfait, ni Sainte-Beuve, ni Wagner, n’eussent pu écrire cela. C’est magnifique, exquis, sublime. Comme dit France c’est un breuvage de sorcellerie où il y a du sang de tigre et des fleurs . Quel malheur qu’un mot sur Raunay ne permette pas de l’envoyer à Beaunier pour la revue des journaux ! Peut-être dans ces pages que j’aurais été tropincapable d’écrire pour oser les critiquer, y aurait-il pourtant un changement léger à introduire pour le jour inévitable et glorieux de la réunion en volume. L’image de l’embrasement au simple reflet d’un rayon est admirable. Mais il me semble qu’il ne faudrait pas que ce fût un volcan, dont l’embrasement si je n’embrouille pas ma géologie est tout interne, aborigène. On pourrait mettre deux images successives, le volcanpour la seconde seulement, pour sa lave et ses cascades. Enfin je crois qu’on pourrait alléger ainsi la phrase (emporté dans un gouffre incandescent) en disant à la place : on est emporté, on s’abandonne, on roule au gouffre incandescent. Peut-être « dans un » est inutile tant ce gouffre est désigné.

Hasgouen et adgsmiration de

Bunchnt-Nidoulss

Note n°1
Cette lettre a dû être écrite le jeudi soir 21 janvier 1909  : allusion à un article paru ce jour-là et que le destinataire aura apporté à Proust le même soir. Voir les notes 3, 6 et 7 ci-après. [PK]
Note n°2
Saint-Victor est un des premiers membres de l’Académie Goncourt, auteur notamment de Hommes et dieux, études d’histoire et de littérature (1867). [PK]
Note n°3
Allusion à la seconde partie d’un article de Reynaldo Hahn paru dans Les Nouvelles du jeudi 21 janvier 1909, « Concerts Lamoureux : "La Sulamite" d’Emmanuel Chabrier — Ernest Reyer », p. 4. Hahn parle de la mort de Reyer, décédé le 12 janvier, en ces termes : « Le défunt, que la plupart d’entre eux accablaient durant sa vie de pénibles “vérités”, revêt soudain, par sa mort, non seulement toutes les vertus artistiques, mais aussi tous les agréments de l’âme et de l’esprit, sans compter ceux de la conversation. [...] On le disait encombrant jadis. Maintenant on le déclare méconnu ». Reyer, compositeur des opéras Sigurd (1885) et Salammbô (1892). Depuis 1866, il rédigeait la critique musicale au Journal des Débats. [PK]
Note n°4
« Le style de Barbey d’Aurevilly est quelque chose qui m’a toujours étonné. Il est violent et il est délicat, il est brutal et il est exquis. N’est-ce pas Saint-Victor qui le comparait à ces breuvages de la sorcellerie où il entrait à la fois des fleurs et des serpents, du sang de tigre et du miel ? C’est un mets d’enfer ; du moins il n’est pas fade ». Anatole France, La Vie littéraire, troisième série, Paris, Calmann-Lévy, 1891, p. 44. Cet article sur Barbey d’Aurevilly avait dʼabord été publié dans Le Temps, le 28 avril 1889, page 2, dans la rubrique « La Vie littéraire ». [PK]
Note n°5
Allusion à Jeanne Raunay, interprète du rôle de la Sulamite. Elle s’était mariée en février 1908 avec le critique André Beaunier, collaborateur du Figaro. Voir la lettre de Proust à Reynaldo Hahn du [24 octobre 1908] (CP 01880 ; Kolb, VIII, n° 136, note 6) et la note suivante. [PK, JA]
Note n°6
Dans l’article cité, parlant des femmes qui entourent la Sulamite, Reynaldo Hahn écrit : « Et l’héroïne, d’abord mièvre, si dolente, les domine maintenant, les écrase ; ses formes jeunes et gracieuses ont pris peu à peu de la puissance, une majesté robuste, musclée, l’aspect — corporel seulement — de certaines jeunes femmes de Raphaël, la Psyché, la Galatée, les Sibylles. Toutes les forces de l’orchestre et de la voix sont déchaînées : nul souci de goût, de mesure ou d’adaptation ne les commande : c’est un immense flot, un formidable torrent de volupté ; on s’abandonne, on roule, on est emporté dans un gouffre incandescent ». [PK]
Note n°7
« Lui, Chabrier, résiste à la fougue de son sang, maîtriser les écarts, les bonds, les envolées fulgurantes de son invention tumultueuse, ce volcan, qui s’embrasait au reflet du plus faible rayon, ne pas éclater en cascades de lave au contact brûlant de la Sulamite ! ». Voir Reynaldo Hahn, « Concerts Lamoureux : "La Sulamite" d’Emmanuel Chabrier — Ernest Reyer », article cité. [PK]
Note n°8
Voir la note 6 ci-dessus. [PK]
Note n°9
« Hasgouen  », variante de « Hasdieu », terme inventé par Proust. [JA]
Note
Reynaldo Hahn Les Nouvelles Concerts Lamoureux : "La Sulamite" d’Emmanuel Chabrier. Ernest Reyer 21 janvier 1909


Mots-clefs :élogelansgage et codeslecturesmusiquepresse
Date de mise en ligne : February 23, 2024 16:22
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03
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