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CP 01789 Marcel Proust à madame Straus [seconde quinzaine d'avril 1908]

Surlignage


Madame,

Je suis bien triste que vous
nʼalliez pas bien, bien
triste que nos « traitements »
nous séparent, sans nous
améliorer. Je me dis que
si je montais des étages jʼ
irais encore plus mal et
que si vous voyiez du monde
à Paris au lieu dʼetre en
Suisse vous seriez encore plus


fatiguée. Cʼest la chance de
la médecine que notre
impossibilité de savoir ce qui
serait arrivé si toutes choses
étant restées les mêmes nous
avions suivi une autre hygiène.
Car les choses ne sont jamais les
mêmes, et comment démêler
la part du temps, de mille
causes inconnues, les caprices
de la maladie elle-même.
Nous avons pris – ou plutot moi
j’ai pris un triste pli avec vous
depuis quelque temps. Dès que je suis près de vous
je suis paralysé par une timidité inconnue,
je sens un abime entre nous et je deviens dʼ
une stupidité qui m’exaspère dʼautant
plus quʼelle se manifeste devant vous, et
qu’hors de votre présence elle n’est pas
toujours si constante. Le sentiment que vous me
considérez comme une boîte à potins, la
nécessité de vous en fournir de nouveaux
et de scandaleux y est peutʼêtre pour quelquechose.
J’en suis en ce moment bien démuni car depuis
que je ne vous ai vu je ne suis presque pas
sorti de chez moi et chez moi je ne vois
personne. Ce nʼest guères que Reynaldo qui
me dit de temps en temps ce qui se passe dans
le « monde » où je ne vais jamais. Mais le fait d’
en avoir connu chez vous autrefois les différents
personnages me permet de m’intéresser plus
facilement à ses récits. Je
sais que Me de Fitz James
votre amie (et qui fut
même la mienne !) a
rencontré lʼautre jour M.
Joseph de Gontaut
qui lui
a reproché de ne jamais lʼ
inviter. Elle lui a répondu
« Mais oui, je vous inviterai...
eh ! bien non je ne pourrais
pas, vous me rappelleriez trop
mon pauvre Robert ! ». Mot
dʼune authenticité indiscutable
raconté par trois personnes présentes.
Sa rivale a eu quelques mots
agréables. Mais vraiment vous
raconter les mots des autres
– excepté les mots involontaires
– c’est trop stupide. Dans
la moindre carte postale de
vous il y a tellement mieux
par exemple dans la dernière : «
On nʼattend que moi.  »
Je vois tout le temps dans les
journaux des annonces d’
expositions qui me tentent.
Mais je me dis que j’attendrai
toujours pour aller revoir des
tableaux que nous puissions
y aller ensemble. Et du
reste je n’en ai jamais revu depuis le jour où
jʼavais été avec vous chez Durand Ruel voir
les admirables Nymphéas de Claude Monet.
Je crois que le dernier soir où je suis allé chez
vous
est celui où Helleu m’attendait. Ima-
ginez-vous que jʼai eu lʼimprudence de lui dire
d’un tableau de Versailles, dʼune étude, que cʼ
était ce qu’il avait jamais fait de mieux. Quelques
jours après je le recevais ! Je suis tellement confus
de sa bonté que je ne sais que faire et je voudrais
trouver quelque chose de joli qui lui fasse
plaisir pour le remercier. Tout le monde est
tellement gentil pour moi que cela me rend malheureux
de ne pas savoir moi comment faire plaisir.

Adieu Madame j’espère que vous allez bientôt
revenir et que je pourrai aller vous voir
Votre respectueux admirateur qui vous aime

Marcel Proust

Jʼai écrit dernierement une lettre dʼune
extrême tendresse à Jacques. Mais il ne m’
a jamais répondu.

Surlignage

Madame,

Je suis bien triste que vous nʼalliez pas bien, bien triste que nos « traitements » nous séparent, sans nous améliorer. Je me dis que si je montais des étages jʼirais encore plus mal et que si vous voyiez du monde à Paris au lieu dʼêtre en Suisse vous seriez encore plus fatiguée. Cʼest la chance de la médecine que notre impossibilité de savoir ce qui serait arrivé si toutes choses étant restées les mêmes nous avions suivi une autre hygiène. Car les choses ne sont jamais les mêmes, et comment démêler la part du temps, de mille causes inconnues, les caprices de la maladie elle-même. Nous avons pris – ou plutôt moi j’ai pris un triste pli avec vous depuis quelque temps. Dès que je suis près de vous je suis paralysé par une timidité inconnue, je sens un abîme entre nous et je deviens dʼune stupidité qui m’exaspère dʼautant plus quʼelle se manifeste devant vous, et qu’hors de votre présence elle n’est pas toujours si constante. Le sentiment que vous me considérez comme une boîte à potins, la nécessité de vous en fournir de nouveaux et de scandaleux y est peut-être pour quelque chose. J’en suis en ce moment bien démuni car depuis que je ne vous ai vue je ne suis presque pas sorti de chez moi et chez moi je ne vois personne. Ce nʼest guères que Reynaldo qui me dit de temps en temps ce qui se passe dans le « monde » où je ne vais jamais. Mais le fait d’en avoir connu chez vous autrefois les différents personnages me permet de m’intéresser plus facilement à ses récits. Je sais que Mme de Fitz-James votre amie (et qui fut même la mienne !) a rencontré lʼautre jour M. Joseph de Gontaut qui lui a reproché de ne jamais lʼinviter. Elle lui a répondu « Mais oui, je vous inviterai... eh ! bien non je ne pourrais pas, vous me rappelleriez trop mon pauvre Robert ! ». Mot dʼune authenticité indiscutable raconté par trois personnes présentes. Sa rivale a eu quelques mots agréables. Mais vraiment vous raconter les mots des autres – excepté les mots involontaires – c’est trop stupide. Dans la moindre carte postale de vous il y a tellement mieux par exemple dans la dernière : « On nʼattend que moi.  » Je vois tout le temps dans les journaux des annonces d’expositions qui me tentent. Mais je me dis que j’attendrai toujours pour aller revoir des tableaux que nous puissions y aller ensemble. Et du reste je n’en ai jamais revu depuis le jour où jʼavais été avec vous chez Durand-Ruel voir les admirables Nymphéas de Claude Monet. Je crois que le dernier soir où je suis allé chez vous est celui où Helleu m’attendait. Imaginez-vous que jʼai eu lʼimprudence de lui dire d’un tableau de Versailles, dʼune étude, que cʼétait ce qu’il avait jamais fait de mieux. Quelques jours après je le recevais ! Je suis tellement confus de sa bonté que je ne sais que faire et je voudrais trouver quelque chose de joli qui lui fasse plaisir pour le remercier. Tout le monde est tellement gentil pour moi que cela me rend malheureux de ne pas savoir moi comment faire plaisir.

Adieu Madame j’espère que vous allez bientôt revenir et que je pourrai aller vous voir. Votre respectueux admirateur qui vous aime

Marcel Proust

Jʼai écrit dernièrement une lettre dʼune extrême tendresse à Jacques. Mais il ne m’a jamais répondu.

Note n°1
Cette lettre avait été datée par erreur, semble-t-il, dʼaprès une enveloppe de quart de deuil portant le cachet postal de « VER[SAILLE]S / SEINE ET OISE / 20 20 / 27 -10 / 08 » (CP 90030), qui est également associée à la présente lettre dans le registre numérisé de la Bibliothèque nationale de France (NAF 19742, f. 181v-182r). Néanmoins, il est évident que Proust écrit cette lettre de Paris et non de Versailles. Le papier de lʼoriginal est identique à celui de la lettre à Albufera datée du [mercredi 15 avril 1908] (CP 01787 ; Kolb, VIII, n° 43). En outre, lʼallusion au traitement que la destinataire suit « en Suisse » et le souhait qu’elle puisse « bientôt revenir  » semblent situer cette lettre dans la seconde quinzaine dʼavril 1908 (voir la note 2 ci-après). [PK, ChC]
Note n°2
Mme Straus se trouve d’abord à Valmont-sur-Territet (« Avis Mondains », Le Figaro, 8 avril 1908, p. 5), puis à Territet avant de rentrer à Paris au mois de mai. Cf. les lettres de Proust à sa mère du [14 septembre 1899] (CP 00514 ; Kolb, II, n° 208, note 4) et de Proust à Mme Straus du [9 avril 1905] (CP 01184 ; Kolb, V, n° 47, note 2), où Proust fait allusion au sanatorium du Docteur Widmer, près de Montreux sur le lac de Genève. [PK]
Note n°3
Voir la lettre de Proust à Lucien Daudet (CP 00975 ; Kolb, IV, n° 79, note 5). [PK]
Note n°4
Le comte Joseph de Gontaut-Biron est député des Basses-Pyrénées de 1900 à 1906 et de 1910 à 1914, puis sénateur de 1906 à 1909. Il est membre du Jockey, du Polo de Paris et du Cercle de la rue Royale. [PK]
Note n°5
Nous ignorons qui était cette « rivale  ». [PK]
Note n°7génétique
Une exposition donnée à la galerie Durand-Ruel, rue Laffitte, du 22 novembre au 15 décembre 1900, avait présenté les « Œuvres récentes de Claude Monet », dont la série de neuf toiles datant de 1899 et réunies sous le titre Bassin aux nymphéas, entre autres « Harmonie verte », actuellement au Musée d’Orsay (voir le compte rendu d’Arsène Alexandre « La vie artistique : Exposition Claude Monet », Le Figaro, 23 novembre 1908, p. 5 ; La Chronique des arts et de la curiosité, 23 novembre 1900, p. 359, et 1er décembre 1900, p. 363). Chacun de ces tableaux est une variation de couleurs d’une composition presque identique : un pont japonais, un bois touffu et un bassin de nymphéas (Kazuyoshi Yoshikawa, Proust et l’art pictural, Paris, Honoré Champion, 2010, p. 150 et 157). Proust parle de lʼœuvre de Claude Monet dans son article sur Mme de Noailles (« Les Éblouissements », Le Figaro. Supplément littéraire, 15 juin 1907, p. 1) évoquant « ces tendres nymphéas que le maître a dépeints dans des toiles sublimes dont ce jardin (vraie transposition d’art plus encore que modèle de tableaux, tableau déjà exécuté à même la nature qui sʼéclaire an dessous du regard dʼun grand peintre) est comme une première et vivante esquisse, tout au moins la palette est déjà faite et délicieuse où les tons harmonieux sont préparés » (EA, p. 539-540 ; Essais, p. 292-293). — Si Proust s’inspire certainement des promenades au Pré-Catelan à Illiers pour le paysage des deux « côtés » (75 f., p. 290 et suiv.), dont le plus ancien brouillon connu à ce jour se trouve dans les « soixante-quinze feuillets », certains éléments des Nymphéas de Monet semblent se retrouver aussi dans ces descriptions. Ces morceaux anciens sur « Le côté de Villebon et le côté de Meséglise » reprennent l’image d’un petit pont traversant un filet d’eau, entouré d’une riche végétation, notamment au f. 28 : « Mais là-bas c’était un filet d’eau dormante qu’on passait sur un pont de bois […], entre les nénuphars et les boutons d’or de la rive [...] » (ibid., p. 54) et aux f. 35-36 : « […] le mince filet d’eau entièrement couvert par endroits de nénuphars, de plantes vertes, de boutons d’or qu’une planche de bois traversait si facilement avant d’arriver au parc » (ibid., p. 61-62). (Pour la suite des étapes génétiques concernant les nymphéas, voir K. Yoshikawa, « Monet et les nymphéas de Combray », op. cit., p. 149-168.) [PK, ChC]
Note n°8
Le peintre et graveur Paul-César Helleu fait renvoyer à Proust, après un premier refus de ce dernier, son tableau Automne versaillais (Trois femmes dans le parc de Versailles) avec la dédicace « à mon ami Marcel Proust » (voir K. Yoshikawa, Proust et l’art pictural, op. cit., p. 207). Le tableau est conservé aujourdʼhui au musée des Beaux-Arts de Brest (dépôt du musée dʼOrsay). À propos de ce cadeau, voir la lettre de remerciements de Proust à Paul Helleu de [vers la fin de février 1908] (CP 01763 ; Kolb, VIII, n° 19) et la lettre à Mme Catusse des [premiers jours de mars 1908] (CP 01766 ; Kolb, VIII, n° 22). [PK, ChC]
Note
Claude Monet Bassin aux nymphéas 1899
Note
Paul Helleu Automne versaillais 1908


Mots-clefs :arts visuelscadeaumondanitéssantésorties
Date de mise en ligne : March 14, 2024 11:31
Date de la dernière mise à jour : September 16, 2024 16:08
Surlignage


Madame,

Je suis bien triste que vous
nʼalliez pas bien, bien
triste que nos « traitements »
nous séparent, sans nous
améliorer. Je me dis que
si je montais des étages jʼ
irais encore plus mal et
que si vous voyiez du monde
à Paris au lieu dʼetre en
Suisse vous seriez encore plus


fatiguée. Cʼest la chance de
la médecine que notre
impossibilité de savoir ce qui
serait arrivé si toutes choses
étant restées les mêmes nous
avions suivi une autre hygiène.
Car les choses ne sont jamais les
mêmes, et comment démêler
la part du temps, de mille
causes inconnues, les caprices
de la maladie elle-même.
Nous avons pris – ou plutot moi
j’ai pris un triste pli avec vous
depuis quelque temps. Dès que je suis près de vous
je suis paralysé par une timidité inconnue,
je sens un abime entre nous et je deviens dʼ
une stupidité qui m’exaspère dʼautant
plus quʼelle se manifeste devant vous, et
qu’hors de votre présence elle n’est pas
toujours si constante. Le sentiment que vous me
considérez comme une boîte à potins, la
nécessité de vous en fournir de nouveaux
et de scandaleux y est peutʼêtre pour quelquechose.
J’en suis en ce moment bien démuni car depuis
que je ne vous ai vu je ne suis presque pas
sorti de chez moi et chez moi je ne vois
personne. Ce nʼest guères que Reynaldo qui
me dit de temps en temps ce qui se passe dans
le « monde » où je ne vais jamais. Mais le fait d’
en avoir connu chez vous autrefois les différents
personnages me permet de m’intéresser plus
facilement à ses récits. Je
sais que Me de Fitz James
votre amie (et qui fut
même la mienne !) a
rencontré lʼautre jour M.
Joseph de Gontaut
qui lui
a reproché de ne jamais lʼ
inviter. Elle lui a répondu
« Mais oui, je vous inviterai...
eh ! bien non je ne pourrais
pas, vous me rappelleriez trop
mon pauvre Robert ! ». Mot
dʼune authenticité indiscutable
raconté par trois personnes présentes.
Sa rivale a eu quelques mots
agréables. Mais vraiment vous
raconter les mots des autres
– excepté les mots involontaires
– c’est trop stupide. Dans
la moindre carte postale de
vous il y a tellement mieux
par exemple dans la dernière : «
On nʼattend que moi.  »
Je vois tout le temps dans les
journaux des annonces d’
expositions qui me tentent.
Mais je me dis que j’attendrai
toujours pour aller revoir des
tableaux que nous puissions
y aller ensemble. Et du
reste je n’en ai jamais revu depuis le jour où
jʼavais été avec vous chez Durand Ruel voir
les admirables Nymphéas de Claude Monet.
Je crois que le dernier soir où je suis allé chez
vous
est celui où Helleu m’attendait. Ima-
ginez-vous que jʼai eu lʼimprudence de lui dire
d’un tableau de Versailles, dʼune étude, que cʼ
était ce qu’il avait jamais fait de mieux. Quelques
jours après je le recevais ! Je suis tellement confus
de sa bonté que je ne sais que faire et je voudrais
trouver quelque chose de joli qui lui fasse
plaisir pour le remercier. Tout le monde est
tellement gentil pour moi que cela me rend malheureux
de ne pas savoir moi comment faire plaisir.

Adieu Madame j’espère que vous allez bientôt
revenir et que je pourrai aller vous voir
Votre respectueux admirateur qui vous aime

Marcel Proust

Jʼai écrit dernierement une lettre dʼune
extrême tendresse à Jacques. Mais il ne m’
a jamais répondu.

Surlignage

Madame,

Je suis bien triste que vous nʼalliez pas bien, bien triste que nos « traitements » nous séparent, sans nous améliorer. Je me dis que si je montais des étages jʼirais encore plus mal et que si vous voyiez du monde à Paris au lieu dʼêtre en Suisse vous seriez encore plus fatiguée. Cʼest la chance de la médecine que notre impossibilité de savoir ce qui serait arrivé si toutes choses étant restées les mêmes nous avions suivi une autre hygiène. Car les choses ne sont jamais les mêmes, et comment démêler la part du temps, de mille causes inconnues, les caprices de la maladie elle-même. Nous avons pris – ou plutôt moi j’ai pris un triste pli avec vous depuis quelque temps. Dès que je suis près de vous je suis paralysé par une timidité inconnue, je sens un abîme entre nous et je deviens dʼune stupidité qui m’exaspère dʼautant plus quʼelle se manifeste devant vous, et qu’hors de votre présence elle n’est pas toujours si constante. Le sentiment que vous me considérez comme une boîte à potins, la nécessité de vous en fournir de nouveaux et de scandaleux y est peut-être pour quelque chose. J’en suis en ce moment bien démuni car depuis que je ne vous ai vue je ne suis presque pas sorti de chez moi et chez moi je ne vois personne. Ce nʼest guères que Reynaldo qui me dit de temps en temps ce qui se passe dans le « monde » où je ne vais jamais. Mais le fait d’en avoir connu chez vous autrefois les différents personnages me permet de m’intéresser plus facilement à ses récits. Je sais que Mme de Fitz-James votre amie (et qui fut même la mienne !) a rencontré lʼautre jour M. Joseph de Gontaut qui lui a reproché de ne jamais lʼinviter. Elle lui a répondu « Mais oui, je vous inviterai... eh ! bien non je ne pourrais pas, vous me rappelleriez trop mon pauvre Robert ! ». Mot dʼune authenticité indiscutable raconté par trois personnes présentes. Sa rivale a eu quelques mots agréables. Mais vraiment vous raconter les mots des autres – excepté les mots involontaires – c’est trop stupide. Dans la moindre carte postale de vous il y a tellement mieux par exemple dans la dernière : « On nʼattend que moi.  » Je vois tout le temps dans les journaux des annonces d’expositions qui me tentent. Mais je me dis que j’attendrai toujours pour aller revoir des tableaux que nous puissions y aller ensemble. Et du reste je n’en ai jamais revu depuis le jour où jʼavais été avec vous chez Durand-Ruel voir les admirables Nymphéas de Claude Monet. Je crois que le dernier soir où je suis allé chez vous est celui où Helleu m’attendait. Imaginez-vous que jʼai eu lʼimprudence de lui dire d’un tableau de Versailles, dʼune étude, que cʼétait ce qu’il avait jamais fait de mieux. Quelques jours après je le recevais ! Je suis tellement confus de sa bonté que je ne sais que faire et je voudrais trouver quelque chose de joli qui lui fasse plaisir pour le remercier. Tout le monde est tellement gentil pour moi que cela me rend malheureux de ne pas savoir moi comment faire plaisir.

Adieu Madame j’espère que vous allez bientôt revenir et que je pourrai aller vous voir. Votre respectueux admirateur qui vous aime

Marcel Proust

Jʼai écrit dernièrement une lettre dʼune extrême tendresse à Jacques. Mais il ne m’a jamais répondu.

Note n°1
Cette lettre avait été datée par erreur, semble-t-il, dʼaprès une enveloppe de quart de deuil portant le cachet postal de « VER[SAILLE]S / SEINE ET OISE / 20 20 / 27 -10 / 08 » (CP 90030), qui est également associée à la présente lettre dans le registre numérisé de la Bibliothèque nationale de France (NAF 19742, f. 181v-182r). Néanmoins, il est évident que Proust écrit cette lettre de Paris et non de Versailles. Le papier de lʼoriginal est identique à celui de la lettre à Albufera datée du [mercredi 15 avril 1908] (CP 01787 ; Kolb, VIII, n° 43). En outre, lʼallusion au traitement que la destinataire suit « en Suisse » et le souhait qu’elle puisse « bientôt revenir  » semblent situer cette lettre dans la seconde quinzaine dʼavril 1908 (voir la note 2 ci-après). [PK, ChC]
Note n°2
Mme Straus se trouve d’abord à Valmont-sur-Territet (« Avis Mondains », Le Figaro, 8 avril 1908, p. 5), puis à Territet avant de rentrer à Paris au mois de mai. Cf. les lettres de Proust à sa mère du [14 septembre 1899] (CP 00514 ; Kolb, II, n° 208, note 4) et de Proust à Mme Straus du [9 avril 1905] (CP 01184 ; Kolb, V, n° 47, note 2), où Proust fait allusion au sanatorium du Docteur Widmer, près de Montreux sur le lac de Genève. [PK]
Note n°3
Voir la lettre de Proust à Lucien Daudet (CP 00975 ; Kolb, IV, n° 79, note 5). [PK]
Note n°4
Le comte Joseph de Gontaut-Biron est député des Basses-Pyrénées de 1900 à 1906 et de 1910 à 1914, puis sénateur de 1906 à 1909. Il est membre du Jockey, du Polo de Paris et du Cercle de la rue Royale. [PK]
Note n°5
Nous ignorons qui était cette « rivale  ». [PK]
Note n°7génétique
Une exposition donnée à la galerie Durand-Ruel, rue Laffitte, du 22 novembre au 15 décembre 1900, avait présenté les « Œuvres récentes de Claude Monet », dont la série de neuf toiles datant de 1899 et réunies sous le titre Bassin aux nymphéas, entre autres « Harmonie verte », actuellement au Musée d’Orsay (voir le compte rendu d’Arsène Alexandre « La vie artistique : Exposition Claude Monet », Le Figaro, 23 novembre 1908, p. 5 ; La Chronique des arts et de la curiosité, 23 novembre 1900, p. 359, et 1er décembre 1900, p. 363). Chacun de ces tableaux est une variation de couleurs d’une composition presque identique : un pont japonais, un bois touffu et un bassin de nymphéas (Kazuyoshi Yoshikawa, Proust et l’art pictural, Paris, Honoré Champion, 2010, p. 150 et 157). Proust parle de lʼœuvre de Claude Monet dans son article sur Mme de Noailles (« Les Éblouissements », Le Figaro. Supplément littéraire, 15 juin 1907, p. 1) évoquant « ces tendres nymphéas que le maître a dépeints dans des toiles sublimes dont ce jardin (vraie transposition d’art plus encore que modèle de tableaux, tableau déjà exécuté à même la nature qui sʼéclaire an dessous du regard dʼun grand peintre) est comme une première et vivante esquisse, tout au moins la palette est déjà faite et délicieuse où les tons harmonieux sont préparés » (EA, p. 539-540 ; Essais, p. 292-293). — Si Proust s’inspire certainement des promenades au Pré-Catelan à Illiers pour le paysage des deux « côtés » (75 f., p. 290 et suiv.), dont le plus ancien brouillon connu à ce jour se trouve dans les « soixante-quinze feuillets », certains éléments des Nymphéas de Monet semblent se retrouver aussi dans ces descriptions. Ces morceaux anciens sur « Le côté de Villebon et le côté de Meséglise » reprennent l’image d’un petit pont traversant un filet d’eau, entouré d’une riche végétation, notamment au f. 28 : « Mais là-bas c’était un filet d’eau dormante qu’on passait sur un pont de bois […], entre les nénuphars et les boutons d’or de la rive [...] » (ibid., p. 54) et aux f. 35-36 : « […] le mince filet d’eau entièrement couvert par endroits de nénuphars, de plantes vertes, de boutons d’or qu’une planche de bois traversait si facilement avant d’arriver au parc » (ibid., p. 61-62). (Pour la suite des étapes génétiques concernant les nymphéas, voir K. Yoshikawa, « Monet et les nymphéas de Combray », op. cit., p. 149-168.) [PK, ChC]
Note n°8
Le peintre et graveur Paul-César Helleu fait renvoyer à Proust, après un premier refus de ce dernier, son tableau Automne versaillais (Trois femmes dans le parc de Versailles) avec la dédicace « à mon ami Marcel Proust » (voir K. Yoshikawa, Proust et l’art pictural, op. cit., p. 207). Le tableau est conservé aujourdʼhui au musée des Beaux-Arts de Brest (dépôt du musée dʼOrsay). À propos de ce cadeau, voir la lettre de remerciements de Proust à Paul Helleu de [vers la fin de février 1908] (CP 01763 ; Kolb, VIII, n° 19) et la lettre à Mme Catusse des [premiers jours de mars 1908] (CP 01766 ; Kolb, VIII, n° 22). [PK, ChC]
Note
Claude Monet Bassin aux nymphéas 1899
Note
Paul Helleu Automne versaillais 1908


Mots-clefs :arts visuelscadeaumondanitéssantésorties
Date de mise en ligne : March 14, 2024 11:31
Date de la dernière mise à jour : September 16, 2024 16:08
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