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CP 01746 Marcel Proust à Auguste Marguillier [entre le 1er et le 8 janvier 1908]

Surlignage

102 bd Haussmann

Cher Monsieur

Je suis bien vivement touché
de la bonté que vous avez eue de
parler de ma traduction de
la Bible dʼAmiens dans le
Mercure. Je ne peux pas vous
dire à quel point cet éloge
venant de vous mʼest sensible.
Il mʼa fait un bien grand plaisir
et je vous en remercie sincêrement.
Joint à cette carte postale envoyée


Amiens dont jʼavais été si
heureux, il constitue de votre
part une marque de sympathie
bien précieuse. Jʼai été sollicité
de divers côtés de donner de
petites notices dans la Gazette
(Chronique) sur des ouvrages
dont il me semble malheureusement
impossible que jʼentretienne
vos lecteurs :

lʼun est une traduction fort
curieuse de Keats que vient
dʼéditer le Livre, mais je crains
quʼun poete, si esthète quʼil ait été


ne ressortisse pas exactement à la Chronique des
Arts
. Quʼen pensez-vous ? Lʼauteur de cette
traduction est la Mise de Clermont Tonerre.

Un autre ouvrage est le Sens de lʼArt de
M. GaultierCelui là rentre exactement dans la
juridiction de la Chronique. Mais nʼen avez-vous
pas déjà parlé. Mais Ce me serait une bonne
excuse de ne pas mʼen occuper.

Enfin Madame Crémieux qui a traduit la
Nature du Gothique
de Ruskin aurait aimé je crois une


notice un peu plus détaillée que les quelques lignes
parues dans la Chronique. Cʼest une question trop spéciale
de Rédaction du numéro pour que je puisse me
rendre compte si vos lecteurs peuvent désirer ou
non quʼon revienne avec un peu plus de détails sur
cet ouvrage.

Enfin pendant que je vous ennuie, ne vous serait-il pas
possible de me faire adresser à condition quelques
unes de vos gravures anglaises, notamment de celles
où un animal est représenté à côté du ou des personnages
dont elle donne le portrait. Je ne sais si elles feraient
mon affaire mais peutʼêtre en prendrais-je une ou deux si


leur format nʼest pas trop
petit. Le mieux serait quʼon les
laissat chez moi sans attendre la
réponse, car je prends mon repos
aux heures irrégulières où je ne
souffre pas, et il y aurait
risque si lʼon attendait une
réponse immédiate (à moins que
ce ne fut après le dîner) que je
ne puisse la donner ; xxxx on ne
vient pas me déranger quand je
repose.

Veuillez agréer cher Monsieur
tous mes souvenirs très affectueusement
reconnaissants


Marcel Proust


 
 
Surlignage
102 boulevard Haussmann

Cher Monsieur

Je suis bien vivement touché de la bonté que vous avez eue de parler de ma traduction de la Bible dʼAmiens dans le Mercure. Je ne peux pas vous dire à quel point cet éloge venant de vous mʼest sensible. Il mʼa fait un bien grand plaisir et je vous en remercie sincèrement. Joint à cette carte postale envoyée Amiens dont jʼavais été si heureux, il constitue de votre part une marque de sympathie bien précieuse. Jʼai été sollicité de divers côtés de donner de petites notices dans la Gazette (Chronique) sur des ouvrages dont il me semble malheureusement impossible que jʼentretienne vos lecteurs :

lʼun est une traduction fort curieuse de Keats que vient dʼéditer le Livre, mais je crains quʼun poète, si esthète quʼil ait été ne ressortisse pas exactement à la Chronique des Arts. Quʼen pensez-vous ? Lʼauteur de cette traduction est la marquise de Clermont-Tonnerre.

Un autre ouvrage est Le Sens de lʼArt de M. GaultierCelui-là rentre exactement dans la juridiction de la Chronique. Mais nʼen avez-vous pas déjà parlé. Ce me serait une bonne excuse de ne pas mʼen occuper.

Enfin madame Crémieux qui a traduit La Nature du Gothique de Ruskin aurait aimé je crois une notice un peu plus détaillée que les quelques lignes parues dans la Chronique. Cʼest une question trop spéciale de Rédaction du numéro pour que je puisse me rendre compte si vos lecteurs peuvent désirer ou non quʼon revienne avec un peu plus de détails sur cet ouvrage.

Enfin pendant que je vous ennuie, ne vous serait-il pas possible de me faire adresser à condition quelques unes de vos gravures anglaises, notamment de celles où un animal est représenté à côté du ou des personnages dont elle donne le portrait. Je ne sais si elles feraient mon affaire mais peut-être en prendrais-je une ou deux si leur format nʼest pas trop petit. Le mieux serait quʼon les laissât chez moi sans attendre la réponse, car je prends mon repos aux heures irrégulières où je ne souffre pas, et il y aurait risque si lʼon attendait une réponse immédiate (à moins que ce ne fût après le dîner) que je ne puisse la donner ; on ne vient pas me déranger quand je repose.

Veuillez agréer cher Monsieur tous mes souvenirs très affectueusement reconnaissants.

Marcel Proust

   
Note n°1
Philip Kolb avait situé la présente lettre [peu avant le 8 janvier 1908], en raison de la date du « 8 janvier 1908 » quʼon lit en tête de lʼoriginal, où elle figure non de la main de Proust mais probablement de celle du destinataire ou de son secrétaire (il pourrait donc sʼagir de la date de sa réception ou de celle de la réponse d’Auguste Marguillier). Lʼallusion liminaire de Proust à lʼéloge de La Bible dʼAmiens dans le Mercure de France du 1er janvier 1908 (voir note 2) permet de fixer pour cette lettre un terminus a quo et de la redater [entre le 1er et le 8 janvier 1908]. [PK, ChC]
Note n°2
Auguste Marguillier mentionne Proust en parlant des nouvelles acquisitions du Musée du Louvre dans le Mercure de France du 1er janvier 1908, tome 71, sous la rubrique « Musées et collections » (p. 154-155) : « Dans les sections de la sculpture et des objets dʼart du Moyen Âge, cʼest dʼabord une charmante Vierge en bois du XIVe siècle, originaire, pense-t-on, de Picardie et qui offre, en effet, beaucoup de parenté avec la Vierge de la Porte Dorée dʼAmiens dont Ruskin a tant aimé "la joliesse et le gai sourire de soubrette", et qui a inspiré de si jolies pages de M. Marcel Proust (1) [...]. » La note (1) renvoie à : « Ruskin, La Bible dʼAmiens, trad. et préface par Marcel Proust ; 1904, in-16, préface p. 25 et suiv. » [PK]
Note n°3
Dans une lettre des [derniers mois de 1907] (CP 01725 ; Kolb, VII, n° 172 et sa note 2), Proust avait déjà remercié Marguillier de sa carte postale (qui ne nous est pas parvenue), dans laquelle ce dernier lui annonçait une mention de sa traduction de La Bible dʼAmiens dans le Mercure de France du 1er janvier 1908. [PK, ChC]
Note n°4
Auguste Marguillier, critique et historien dʼart français, auteur dʼune biographie critique dʼAlbert Dürer (1901), traducteur de lʼŒuvre complet de Rembrandt par Wilhelm von Bode en huit volumes (1897-1901), était le directeur de La Chronique des arts et de la curiosité, supplément hebdomadaire de la Gazette des Beaux-Arts, paraissant le samedi. Il tenait la rubrique « Musées et collections » au Mercure de France depuis le 1er mai 1906. [PK, ChC]
Note n°5
Le recueil, intitulé Poésies de John Keats traduites par la Marquise de Clermont-Tonnerre. Préface de É. Hovelaque, petit in-8°, avait paru en décembre 1907 aux éditions de La Maison du Livre, 3 rue de la Bienfaisance à Paris, avec une reliure de Charles Meunier. (Cet ouvrage est consultable dans une édition postérieure, publiée en 1922 chez Émile-Paul Frères.) — Albert Flament, chroniqueur sous le pseudonyme de « Sparklet » pour LʼÉcho de Paris, avait reçu un exemplaire de cette traduction le samedi 7 décembre, comme il relate dans sa rubrique « Le Trottoir roulant » (LʼÉcho de Paris, 10 décembre 1907, p. 1). Proust a dû recevoir le sien vers la même époque. Il avait ébauché un compte rendu de cette traduction, qui a été retrouvé dans ses papiers : « C’est une précieuse acquisition pour la pensée française qu’une traduction de Keats. […] » (Essais, p. 397-398). [PK, ChC, NM]
Note n°6
La Chronique des arts et de la curiosité avait, en effet, rendu compte de cet ouvrage dans son numéro du 16 février 1907, p. 54. Selon lʼanalyse de Gaultier, lʼart consiste dans « lʼincarnation quʼil réalise, à lʼaide de sons, de lignes, de couleurs ou de reliefs, de lʼémotion esthétique ressentie par lʼartiste en face de la réalité », et peut, par conséquent, influencer la moralité, lʼintelligence et la société, en raison de son essence « émotive ». [PK, ChC]
Note n°7
La Chronique des arts et de la curiosité du 14 décembre 1907, p. 366, venait dʼannoncer, en dix-huit lignes seulement, la parution dʼ« un joli opuscule tiré du célèbre ouvrage de Ruskin Les Pierres de Venise ». Il sʼagit de La Nature du gothique, sixième chapitre du deuxième tome des Stones of Venice dans lʼédition Smith, Elder and Co de 1853 (chapitre supprimé par Ruskin des éditions suivantes), traduit par Mathilde Crémieux, avec une introduction de Paul Vitry (Paris, Aillaud, 1907, 145 pages et 12 planches). – En 1906, Mathilde Crémieux avait traduit les trois tomes des Stones of Venice (1851, 1853, 1853) : voir John Ruskin, Les Pierres de Venise. Études locales pouvant servir de direction aux voyageurs séjournant à Venise et à Vérone, traduction par Mme Mathilde P. Crémieux, préface de M. Robert de La Sizeranne, Paris, H. Laurens, 1906 ; Proust en avait publié un compte rendu dans La Chronique des arts et de la curiosité du 5 mai 1906, p. 146-147. [PK, ChC]
Note n°8
Selon la définition du Littré, vendre « à condition » est « vendre à la charge de reprendre la chose si elle ne satisfait pas lʼacheteur ». [ChC]
Note n°9
Proust pourrait avoir vu une annonce parue dans La Chronique des arts et de la curiosité du 7 décembre 1907, concernant des « peintures et dessins de lʼÉcole anglaise dont les gravures sont en vente à la "Gazette des Beaux-Arts" ». L’allusion de Proust aux « gravures anglaises » est ambiguë puisqu’elle pourrait évoquer soit des reproductions, sous la forme de gravures, de tableaux de peintres anglais, soit des gravures faites par des graveurs anglais. La première hypothèse semble la plus probable, surtout si Proust se réfère à l’annonce de La Chronique des arts et de la curiosité qui concerne, en effet, des tableaux et dessins de portraitistes et paysagistes anglais (entre autres, Thomas Gainsborough, Thomas Lawrence et Joshua Reynolds) dont les reproductions sont assurées par des graveurs et des héliograveurs français, italiens et anglais (voir la note 10 ci-après). – Rappelons que Proust avait publié le 9 mars 1907 dans La Chronique des arts et de la curiosité un compte rendu du Gainsborough de Gabriel Mourey, critique d’art et spécialiste de la peinture anglaise (EA, p. 524-526 ; Essais, p. 332-334). [ChC]
Note n°10génétique
D’après Philip Kolb, Proust aurait pu feuilleter le livre illustré de l’historien de lʼart Armand Dayot (1851-1934), La Peinture anglaise : de ses origines à nos jours, Paris, Lucien Laveur éditeur, 1908, présenté dans la Bibliographie de la Gazette des Beaux-Arts de décembre 1907, p. 526, et s’inspirer, par comparaison ou par contraste, des tableaux de cet ouvrage pour l’élaboration de l’épisode de « Robert et le chevreau » (voir Ph. Kolb, « Le "mystère" des gravures anglaises recherchées par Proust », Le Mercure de France, n° 327, 1er août 1956, p. 751 ; 75 f., note 1 p. 282). Dans lʼouvrage de Dayot se trouvent notamment des portraits représentant tant des adultes que des enfants, richement habillés, à côté dʼun animal, le plus souvent un chien, mais aussi des tableaux où figurent des paysans en contexte champêtre. Proust avait pu y remarquer des portraits de Joshua Reynolds (Miss Bowles, Nelly OʼBrien, Sophia-Mathilda de Gloucester), de Thomas Gainsborough (Le Comte de Carlisle et Mrs Robinson), ainsi que du peintre animalier Edwin Landseer (La Servante et la pie et Le Départ du meneur). Or le tableau de Reynolds représentant Sophia-Mathilda de Gloucester est mentionné dans la liste des gravures anglaises en vente aux bureaux de la Gazette des Beaux-Arts (voir note 9). Le livre de Dayot et cette annonce ont donc pu retenir l’attention de Proust et inspirer sa description de lʼenfant à côté de son animal. Dans l’épisode de « Robert et le chevreau », Proust décrit son frère Robert « assis par terre contre son chevreau et lui caressant tendrement la tête avec la main, lʼembrassant sur son nez pur et un peu rouge de bellâtre couperosé, insignifiant et cornu », or « ce groupe ne rappelait que bien peu celui que les peintres anglais ont souvent reproduit dʼun enfant caressant un animal » (nous soulignons) (CSB (F), p. 293 sqq. ; 75 f., f. 22, p. 45). — Dans les « soixante-quinze feuillets » (NAF 29020), lʼépisode de « Robert et le chevreau » suit sans transition celui du drame du coucher (voir 75 f., f. 21-24, p. 44-48), mais il est possible quʼil en ait existé une première rédaction indépendante, plus proche de la présente lettre, dont le manuscrit ne nous est pas parvenu (ibid., p. 250). [PK, ChC, NM]
Note
John Ruskin La Bible dʼAmiens. Traduction, notes et préface par Marcel Proust pubPlace publisher 1904
Note
John Ruskin The Bible of Amiens pubPlace publisher 1884
Note
Auguste Marguiller Mercure de France Musées et collections 1er janvier 1908
Note
Gazette des Beaux-Arts
Note
La Chronique des arts et de la curiosité
Note
John Keats Poésies, traduites par la Marquise de Clermont-Tonnerre pubPlace publisher 1907
Note
La Chronique des arts et de la curiosité
Note
Paul Gaultier Le Sens de lʼArt : sa nature, son rôle, sa valeur pubPlace publisher 1907
Note
La Chronique des arts et de la curiosité
Note
John Ruskin The Stones of Venice, t. II : The Sea stories biblScope @unit='chapter' The Nature of Gothic pubPlace publisher 1853
Note
La Chronique des arts et de la curiosité Bibliographie 14 décembre 1907 biblScope @unit='page'
Note
La Chronique des arts et de la curiosité
Note
John Ruskin La Nature du gothique, traduit par Mathilde Crémieux, avec une introduction de Paul Vitry pubPlace publisher 1907


Mots-clefs :arts visuelsdocumentationépistolaritégenèselecturesréception
Date de mise en ligne : March 1, 2024 14:49
Date de la dernière mise à jour : September 16, 2024 15:26
Surlignage

102 bd Haussmann

Cher Monsieur

Je suis bien vivement touché
de la bonté que vous avez eue de
parler de ma traduction de
la Bible dʼAmiens dans le
Mercure. Je ne peux pas vous
dire à quel point cet éloge
venant de vous mʼest sensible.
Il mʼa fait un bien grand plaisir
et je vous en remercie sincêrement.
Joint à cette carte postale envoyée


Amiens dont jʼavais été si
heureux, il constitue de votre
part une marque de sympathie
bien précieuse. Jʼai été sollicité
de divers côtés de donner de
petites notices dans la Gazette
(Chronique) sur des ouvrages
dont il me semble malheureusement
impossible que jʼentretienne
vos lecteurs :

lʼun est une traduction fort
curieuse de Keats que vient
dʼéditer le Livre, mais je crains
quʼun poete, si esthète quʼil ait été


ne ressortisse pas exactement à la Chronique des
Arts
. Quʼen pensez-vous ? Lʼauteur de cette
traduction est la Mise de Clermont Tonerre.

Un autre ouvrage est le Sens de lʼArt de
M. GaultierCelui là rentre exactement dans la
juridiction de la Chronique. Mais nʼen avez-vous
pas déjà parlé. Mais Ce me serait une bonne
excuse de ne pas mʼen occuper.

Enfin Madame Crémieux qui a traduit la
Nature du Gothique
de Ruskin aurait aimé je crois une


notice un peu plus détaillée que les quelques lignes
parues dans la Chronique. Cʼest une question trop spéciale
de Rédaction du numéro pour que je puisse me
rendre compte si vos lecteurs peuvent désirer ou
non quʼon revienne avec un peu plus de détails sur
cet ouvrage.

Enfin pendant que je vous ennuie, ne vous serait-il pas
possible de me faire adresser à condition quelques
unes de vos gravures anglaises, notamment de celles
où un animal est représenté à côté du ou des personnages
dont elle donne le portrait. Je ne sais si elles feraient
mon affaire mais peutʼêtre en prendrais-je une ou deux si


leur format nʼest pas trop
petit. Le mieux serait quʼon les
laissat chez moi sans attendre la
réponse, car je prends mon repos
aux heures irrégulières où je ne
souffre pas, et il y aurait
risque si lʼon attendait une
réponse immédiate (à moins que
ce ne fut après le dîner) que je
ne puisse la donner ; xxxx on ne
vient pas me déranger quand je
repose.

Veuillez agréer cher Monsieur
tous mes souvenirs très affectueusement
reconnaissants


Marcel Proust


 
 
Surlignage
102 boulevard Haussmann

Cher Monsieur

Je suis bien vivement touché de la bonté que vous avez eue de parler de ma traduction de la Bible dʼAmiens dans le Mercure. Je ne peux pas vous dire à quel point cet éloge venant de vous mʼest sensible. Il mʼa fait un bien grand plaisir et je vous en remercie sincèrement. Joint à cette carte postale envoyée Amiens dont jʼavais été si heureux, il constitue de votre part une marque de sympathie bien précieuse. Jʼai été sollicité de divers côtés de donner de petites notices dans la Gazette (Chronique) sur des ouvrages dont il me semble malheureusement impossible que jʼentretienne vos lecteurs :

lʼun est une traduction fort curieuse de Keats que vient dʼéditer le Livre, mais je crains quʼun poète, si esthète quʼil ait été ne ressortisse pas exactement à la Chronique des Arts. Quʼen pensez-vous ? Lʼauteur de cette traduction est la marquise de Clermont-Tonnerre.

Un autre ouvrage est Le Sens de lʼArt de M. GaultierCelui-là rentre exactement dans la juridiction de la Chronique. Mais nʼen avez-vous pas déjà parlé. Ce me serait une bonne excuse de ne pas mʼen occuper.

Enfin madame Crémieux qui a traduit La Nature du Gothique de Ruskin aurait aimé je crois une notice un peu plus détaillée que les quelques lignes parues dans la Chronique. Cʼest une question trop spéciale de Rédaction du numéro pour que je puisse me rendre compte si vos lecteurs peuvent désirer ou non quʼon revienne avec un peu plus de détails sur cet ouvrage.

Enfin pendant que je vous ennuie, ne vous serait-il pas possible de me faire adresser à condition quelques unes de vos gravures anglaises, notamment de celles où un animal est représenté à côté du ou des personnages dont elle donne le portrait. Je ne sais si elles feraient mon affaire mais peut-être en prendrais-je une ou deux si leur format nʼest pas trop petit. Le mieux serait quʼon les laissât chez moi sans attendre la réponse, car je prends mon repos aux heures irrégulières où je ne souffre pas, et il y aurait risque si lʼon attendait une réponse immédiate (à moins que ce ne fût après le dîner) que je ne puisse la donner ; on ne vient pas me déranger quand je repose.

Veuillez agréer cher Monsieur tous mes souvenirs très affectueusement reconnaissants.

Marcel Proust

   
Note n°1
Philip Kolb avait situé la présente lettre [peu avant le 8 janvier 1908], en raison de la date du « 8 janvier 1908 » quʼon lit en tête de lʼoriginal, où elle figure non de la main de Proust mais probablement de celle du destinataire ou de son secrétaire (il pourrait donc sʼagir de la date de sa réception ou de celle de la réponse d’Auguste Marguillier). Lʼallusion liminaire de Proust à lʼéloge de La Bible dʼAmiens dans le Mercure de France du 1er janvier 1908 (voir note 2) permet de fixer pour cette lettre un terminus a quo et de la redater [entre le 1er et le 8 janvier 1908]. [PK, ChC]
Note n°2
Auguste Marguillier mentionne Proust en parlant des nouvelles acquisitions du Musée du Louvre dans le Mercure de France du 1er janvier 1908, tome 71, sous la rubrique « Musées et collections » (p. 154-155) : « Dans les sections de la sculpture et des objets dʼart du Moyen Âge, cʼest dʼabord une charmante Vierge en bois du XIVe siècle, originaire, pense-t-on, de Picardie et qui offre, en effet, beaucoup de parenté avec la Vierge de la Porte Dorée dʼAmiens dont Ruskin a tant aimé "la joliesse et le gai sourire de soubrette", et qui a inspiré de si jolies pages de M. Marcel Proust (1) [...]. » La note (1) renvoie à : « Ruskin, La Bible dʼAmiens, trad. et préface par Marcel Proust ; 1904, in-16, préface p. 25 et suiv. » [PK]
Note n°3
Dans une lettre des [derniers mois de 1907] (CP 01725 ; Kolb, VII, n° 172 et sa note 2), Proust avait déjà remercié Marguillier de sa carte postale (qui ne nous est pas parvenue), dans laquelle ce dernier lui annonçait une mention de sa traduction de La Bible dʼAmiens dans le Mercure de France du 1er janvier 1908. [PK, ChC]
Note n°4
Auguste Marguillier, critique et historien dʼart français, auteur dʼune biographie critique dʼAlbert Dürer (1901), traducteur de lʼŒuvre complet de Rembrandt par Wilhelm von Bode en huit volumes (1897-1901), était le directeur de La Chronique des arts et de la curiosité, supplément hebdomadaire de la Gazette des Beaux-Arts, paraissant le samedi. Il tenait la rubrique « Musées et collections » au Mercure de France depuis le 1er mai 1906. [PK, ChC]
Note n°5
Le recueil, intitulé Poésies de John Keats traduites par la Marquise de Clermont-Tonnerre. Préface de É. Hovelaque, petit in-8°, avait paru en décembre 1907 aux éditions de La Maison du Livre, 3 rue de la Bienfaisance à Paris, avec une reliure de Charles Meunier. (Cet ouvrage est consultable dans une édition postérieure, publiée en 1922 chez Émile-Paul Frères.) — Albert Flament, chroniqueur sous le pseudonyme de « Sparklet » pour LʼÉcho de Paris, avait reçu un exemplaire de cette traduction le samedi 7 décembre, comme il relate dans sa rubrique « Le Trottoir roulant » (LʼÉcho de Paris, 10 décembre 1907, p. 1). Proust a dû recevoir le sien vers la même époque. Il avait ébauché un compte rendu de cette traduction, qui a été retrouvé dans ses papiers : « C’est une précieuse acquisition pour la pensée française qu’une traduction de Keats. […] » (Essais, p. 397-398). [PK, ChC, NM]
Note n°6
La Chronique des arts et de la curiosité avait, en effet, rendu compte de cet ouvrage dans son numéro du 16 février 1907, p. 54. Selon lʼanalyse de Gaultier, lʼart consiste dans « lʼincarnation quʼil réalise, à lʼaide de sons, de lignes, de couleurs ou de reliefs, de lʼémotion esthétique ressentie par lʼartiste en face de la réalité », et peut, par conséquent, influencer la moralité, lʼintelligence et la société, en raison de son essence « émotive ». [PK, ChC]
Note n°7
La Chronique des arts et de la curiosité du 14 décembre 1907, p. 366, venait dʼannoncer, en dix-huit lignes seulement, la parution dʼ« un joli opuscule tiré du célèbre ouvrage de Ruskin Les Pierres de Venise ». Il sʼagit de La Nature du gothique, sixième chapitre du deuxième tome des Stones of Venice dans lʼédition Smith, Elder and Co de 1853 (chapitre supprimé par Ruskin des éditions suivantes), traduit par Mathilde Crémieux, avec une introduction de Paul Vitry (Paris, Aillaud, 1907, 145 pages et 12 planches). – En 1906, Mathilde Crémieux avait traduit les trois tomes des Stones of Venice (1851, 1853, 1853) : voir John Ruskin, Les Pierres de Venise. Études locales pouvant servir de direction aux voyageurs séjournant à Venise et à Vérone, traduction par Mme Mathilde P. Crémieux, préface de M. Robert de La Sizeranne, Paris, H. Laurens, 1906 ; Proust en avait publié un compte rendu dans La Chronique des arts et de la curiosité du 5 mai 1906, p. 146-147. [PK, ChC]
Note n°8
Selon la définition du Littré, vendre « à condition » est « vendre à la charge de reprendre la chose si elle ne satisfait pas lʼacheteur ». [ChC]
Note n°9
Proust pourrait avoir vu une annonce parue dans La Chronique des arts et de la curiosité du 7 décembre 1907, concernant des « peintures et dessins de lʼÉcole anglaise dont les gravures sont en vente à la "Gazette des Beaux-Arts" ». L’allusion de Proust aux « gravures anglaises » est ambiguë puisqu’elle pourrait évoquer soit des reproductions, sous la forme de gravures, de tableaux de peintres anglais, soit des gravures faites par des graveurs anglais. La première hypothèse semble la plus probable, surtout si Proust se réfère à l’annonce de La Chronique des arts et de la curiosité qui concerne, en effet, des tableaux et dessins de portraitistes et paysagistes anglais (entre autres, Thomas Gainsborough, Thomas Lawrence et Joshua Reynolds) dont les reproductions sont assurées par des graveurs et des héliograveurs français, italiens et anglais (voir la note 10 ci-après). – Rappelons que Proust avait publié le 9 mars 1907 dans La Chronique des arts et de la curiosité un compte rendu du Gainsborough de Gabriel Mourey, critique d’art et spécialiste de la peinture anglaise (EA, p. 524-526 ; Essais, p. 332-334). [ChC]
Note n°10génétique
D’après Philip Kolb, Proust aurait pu feuilleter le livre illustré de l’historien de lʼart Armand Dayot (1851-1934), La Peinture anglaise : de ses origines à nos jours, Paris, Lucien Laveur éditeur, 1908, présenté dans la Bibliographie de la Gazette des Beaux-Arts de décembre 1907, p. 526, et s’inspirer, par comparaison ou par contraste, des tableaux de cet ouvrage pour l’élaboration de l’épisode de « Robert et le chevreau » (voir Ph. Kolb, « Le "mystère" des gravures anglaises recherchées par Proust », Le Mercure de France, n° 327, 1er août 1956, p. 751 ; 75 f., note 1 p. 282). Dans lʼouvrage de Dayot se trouvent notamment des portraits représentant tant des adultes que des enfants, richement habillés, à côté dʼun animal, le plus souvent un chien, mais aussi des tableaux où figurent des paysans en contexte champêtre. Proust avait pu y remarquer des portraits de Joshua Reynolds (Miss Bowles, Nelly OʼBrien, Sophia-Mathilda de Gloucester), de Thomas Gainsborough (Le Comte de Carlisle et Mrs Robinson), ainsi que du peintre animalier Edwin Landseer (La Servante et la pie et Le Départ du meneur). Or le tableau de Reynolds représentant Sophia-Mathilda de Gloucester est mentionné dans la liste des gravures anglaises en vente aux bureaux de la Gazette des Beaux-Arts (voir note 9). Le livre de Dayot et cette annonce ont donc pu retenir l’attention de Proust et inspirer sa description de lʼenfant à côté de son animal. Dans l’épisode de « Robert et le chevreau », Proust décrit son frère Robert « assis par terre contre son chevreau et lui caressant tendrement la tête avec la main, lʼembrassant sur son nez pur et un peu rouge de bellâtre couperosé, insignifiant et cornu », or « ce groupe ne rappelait que bien peu celui que les peintres anglais ont souvent reproduit dʼun enfant caressant un animal » (nous soulignons) (CSB (F), p. 293 sqq. ; 75 f., f. 22, p. 45). — Dans les « soixante-quinze feuillets » (NAF 29020), lʼépisode de « Robert et le chevreau » suit sans transition celui du drame du coucher (voir 75 f., f. 21-24, p. 44-48), mais il est possible quʼil en ait existé une première rédaction indépendante, plus proche de la présente lettre, dont le manuscrit ne nous est pas parvenu (ibid., p. 250). [PK, ChC, NM]
Note
John Ruskin La Bible dʼAmiens. Traduction, notes et préface par Marcel Proust pubPlace publisher 1904
Note
John Ruskin The Bible of Amiens pubPlace publisher 1884
Note
Auguste Marguiller Mercure de France Musées et collections 1er janvier 1908
Note
Gazette des Beaux-Arts
Note
La Chronique des arts et de la curiosité
Note
John Keats Poésies, traduites par la Marquise de Clermont-Tonnerre pubPlace publisher 1907
Note
La Chronique des arts et de la curiosité
Note
Paul Gaultier Le Sens de lʼArt : sa nature, son rôle, sa valeur pubPlace publisher 1907
Note
La Chronique des arts et de la curiosité
Note
John Ruskin The Stones of Venice, t. II : The Sea stories biblScope @unit='chapter' The Nature of Gothic pubPlace publisher 1853
Note
La Chronique des arts et de la curiosité Bibliographie 14 décembre 1907 biblScope @unit='page'
Note
La Chronique des arts et de la curiosité
Note
John Ruskin La Nature du gothique, traduit par Mathilde Crémieux, avec une introduction de Paul Vitry pubPlace publisher 1907


Mots-clefs :arts visuelsdocumentationépistolaritégenèselecturesréception
Date de mise en ligne : March 1, 2024 14:49
Date de la dernière mise à jour : September 16, 2024 15:26
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